Dans son quatrième album solo, le coleader de Balthazar explore avec délicatesse et tout en fulgurances surréalistes les complexités de la psyché humaine. Et creuse un sillon singulier, nourri de sa passion pour Leonard Cohen, Lou Reed ou Tom Waits.
On entre dans Karaoke Moon et on se sent tout de suite en terrain connu, comme si l’on découvrait, ébahi, un titre inédit de Leonard Cohen. Une impression juste, puisque Maarten Devoldere ne cache pas son amour pour le songwriting du Montréalais, mais qui se dissipera rapidement dans la richesse et la variété de ce quatrième album solo du belge cofondateur de Balthazar. Dès ce premier titre, Where the Names Are Real, l’écriture ciselée et littéraire fait mouche (“We’re a strip club, honey, where the names are real”, et tiens, ne serions-nous pas un peu déjà dans un imaginaire à la Lou Reed ?), et l’on comprend vite que la distance et l’ironie contenues dans les textes ne sont ici que pudeur, pour raconter avec une profonde sincérité les dialogues intérieurs et les conflits de l’âme et du cœur.
Élaboré dans un grenier à Bruges par ce stakhanoviste de l’écriture (qui a déjà paraît-il un album d’avance), Karaoke Moon comprend dix titres où, dixit l’artiste, le lâcher-prise, le surréalisme à la Magritte et l’étude du subsconscient (Devoldere a récemment suivi des séances marquantes d’hypnothérapie) ont guidé ses pas. Si les lyrics, sans doute écrits sous l’influence de l’écriture automatique chère aux surréalistes, sont remplis d’images fulgurantes (comme la karaoke moon du titre), les arrangements sont modernes et élaborés, et comme chez Balthazar, dont le style doit beaucoup à Devoldere, la musicalité est évidente, les mélodies, subtiles, se dévoilent avec élégance, les ambiances sont captivantes et miroitent de multiples reflets (à la console, le producteur attitré de la scène indé belge, Jasper Maekelberg, réussit un travail d’orfèvre). Et puis il y a ce timbre de voix assez unique, et une façon de parler-chanter singulière qui cimente l’identité de l’ensemble.
Des chœurs inspirés, parfois féminins avec la participation de Sylvie Kreusch, parfois réalisés par Devoldere lui-même, parsèment les morceaux, comme la ballade No Surprise (“No surprise, it’s what happens when you live like a saint”, faites-en ce que vous voulez), une chanson d’amour torturée qui pourtant s’envole avec légèreté. Outre l’ombre de Leonard Cohen et Lou Reed, celle de Tom Waits apparaît clairement sur certains titres, comme… Jim Morrison (“I am 35 and I’m very much alive, I mean Jim Morrison was just a little kid when he died”), longue mélopée jazz un peu s(a)oul où vient même s’inviter un saxo rouillé, ou la valse Hands of a Clock, sommet de poésie urbaine et lyrique que ne renierait pas le New-Yorkais.
Les références sont nombreuses car l’homme est curieux et passionné, son imaginaire artistique vaste, sa culture immense. Son panthéon comprend aussi Gainsbourg, dont les ballades l’inspirent, Bowie auquel il fait judicieusement allusion dans The Winning Numbers, une charge contre la gloire formatée, et au-delà la vie conformée (“They’ll tempt you with new ideas David Bowie had ages before you”), et l’on croit même entendre parfois des réminiscences des musiques que Philippe Sarde a composées pour Claude Sautet. Ces influences multiples, parfaitement digérées, n’empêchent pas l’ensemble de sonner de façon unique, car toujours la touche Warhaus se distingue dès les premières mesures de chaque morceau – ce n’est pas donné à tout le monde. Si le prochain album est effectivement écrit, on est déjà impatient de l’entendre.
En concert le 19 mars à Paris (Olympia), les 31 mars et 1er avril à Bruxelles (Ancienne Belgique), le 23 avril à Nantes (Stereolux), le 24 à Bordeaux (Rock School Barbey)…