C’est le genre de concert où l’on est certain de ne pas croiser beaucoup de spectateurs de moins de 30 ans. Dean Wareham, lui, en a eu 50 il y a quelques mois, il a toujours été épargné par la hype, et son public a vieilli avec lui (mais pas forcément aussi bien que lui). Un groupe à l’existence brève mais extrêmement influent (Galaxie 500), un autre qui n’aura pas vraiment profité de l’explosion du rock indé dans les années 90 (Luna), un duo charmant avec sa tout aussi charmante épouse, qui elle non plus ne fait pas ses cinquante ans (Dean & Britta), et aujourd’hui les débuts d’une carrière solo : si la forme change, le fond reste toujours à peu près le même, élégant, un peu détaché, rendant hommage aux grands anciens sans pour autant s’acharner à sonner rétro.
Après plus de 25 ans de carrière, le chanteur et guitariste de la Côte Est continue à jouer dans de petites salles : le Point Ephémère en l’occurrence, quand même correctement rempli. Il n’est pas allé chercher très loin sa première partie : Papercuts, alias le Californien Jason Robert Quever, producteur de son récent mini-album “Emancipated Hearts”. Celui-ci commence son concert seul, interprétant quatre ou cinq morceaux (dont une reprise de Tim Hardin) en s’accompagnant à la douze-cordes. C’est plutôt beau – on pense à The Clientele et aux Great Lake Swimmers, notamment à cause de la voix –, mais c’est quand il est rejoint par Britta Philipps à la basse et Anthony LaMarca (au parfait look preppy) à la batterie que sa pop à guitare mélodieuse et mélancolique donne toute sa mesure – un petit côté Shins. Pas sûr toutefois que Quever, qui apparaît souvent à contre-jour, ait le charisme suffisant pour imposer ses chansons subtiles à un public plus large.
Ce sont les mêmes trois musiciens qu’on retrouve quelques minutes après autour de Dean Wareham, cheveux grisonnants, chemisette et lunettes sur le nez. Pas vraiment l’allure d’une rock star, donc, ce qui nous va très bien. De même on apprécie de pouvoir écouter de la musique sans avoir besoin de bouchons, même en étant près des enceintes. Malgré la présence de Britta, aucun extrait de leurs albums en duo ne sera joué. Outre l’essentiel d’“Emancipated Hearts”, la setlist pioche un peu dans la discographie de Luna (les magnifiques “Moon Palace” et “Lost in Space”, tirés de leur chef-d’œuvre “Penthouse”), et surtout dans celle de Galaxie 500. Pas très étonnant, vu que depuis quelques années, Wareham donne des concerts où il interprète uniquement des morceaux de son premier groupe. Il semble en tout cas éprouver autant de plaisir à jouer les merveilleux “When Will You Come Home”, “Strange” ou “Tugboat” que les fans à les entendre.
Pas vraiment du genre à raconter sa vie sur scène, Dean, souriant, parle d’un chauffeur de taxi qui a tenté de les arnaquer à la gare du Nord, montre fièrement le pressage 25 cm orange de son dernier disque, ou constate, pince-sans-rire, que « même les hippies peuvent écrire une bonne chanson » en introduction à leur reprise de l’Incredible String Band (il me semble qu’il m’avait dit ça en interview à propos de Guns’n’Roses, mais avec un mot moins sympa que “hippies”).
Le rappel est constitué de deux autres covers, spécialité de la maison. Tout d’abord un hommage attendu à Lou Reed avec “Ride into the Sun” du Velvet Underground. On se souvient que Luna avait enregistré le morceau en 1992 pour une face B, dans sa version chantée (à l’époque, celle-ci n’avait pas encore été exhumée et n’était disponible qu’en bootleg). L’année suivante, le groupe assurait quelques premières parties du Velvet reformé. Légitimité absolue, donc. Puis, en clôture idéale, le “Ceremony” de Joy Division/New Order, dans sa relecture Galaxie 500. Fin du concert, donc, mais pas de la soirée puisque Dean et Britta, pas trop pressés de partir, restent dans la salle pour discuter, dédicacer disques et setlists ou se faire prendre en photo. Comme il y a onze ans, comme il y a six ans, comme il y a trois ans… Il y a des choses qui ne changent pas, et c’est très bien comme ça.