Après le concert de Destroyer la veille, Strand accueille la soirée monstre à deux têtes coorganisée par les complotistes de What We Do Is Secret et Fritz’s Corner : Holograms + Deerhoof.
Lorsque les Holograms montent sur scène, on a subitement l’impression d’être transportés de Strand au Café 44 (café anar historique et scène ouverte à la jeunesse sonique). Les visages poupins des Holograms se veulent fermés et durs alors que la fosse grouille de visages amicaux (et de no look punks bien rares habituellement en ces lieux) : on repère les copains keupons et aussi mamie, tantine et la petite sœur dans le coin à gauche. Les Holograms s’accordent pendant que le Korgiste (très beau t-shirt John Kay-Steppenwolf) pianote des rythmes improvisés aigrelets et new wave tout à fait bienvenus.
Ça commence bien : rarement temps mort ne fut aussi agréablement comblé.
Puis la rage et la fureur : Holograms la joue volontiers plus punks brutaux que sur l’album. Chant beuglé (option Oï en première langue vivante), jean-foutre attitude de saison (je me moque de bien jouer, bien chanter avec mes copains), et potards à fond. Dès l’intro au Korg du deuxième tube, « Chasing My Mind », on comprend que le spectacle ne fait que commencer lorsque le guitariste en mode shoe gaze laisse couler de sa bouche une quantité de liquide translucide et gluant d’origine inconnue. Nous hésitons toujours entre pré-vomi et glaire expectorante selon les suppositions de l’amie experte, en visite from Paris.
Les titres s’enchaînent et les pogos se déchaînent, créant, devans la scène, une vaste Zone Autonome Temporaire à la Notre Dame des Landes, dans laquelle seul un regroupement greffon (quinze personnes au bas mot) du public habituel du bateau Vieille Montagne semble avoir élu domicile.
D’ailleurs, l’expérience collectiviste se poursuit puisque le bassiste chanteur invite, pour le tube « ABC City », un camarade en manteau long et bonnet à venir chanter le titre à sa place. Et dans le refrain, « Isolation » se transforme en « Insurrection ».
À partir de là, le show part en sucette : l’un des membres tourne un des micros vers le public. La musique devient de plus en plus tendue et réconcilierait certainement avec Holograms les membres de la rédaction de POPnews un peu déçus par le premier format long : ces jeunes font littéralement flamber Strand. On a oublié leur jeune âge (et le nôtre, avancé) et on est transportés dans une cave mancunienne à l’aube des années 80.
Le set apocalyptique se termine par un « Hidden Structure » incandescent (on aimait déjà le clip chez POPnews) avec prise d’assaut de la batterie par le clavier, terminant le jeu de massacre par un roulé boulé sur le batteur. Le guitariste, quant à lui, se jette dans la foule, remonte puis balance sa guitare, laquelle après avoir été frottée sur les rares fous et enthousiastes se tenant encore dans la fosse se fait fracasser sur le devant de la scène. Le bassiste balancera même son instrument (une belle Danelectro, en plus..) sur le reste de la guitare qui resurgit sur scène. Stockholm Calling quoi. La preuve par l’image ici :
Holograms – Hidden Structures from Marcus Wilén on Vimeo.
On apprécie particulièrement les visages réjouis des membres âgés de la famille, qui se tournent vers nous pour nous dire, semble-t-il, toute la fierté de voir leurs punks de petits-fils trasher méthodiquement et avec un laisser-aller impérial leur scène.
Pour notre part, Holograms a gagné de gros galons ce soir avec un set sans concession, énergisant et diablement amusant. Sweden’s pride qu’on vous dit.
Après le concert dévastateur d’Holograms, difficile de parier sur Deerhoof, malgré tout le bien qu’on pense d’eux et tout ce qu’on a même écrit sur les deux derniers géniaux albums, « Deerhoof vs Evil » et « Break Up Song ». Des préposés à l’entretien sont même chargés entre les deux concerts d’éponger l’épaisse mare de bière stagnante devant la scène…
Pourtant, dès « Break Up Songs » (le titre), on sait que c’est gagné. Le groupe le plus intelligent du monde joue des chansons à la fois compliquées, débiloïdes et euphorisantes, avec une maestria rarement égalée. Satomi chante et joue de la basse tout en effectuant des chorégraphies que n’auraient pas reniées Veronique et Davina et que les adeptes de Zumba feraient bien de prendre en exemple.
Greg Saunier danse autant qu’il joue de la batterie, derrière ses fûts.
Et les deux guitaristes, Ed et John, font sonner leurs guitares comme des damnés à rendre fou de jalousie les métalleux branleurs de manches renvoyés à leurs études chez Joe Satriani ou Steve Vai.
J’appréhendais un peu d’entendre les nouveaux titres, trafiqués à mort sur l’album et bricolés à distance, mais tout y était ou presque. Comment ces cinglés-là font-ils pour rendre toute la richesse de leurs albums tout en s’amusant comme des fous ? Mystère… Tous les membres du groupe arborent des sortes de pompons de couleurs (plutôt des galons de rideau en fait) cousus sur leurs vêtements de scène et Ed Rodriguez porte fièrement une chemise à volants de Mariachis !!
Sinon, on se régale des tubes enchaînés des deux derniers albums et de cette sorte d’anti-post rock euphorique, aussi amusant que Slint est déprimant. C’est dire.
Deerhoof est le meilleur groupe du monde sur scène : idéal pour danser et rigoler (we do parties quoi), passionnant à regarder, chaleureux et fédérateur. Ni Copé, ni Fillon : Deerhoof.