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Track by track – “Le Prince de cendres” de Hum Hum

On a plus l’habitude de les retrouver de part et d’autre de la caméra (devant pour elle, derrière pour lui), mais la Belge Sophie Verbeeck et le Français Bernard Tanguy (alias BT93) font aussi depuis quelques années de la musique ensemble sous le nom de Hum Hum. Après un EP en 2018 et un premier album, “Traversant”, en 2021, les voici de retour avec le deuxième, “Le Prince de cendres”.
Accompagné de brillants musiciens (François Poggio, Patrick Goraguer…), le duo mêle sons électroniques et acoustiques (guitare, cordes, trompette…) sur onze morceaux (dont une ouverture et un prologue) aux mélodies accrocheuses, aux textes forts et aux arrangements ambitieux.
Nous leur avons demandé de les décortiquer pour nous : Sophie nous parle des textes et Bernard de la musique.

A noter que Hum Hum se produira le 20 décembre à la Boule Noire, à Paris.


Sophie : Cette ouverture arrive d’un territoire vierge de présupposés, vierge de souillure. Elle vient déposer les premières notes d’une histoire singulière dans le temps et dans l’espace. Elle est porteuse d’espoir.

Bernard : Musicalement, ce morceau est supposé nous mettre dans les bonnes dispositions mentales pour écouter la suite : ce sera donc un album de prog-pop avec des synthés 70s, du piano, de la trompette, des violons, une rythmique humaine (basse, batterie) et une touche de beats numériques. Si on n’aime pas la prog-pop, on est mal barré pour écouter la suite :-)… Si on est fan, on espère que l’album sera une découverte appréciée.


S. : Anne Dufourmantelle. Je ne la connaissais pas mais elle m’a touchée profondément. De ses livres, de sa parole et de sa présence, je garde la tendresse, l’intelligence et l’écoute bienveillante. Elle a écrit des choses sur le risque que l’on peut encourir pour l’autre et ses hantises semblent avoir attrapé quelque chose de l’ordre de la prophétie : elle a perdu la vie en essayant de sauver celle de quelqu’un d’autre. 

(NB : En juillet 2017, la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle – mère de la chanteuse, romancière et poète Clara Ysé -, autrice du livre prophétique “L’Eloge du risque”, a perdu la vie en essayant de sauver un enfant de la noyade. Cet événement tragique a inspiré la chanson ”A” en étant la source d’une libre rêverie autour de deux thèmes : le fait que certaines personnes soient en mesure de sentir quelque chose de l’ordre du destin avant même qu’il n’advienne et le courage des êtres qui sans réfléchir et comme une évidence spontanée risquent leur vie pour un•e autre.)

B. : Peut-être le morceau le plus évident de l’album. Le synthé en avant, les petites notes de basse slappée, les envolées de violon, la voix parlée qui alterne avec la voix chantée. J’ai passé mon temps à supprimer des couches pour aboutir à un arrangement au final assez dépouillé et rythmé. Je pense que ça va être assez sympa de jouer ce morceau en live.


S. : L’histoire du poison qui ronge une histoire d’amour. Ce point de non retour où il n’y a plus d’écoute plus de compréhension entre deux êtres que tout reliait et qui se retrouvent désormais comme d’absolues adversités. Et cette phrase de Fitzgerald : « La vie est une lente entreprise de démolition. »

B. : Sophie m’avait dit, « j’aimerais un morceau qui sonne un peu comme ceux de Sia ». Ça a donné ”Le ver s’est glissé” qui ne sonne absolument pas comme un morceau de Sia mais qui lui plaît quand même :-). Perso, j’aime bien le petit riff de violon et le solo de trompette à la fin. Le morceau sortira en single en début d’année prochaine. On a un clip sympa avec les musiciens qui est déjà tourné et qui reste à monter.


S. : Mon père. J’ai tenu ses cendres contre mon ventre. La sensation de ne plus percevoir la réalité quand les êtres que vous aimez le plus au monde vous échappent. Chemin de deuil qui vous transforme définitivement. Les choses et les êtres sont fragiles. 

