Ils ont emprunté leur nom au grand amour de Dorian Gray, Sybil Vane, mais l’ont légèrement twisté, décalé, déformé. Depuis deux ans, c’est ainsi que procèdent également avec la musique les jeunes Nantais Romain Faure et Tony Guerif. Sur son second (doux) effort discographique après le EP inaugural “Far from your Doorstep”, le duo poursuit son exploration d’un folk moderne dont les influences revendiquées sont Bon Iver et Sufjan Stevens. On y ajoutera volontiers les grands magiciens du rock agreste Conor Oberst (Bright Eyes) et Andrew Bird, que l’on “entend” d’ailleurs dès le morceau d’ouverture “Hundred”, premier sommet d’un album à la finesse d’écriture et à la sensibilité vocale rares, inaugurant un voyage en apesanteur bien loin des terres musicales déjà retournées et labourées dans nos contrées.
Intimistes et mélancoliques, produites et arrangées avec audace et subtilité, les huit plages de “L’Origine du bleu” alternent ainsi entre ballades aux chicanes inattendues et longs morceaux voyageant sur les crêtes d’une inspiration chatoyante et continue. La base rythmique capiteuse, assurée par Tony, enrobe de coton des guirlandes de guitares et des notes éparses de piano qui, comme les mélodies vocales si finement ciselées, sont l’œuvre de Romain. Et là est la stupeur ! Étonnament à son aise dans des aigus vertigineux, inspirée et capable de modulations toujours justes et souvent surprenantes, la voix de Romain Faure évoque immanquablement Neil Young à ses plus belles heures, ou bien encore, c’est une évidence sur le titre “On a Knife Edge”, un certain Thom Yorke.
Mise en avant, parfois vocodée ou autotunée – avec bonheur –, séraphique, spectracle ou synthétique, cette voix connaît peu d’équivalents en France dans le paysage de la pop moderne au sens large… Sur “Cause of Concern”, long morceau calé au milieu de l’album, le plus “sufjanesque” du disque, ce chant de velours ondule sur des guitares carillonnantes, qui menacent parfois de perdre l’équilibre mais jamais ne trébuchent… Sur la chanson précédente, “Bolt from the Blue”, qui convoque l’âme de Leonard Cohen, le rythme brut et entraînant nous emmène sans répit jusqu’à un finale de cordes métalliques et vrombissantes qui laisse pantois.
Plus loin, “Access to Tools” s’appuie sur une progression harmonique à la guitare pour agglomérer petit à petit plusieurs couches superposées d’instruments puis, au centre de cette forêt touffue, fait apparaître une clairière ensoleillée où s’ébroue la voix quasi nue, angélique, de Romain. “Lens of Self”, qui comme son titre l’indique s’adonne à une profonde exploration introspective, fait assaut de chœurs et d’échos de voix, s’appuyant sur des harmonies au Vocoder du plus bel effet… Enfin, “National 165”, la longue ballade de clôture, est forcément mélancolique, d’une (fausse) simplicité désarmante et touchante, portée par des arpèges de guitare ultra-soyeux. “I think I’m alone”, croit-on y entendre à plusieurs reprises… Seul ? Peut-être, oui, mais sans doute plus pour très longtemps.
David Guérin