Un cadre idyllique, une ambiance détendue, une restauration de qualité, une organisation aussi efficace que discrète, et l’assurance d’un climat estival dés début juin : bienvenue à Lourmarin. Ne vous y méprenez pas : si ce compte rendu de festival commence comme une plaquette touristique, c’est pour mettre une fois pour toute les point sur les i à propos de la forme (et ne plus y revenir). La première édition du Festival YEAH l’année dernière était déjà une réussite de ce côté là. L’édition 2014 n’a fait que confirmer le talent de l’équipe du festival, et sa capacité à assurer une organisation quasi impeccable : encore un petit effort au niveau de la variété et de la rapidité de la pitance et ce sera parfait.
Côté fond, pas de grands reproches à faire non plus : une programmation dense et exigeante (avec des prises de risques gagnantes) et une cohérence assez remarquable des groupes programmés avec chaque jour une ou deux têtes d’affiche, des groupes moins connus, mais de qualité, et de très bonnes surprises.
Hors de question de me lancer dans un compte rendu chronologique de ce festival YEAH! 2014 : j’ai plutôt choisi de vous parler de façon tout à fait subjective, des moments qui m’ont parus forts avec : les bonnes surprises, les déceptions (il y en a très peu), et les meilleurs concerts…
Commençons par les bonnes surprises, avec tout d’abord Dawn, et Jesus is my Gilrfriend, que J’avais déjà vus sur scène il y a pas mal de temps. Dawn m’avait alors laissé une impression de groupe à chanteuse (ravissante), mais sans plus, et Jesus is my Gilrfriend ne m’avait laissé aucun bon souvenir (à part leur nom). Je dois avouer que je suis ravi d’avoir fait l’effort d’arriver assez tôt le vendredi (le set de Dawn était prévu à 16h15) pour voir ces deux groupes dans les caves du château de Lourmarin.
Dawn est maintenant épaulée par un groupe carré, mélodieux et très équilibré (un vibraphoniste, un contrebassiste, un batteur et un guitariste), et sa voix bien mieux posée qu’il y a quelques années, sert à merveille les compositions pop-folk du groupe. Avec, en bonus, la prouesse de réussir une reprise d’Alain Bashung, ce quintette a offert, en ouverture du festival, une prestation vraiment très belle.
Dans la foulée, et dans un style complètement différent, Jesus is my Gilrfriend (Johanna Serville au chant et à la guitare et Armand Féret à la batterie) arrive en prévenant le public peu nombreux à être resté : le son va sans doute être trop fort. Mais non, le son n’était pas si fort que ça comparé à l’intensité de leur prestation : une batterie lourde comme une moissonneuse batteuse américaine, une guitare rageuse à souhait, et un style qui rappelle P.J. Harvey ou The Kills (avec une batterie)… difficile de croire que ces deux là sont avignonnais (surtout si, comme moi, vous avez passé une dizaine d’années dans la ville des papes). Il me semble que, contrairement aux dernières fois où je l’avais vu, le duo a pris de l’ampleur, autant au niveau des compositions et de la cohérence de leur set que du jeu de scène. Une excellente surprise pour ce début de festival !
Peu de temps après, mais sur la grande scène, il y a eu Catfish, duo originaire du Jura, où on doit voir pas mal de poisson-chat, mais jamais avec autant de charisme que ces deux là. Eh oui, Catfish est (aussi) un duo avec un guitariste / batteur, et une chanteuse / multi-instrumentiste qui distillent une sorte de Punk-Rockabilly-Blues énervé et hyper efficace. Le public assez peu présent au début de leur set ne cesse d’enfler, complètement happé par leur mélodies énergiques. Cerise sur le gateau, Amandine et Damien invitent les frères Puaux (de Narrow Terence, dont l’univers n’est pas très loin) à les rejoindre sur scène pour les rappels.
