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Festivals

Un Week-End Singulier au Lieu Unique, Nantes

Exactement deux mois après le festival Assis ! Debout ! Couché !, recentré sur un week-end en février, je suis de retour au Lieu Unique pour un autre rendez-vous immanquable, la seconde édition d’Un Week-End Singulier, un évènement pluridisciplinaire qui – le nom est trompeur – s’étale sereinement sur une semaine. Expos, conférences, projections et bien sûr musique étaient à l’honneur à Nantes durant ces six jours d’un festival pas comme les autres, qui se fréquente bien sagement le soir en rentrant du travail pour voir des artistes souvent moins sages, eux.

Mardi

Amandine Urruty

Les festivités commencent avec le vernissage de l’exposition de l’illustratrice Amandine Urruty. La jeune artiste présente des travaux réalisés lors de sa récente résidence au LU : des dessins d’animaux anthropomorphes qu’on imaginerait bien dans des albums pour enfants si, en y regardant de plus près, on n’y trouvait pas des saynètes légèrement flippantes et perverses. L’univers de l’artiste est en tout cas tout à fait identifiable et cohérent – peut-être plus que le bric-à-brac de Théo Mercier exposé non loin de là, toujours au LU et dans le cadre d’Un Week-End Singulier. Direction maintenant le petit buffet servi pour le vernissage et qui tombe à pic pour patienter jusqu’aux concerts du soir, qui font la part belle au piano solo.

Ce sont deux pianistes aux profils radicalement différents qui se succèdent sur scène. Alan Weiss, musicien classique, interprète des oeuvres d’un oublié de la musique française du XIXème siècle, le compositeur Charles-Valentin Alkan. L’interprétation du pianiste est évidemment exceptionnelle mais ce qui intrigue le plus, c’est la découverte en direct d’un compositeur quasiment inconnu (du popeux de base que je suis, du moins) dont la musique (j’ose une analyse !) préfigure, dans ses passages les plus introspectifs, le courant impressionniste à venir – Debussy, Ravel, Satie. C’est justement un fan avéré de Satie qui succède à Weiss sur le Steinway rutilant du LU : l’inclassable Chilly Gonzales, pour un concert qui s’annonce d’entrée décalé – le Canadien débarque en robe de chambre, chaussé de pantoufles.

Chilly Gonzales

En enchainant trois fort élégants morceaux de son deuxième volume de « Solo Piano » sorti l’an dernier, Gonzales prouve que la virtuosité pianistique n’est pas l’apanage des musiciens académiques comme Alan Weiss et surtout que son talent de mélodiste s’inscrit dans la continuité de l’école impressionniste française dont Alkan fut l’un des précurseurs. La démonstration tourne malheureusement court. Le concert promis comme intimiste de Gonzales se transforme vite en véritable one-man-show. Evidemment, c’est très jouissif : le musicien aime tchatcher et ça se voit. Il aime partager aussi. Partager ses connaissances sur la musique, en expliquant comment on élabore une chanson, comment se construisent les accords, majeurs puis mineurs, avec travaux pratiques à la clé. Deux spectateurs plus ou moins novices montent sur scène et s’essaient au piano, accompagnés par un Gonzales qui tour à tour pianote à leurs côtés, tapote sur un bongo bon marché ou improvise des chants, souvent rappés. Tout ceci est bien sympathique voir franchement hilarant – les petits tacles gentillets à Sébastien Tellier ou Daft Punk pour leur soit-disant amateurisme musical -, on aimerait juste un peu plus entendre le musicien, moins voir le showman. Belle soirée tout de même.

