Le récent passage de Geordie Greep à la Gaîté Lyrique, à Paris, méritait bien une séance de rattrapage discographique.
A voir Geordie Greep se lancer dans un solo de guitare navigant généreusement sur la gamme pentatonique lors d’un bœuf joué en introduction de son récent concert à la Gaîté Lyrique, on est en droit de se poser une première question. Que s’est-il passé depuis le moment où il se contentait de marteler inlassablement un si grave (la note) en étouffant rageusement les cordes de son instrument sur “bmbmbm“ avant de nous assourdir dans un déluge de larsens avec le reste de Black Midi ? Un début de réponse se trouve sur son premier album solo, “The New Sound“, où l’on observe que le math-rock mène au jazz et aux musiques brésiliennes. Un revirement qui peut surprendre, mais ce disque déborde quand même de dissonances, et sûrement pas là où vous vous y attendez.
Il convient de revenir sur l’éphémère trajectoire du groupe Black Midi, lancé en 2019 par la force d’un premier disque où un son post-hardcore avait su captiver les amateurs de néo-postpunk comme les observateurs pointilleux de la scène noise. Puis, dans un geste qui tient autant de l’autodestruction que de la reconstruction, Black Midi s’est réorienté vers une sorte de rock progressif en se laissant emporter par un trop-plein de pyrotechnie sur “Cavalcade“ et “Hellfire“. Entre-temps, le guitariste Matt Kwasniewski-Kelvin est parti suite à des problèmes de santé mentale et le groupe est entré dans un hiatus dont on ignore encore s’il prendra fin. Sans plus attendre, Geordie Greep est allé enregistrer “The New Sound“, en faisant un détour par le Brésil avant de rentrer à Londres.
Sur le premier single, “Holy, Holy“, Geordie Greep prend tour à tour les apparences d’un crooner, d’un chef d’orchestre effréné, d’un guitariste soliste, d’un compositeur imprévisible qui serait capable de produire tout et son contraire. On écoute les paroles, l’histoire pathétique d’un type imbu de sa personne, se perdant dans sa propre folie, entamant une relation tarifée avec une femme rencontrée dans un nightclub imaginaire. Sur “Motorbike“, chanté par le producteur Seth Evans, il imagine un type fier de sa moto avant de partir à toute berzingue sur l’autoroute du n’importe quoi. Avec “Walk Up“, un titre prévu initialement pour “Hellfire“, une sortie de route infernale nous plonge pendant quelques minutes dans un crossover entre The Mothers Of Invention et Shellac.
Geordie Greep trouve une sorte de point d’orgue avec les très généreux “As If Waltz“ et “The Magician“, durant respectivement 8 et 12 minutes. Deux longues plages sonores où sont conviées une bossa nova psychotique, une ritournelle désuète, une rumba désespérée, une pop décadente composée sur plusieurs strates de guitare, des basses rondes et des polyrythmies dissonantes. Sur une scène digne de Broadway, les narrateurs s’accrochent comme jamais à leur fantasme de grand déballage de masculinité toxique. On pense à Zappa qui n’était pas en reste pour convier le rock, le jazz et le doo wop en mettant en scène des personnages outranciers. Aujourd’hui, “The New Sound“ compose avec la splendeur de la pop comme pour mieux mettre en évidence la vanité d’un tel spectacle, quitte à prendre le risque d’aboutir au résultat inverse en se complaisant dans la représentation de sa propre vacuité.