Le samedi après-midi, après avoir fait un tour à la superbe expo photo (de vraies photos faites en argentique) de Richard Bellia qui garde un œil (averti) sur la musique depuis 1982 (!!!), il y avait le ciné-concert « Tom & Jerry » par La Terre Tremble !!! dans la cours de l’école de Lourmarin : goûter et bonbons offerts pour les enfants, projection de dessins animés du début des années 30 (en extérieur, donc pas très contrastée) et mise en musique par le trio clermonto-rennais. Intrigante et hyper bien foutue, la musique de La Terre Tremble !!!, qui monte en puissance au fur et à mesure, force à voir ces Tom & Jerry vintages avec un regard nouveau. Je ne suis pas sûr que les enfants, qui paraissaient tout de même ravis assis avec leurs sacs de bonbons, aient tout capté (moi non plus d’ailleurs), mais je suis certain, par contre, que le même concert (à la fois désordonnée et mélodique) en fin de soirée sur la grande scène aurait fait danser un public adulte jusqu’à la transe.
La dernière bonne surprise est le concert de Boogers : en ouverture de la troisième soirée, l’Orléanais commence son set depuis l’entrée du public (sous la terrasse du château), équipé d’un micro HF, de sa guitare et d’un sac à dos / boite à rythmes et outils, s’arrêtant pour discuter avec des personnes dans le public. Passé ce côté « guignol » (qu’il continuera à assumer entre chaque titre, par de petites interventions assez réussies), Boogers assure l’ouverture de la dernière soirée avec des chansons remuantes et variées, des bandes son un peu dingues et des riffs de guitare énervés, le tout sans compter l’énergie qu’il dépense… Tout ça donne envie de taper du pied et de sourire, et c’est tant mieux vu ce qui va suivre (c’est La Colonie de Vacances qui joue juste après).
Côté déceptions, il y en a de deux natures. Les premières sont « émotionnelles » : au risque de me faire pas mal d’ennemis (vu que qu’une bonne partie du public était venue pour eux) je dois dire que je n’ai pas ressenti grand chose lors des concerts de Alpes et de Balthazar dont je ne parlerais par conséquent pas plus. Les secondes sont moins grandes et uniquement liées à « l’environnement » : pourquoi diable avoir fait joué les excellents Thousand et The Married Monk (solo) sur une toute petite scène, sous la terrasse principale du château et à l’heure de l’apéro ? La plupart des gens présents à cette heure là étaient au bar, c’est-à-dire au dessus de cette terrasse, n’entendant pas grand chose, et ne pouvant pas non plus voir la scène en question… Et c’est vraiment dommage, parce les sets de Thousand (en version duo avec Olivier Marguerit) et Christian Quermalet (The Married Monk solo) étaient tous les deux d’une grande beauté. Des mélodies aériennes et intemporelles interprétées avec grande justesse pour Thousand (avec, notamment, des extraits de Tous les jours), les tubes audacieux de The Married Monk et quelques reprises, le tout lou-reed-isés pour le second : tous ça aurait mérité un public plus attentif ou, a minima, plus présent.
Venons en aux trois énormes moments de plaisir (pour moi) de cette édition 2014 du YEAH! : Baxter Dury, Tristesse Contemporaine et La Colonie de Vacances. Un pour chaque soir : vraiment bien foutu ce festival !!!
Le premier : Baxter Dury, je dois avouer que j’y allais conquis d’avance, en tout cas, totalement conquis par les trois albums, surtout le dernier, « Happy Soup« , et ses chansons pop (extrêmement) entêtantes. Conquis par les albums, ok, mais du coup, le risque, c’est d’être déçu par les concerts. Il n’en est rien : Baxter Dury et son groupe assurent sur scène avec une prestance incroyable. La basse (un pur son de basse sorti des meilleurs moments des 70’s !) est aussi présente que sur les albums, la choriste / claviériste est exemplaire, et le guitariste qui semble sortir tout droit d’une île déserte, assure comme un malade avec des airs de ne pas y toucher. Le côté doucement provocateur et le charisme enjoué du faux dandy Baxter Dury sont tout à fait adaptés à ses chansons (que je fredonne encore trois jours après le concert) : un vrai grand moment de live !