Mercredi

Wooden Wand

Loin du minimalisme de la veille, ce sont des formations clairement rock qui se produisent ce soir. Changement de continent aussi : la musique de Wooden Wand est américaine jusqu’au bout des ongles. Des ongles crasseux puisque clairement plus ruraux que citadins – tout ça sent bon la terre. Musicalement, on pense beaucoup au Crazy Horse de Neil Young, au My Morning Jacket de la première heure aussi – ce qui revient un peu au même – dans cette manière de jouer un rock aux fortes effluves de country et de blues avec un son épais, massif. Les contre-chants de la chanteuse claviériste ont d’ailleurs quelque chose de ceux de l’indétrônable reine de la country Emmylou Harris – ex-choriste du Loner. Bref, le groupe emmené par James Jackson Toth ne va pas révolutionner la pop music mais l’essentiel est là : des chansons solides et une interprétation fiévreuse.

R. Stevie Moore

Alors que pour les jeunes gens de Wooden Wand, l’histoire de la musique semble s’être arrêtée en 1973, c’est un musicien qui pourrait être leur père qui apporte un vent de jeunesse dans la soirée. Déjà, R. Stevie Moore est fringué comme un éternel ado : casquette US, anorak fluo, seule la foisonnante barbe blanche est là pour témoigner de son âge avancé – pour un rockeur un peu fou. Musicalement, c’est pareil : indatable. Il y a bien des relents de musique sixties dans les compositions de Moore : de grandes mélodies douces-amères héritées des Beatles, des Beach Boys. Il y a aussi beaucoup de musique progressive décalée : un peu de Todd Rundgren, de Robert Wyatt dans les nappes sinueuses de clavier. Et enfin beaucoup de punk : dans l’éthique franchement libre, do-it-yourself, et dans ce plaisir régressif à lancer à 300 à l’heure des chansons de trois minutes, avec trois accords, tournant principalement autour de trois instruments – guitare-basse-batterie ! Bref, le concert de R. Stevie Moore ne ressemble pas à grand chose de connu ou plutôt à beaucoup de choses connues mais mélangées d’une manière assez inédite et pour tout dire tout à fait salvatrice. Le maître de cérémonie et ses (jeunes) musiciens ont l’air de prendre un plaisir fou sur scène. C’est communicatif, le public aussi.

Jeudi

The LP collection

Pas de concert pour cette troisième soirée au LU mais une conférence-performance intitulée « The LP Collection, les trésors cachés de la musique underground » proposée par deux Suisses obsédés par la recherche du disque introuvable. Underground, la sélection de 50 albums qu’ils présentent l’est assurément. Aucune trace des artistes maudits que sont Johnny Staco, Mouna Box ou Two Shakes sur le web… En parcourant les chroniques issues de l’ouvrage édité par les esthètes, on se dit pourtant que ces artistes méritent d’être découverts. J’écoute donc attentivement ces deux John Peel underground discuter de leurs obscurs coups de coeur. Dotés d’un charisme proche du zéro – ce sont des passionnés plus que des entertainers – Laurent Schlittler et Patrick Claudet sont cependant de sacrés bon raconteurs d’histoire. Ne me demandez pas pourquoi, mais la conférence-performance a finalement quelque chose d’un thriller hollywodien dans sa construction narrative – remember le petit film « The Usual Suspect » de Bryan Singer. Immanquablement singulier, donc !

Vendredi

Tiger Lillies

Plus qu’un simple concert, la performance des Tiger Lillies, trio londonien décalé officiant depuis 1989, est un spectacle très soigné visuellement. Le décorum vidéo, signé Mark Holthusen, n’est pas sans rappeler l’univers à la fois coloré et sombre de Tim Burton. Parfait complément aux chansons sans âge des Tiger Lillies, la mise en scène sert également parfaitement l’histoire qui nous est contée, inspirée du poème « The Rime of The Ancient Mariner » de Samuel Taylor Coleridge. Musicalement, c’est également très beau, parfaitement interprété. On pense parfois à Tom Waits dans son versant le plus européen, cabaret (l’album concept « Alice ») pour la richesse des instrumentations : accordéon, piano, scie musicale, contrebasse et percussions se complètent admirablement. La voix très pure de Martyn Jacques rappelle aussi parfois celle d’Antony Hegarty – à moins que ce ne soit simplement son goût pour les déguisements un peu kitchs. Beau spectacle donc, auquel manque cependant une petite dose de folie, d’imprévu. L’ennui pointe plusieurs fois son nez le long du spectacle, d’autant que j’ai du mal à me passionner pour les péripéties du vieux marin. Puisqu’il s’agit peu ou prou d’un opéra (une histoire mise en musique ), pourquoi ne pas projeter des surtitres ?

Y Birds

De la folie, de l’imprévu, il y en a quelques minutes plus tard dans le bar du LU. Alors que la tireuse à bière tourne à plein régime, la chorale pop (à 90% féminine) Y Birds s’époumone pour vaincre le brouhaha ambiant. Et, pour peu qu’on ait l’oreille fine, c’est bien beau. Et surtout assez original. Un peu à la manière de l’émouvant Langlay Schools Music Project, c’est par le choix du répertoire que les Y Birds se distinguent de la chorale lambda. On y croise les Zombies, Broadcast, Kate Bush, Depeche Mode et même Kim Wilde !

Feromil

S’en suit la prestation stupéfiante d’Emilien Leroy alias Feromil. Armé d’un détecteur à métaux et de deux trois pédales d’effets, le Dunkerquois, coiffé d’un masque à gaz qui lui donne un air de mouche menaçante, livre une musique moins expérimentale qu’il n’y paraît, une transe post-industrielle presque catchy – enfin, catchy comme du Suicide. Un univers surprenant se déploie, entre l’ambiance inquiétante des films de Cronenberg et l’ouvrier du coin qui débauche et lâche prise, excédé par sa journée d’usine.

Samedi

Lettre de Justine Python

Après un petit détour par la conférence sur la Collection de l’Art Brut de Lausane dans l’après-midi – présentations d’oeuvre littéraires et picturales à la marge, psychotiques et souvent surprenantes (je n’oublierai pas les « lettres chargées » hypnotisantes comme du Steve Reich de Justine Python et les autoportraits soviétisants obsessionnels, ornés de flingues en tout genre, d’Aleksander Lobanov) – j’entame mon dernier rendez-vous musical du festival. Cette fois-ci, la part belle est faite aux expérimentations de tout poil avec la délocalisation du festival Sonic Protest le temps d’une soirée.

Computer Pipa

Ça commence avec un duo installé en Chine, constitué de l’américain d’origine chinoise Li Dai Guo et du français Kink Gong. Leur projet s’intitule Computer Pipa et tout est dit dans ce nom : King Gong derrière ses ordinateurs et Li Dai Guo à la pipa (instrument traditionnel chinois proche du luth) font s’entrechoquer la musique électronique ambiant et les musiques ancestrales asiatiques. Le résultat est convaincant, tout particulièrement affalé que je suis dans les banquettes moelleuses disposées dans la salle.

Jan Jelinek et Andrew Pekler

Je ne suis pas dépaysé par la prestation de Jan Jelinek et Andrew Pekler, dans la droite lignée de Computer Pipa, sans la pipa : une musique exclusivement électronique donc – des compositions de la pharmacienne/musicienne expérimentale amateur (oui!) Ursula Bogner – développée en direct par les deux geeks allemands, parfaitement concentrés autour d’une table remplie de machines, de fils et de branchements en tout genre. L’univers hypnotique et zen qui ressort miraculeusement de tout ça (comme des berceuses pour robots) clôt idéalement pour moi le Week-End Singulier et constitue l’alibi parfait pour échapper à la noise extrême du groupe suivant, Torturing Nurse – tout un programme… Oui, il y a des choses qu’un fan buté des Smiths se refuse à subir ! Aucune fausse note pour moi donc, pour cette belle seconde édition d’Un Week-End Singulier : vivement la troisième.

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