Le second aurait pu être dans la catégorie « surprises », parce que je ne m’attendais pas à autant d’intensité de la part de ce groupe dont les albums m’avaient parus un peu inégaux… mais le concert de Tristesse Contemporaine a vraiment été le deuxième vrai bon concert de ces trois jours. La grosse différence avec les albums, c’est bien sûr l’énergie distribuée ici sans retenue par le groupe, mais aussi sans aucun doute la présence d’un vrai batteur (l’excellent Jérôme Laperruque) : le son organique des baguettes sur les peaux et cymbales, il n’y a que ça de vrai ! Contrairement à ce que Matthieu avait ressenti lors du Soy Festival l’année dernière, j’ai eu l’impression de voir un groupe sincère et impliqué, avec un bon équilibre entre des mélodies variées, oscillant entre new wave mancunienne et trip hop remuant : hyper efficace ! Le choix judicieux des titres interprétés (et de leur enchainement), et l’attitude détendue (juste ce qu’il faut) du groupe ont fait de ce concert un des plus intenses du festival.
Mais l’intensité est une notion toute relative : le troisième énorme moment aurait pu être dans toutes les catégories tant la recette est osée et l’expérience impressionnante : prenez quatre bons groupes de rock excité (Papier Tigre, Marvin, Pneu et Electric Electric), disposez les sur quatre scènes situées aux quatre points cardinaux de l’espace, mettez un public au milieux, tassez un tout petit peu ce public et faites jouer les quatre groupes ensemble, un par un, par paire ou par trois, vous obtenez un concert de La Colonie de Vacances, et un public complètement hagard qui passe la première partie du concert à tourner la tête pour savoir d’où vient ce gros son, et la seconde partie à danser comme des dingues. Assister à un concert de La Colonie de Vacances est une expérience hallucinante et inoubliable (je ne suis pas près d’effacer de ma mémoire les sons des tom et des guitares qui font un 360° autour de moi)… Une expérience que, de surcroit, il est impossible de renouveller ailleurs que pendant un concert (à moins qu’ils ne sortent un jour un album live enregistré en quadriphonie et que l’on ait le matériel d’écoute adéquat, mais bon !). Il m’est arrivé plusieurs fois de dire que je m’étais « pris une claque » à un concert. Je réserverai désormais cette expression aux concerts de La Colonie de Vacances (parce que j’ai bien l’intention de revoir ce méga groupe dés qu’il repassera par ici).
Impossible de finir ce compte rendu sans parler du DJ set final, assuré par Laurent Garnier (qui est par ailleurs un des trois organisateurs du festival). Et il fallait quelqu’un de sa trempe pour succéder à La Colonie de Vacances avec un DJ set, tant la claque que nous venions de prendre était grande. Pour les deux ou trois premiers morceaux, Laurent Garnier laisse les platines à Dave Haslam (qui avait animé un « pique nique électronique » le midi près du terrain de tennis de Lourmarin !). Pour les plus jeunes, Dave Haslam est un des DJ les plus mythiques du monde : un de ceux qui ont fait la réputation de l’Haçienda à Manchester (et il a tourné, entre autres, avec The Stone Roses, New Order, Depeche Mode, Gorillaz, etc.). Ce début de set est d’ailleurs dédié à la scène mancunienne des années 90. L’échange entre ces deux monstres des platines, et le passage de casque sont assez émouvants : on sent à la fois la joie d’être ensemble sur scène, et le respect mutuel (l’un dansant à l’arrière de la scène pendant que l’autre mixe). La suite du set est constituée d’une sélection intelligente de remixes au cours de laquelle Laurent Garnier explore, sans en avoir l’air, les trésors de sa vaste culture musicale.