B. : Une chanson qui m’émeut particulièrement, ayant moi aussi perdu mon père récemment. C’est le morceau le plus « chanson française » de l’album, avec la voix en avant et la guitare acoustique. Il y a plusieurs atmosphères musicales dans les accompagnements, tantôt une nappe d’orgue Hammond, tantôt du piano avec du violon. Le pont rock nous emporte encore ailleurs, car le décès d’un proche peut aussi procurer un sentiment de révolte et d’incompréhension. C’est un morceau qui se prête bien à une interprétation piano-voix, on le joue parfois comme ça chez moi avec Sophie et j’ai reçu récemment les félicitations d’une voisine, mais je vais quand même mettre la sourdine. 🙂


S. : Plus qu’une maison, c’est un espace mental. Ce qu’on bâtit avec son cœur et son intelligence pour que « l’amour résiste à nos ravages ». 

B. : J’aime beaucoup le texte de Sophie qui me procure des images instantanément. On a tourné un clip en une nuit dans la datcha de notre amie commune Dinara Drukarova. Vous verrez le résultat prochainement. Musicalement, les inspirations sont plus new wave avec une basse lourde monolithique dès l’intro et une nappe synthétique à la Visage. Il y a à la fin un solo de guitare de François Poggio. J’aimerais contribuer à réhabiliter les solos de guitare qui ont à mon grand désappointement complètement disparu de la musique actuelle. Mais ce qui a vécu vivra encore, rappelez vous la “courbe de hype” qu’il y avait dans “Les Inrocks”. Selon cette courbe, Hum Hum pourrait être à la fois rétro et précurseur de tendance !


S. : Parce que ce monde est dingue, irrationnel et brutal, un des plus beaux garde-fous est le lien avec la nature et les bêtes. L’homme ne surplombe réellement rien, il me semble. Il est une bête parmi tant d’autres. Des oiseaux dans ma tête, c’est le ressenti du poète, celui qui voit peut être la réalité telle qu’elle est, parce qu’il ressent le lien. Malheureusement le poète passe souvent pour un•e fou•folle. 

B. : Au moment de l’enregistrement, Sophie en parlait comme « la chanson Radiohead » car ça lui rappelait un peu le son du groupe de Thom Yorke. C’est une composition sur ordinateur qui repose sur un petit riff de synthé et une basse très présente. C’est un exemple de morceau, comme “Evita” plus loin, où le piano n’est pas intervenu en phase de composition. J’aime beaucoup le texte de Sophie et la fragilité du personnage. J’ai chanté des chœurs sur la maquette qui faisaient « na na na na na na na na » et Sophie les a aimés, alors je les ai gardés. Comme pour le « ho ho ho ho ho ho » du “Ver s’est glissé”, je me retrouve à faire des chœurs un peu naïfs ou enfantins. Moi j’aime bien ! 🙂


S. : Pourquoi, quand une femme a beaucoup de pouvoir, la société humaine a-t-elle tendance à la salir ? Pourquoi la société humaine a tellement peur des femmes et de leur puissance et de leur force ? Destins miroirs : Eva Peron et Eve. Saintes et sorcières de leurs temps. 

B. : Mon morceau préféré de l’album, qui est resté 100 % numérique et qui sonne quasiment comme sur la maquette. C’est le seul morceau dansant du disque avec un refrain que j’ai voulu mystérieux et entraînant. J’aime bien l’electro aussi quand il y a des harmonies sympas, par exemple chez Air. Je rêverais de voir des foules en transe sur le dancefloor au son d’“Evita”, c’est mon fantasme (qui pour l’instant reste un pur fantasme).


S. : L’instinct. Le nez, l’écoute et non pas les yeux. La pensée guidée par la sensation. L’être humain est fait de poussières d’étoiles. Un jour, j’ai appris que l’or venait du ciel. Toujours se battre pour la lumière, pour cette lueur au milieu de la grande nuit des hommes. Être un•e soldat•e de la lumière. 

B. : Le morceau le plus “progressif” de l’album, avec trois parties bien distinctes. La musique de la première partie est inspirée d’une chanson que j’avais composée pour mon premier groupe Scénario en 1987. Les autres parties sont des créations originales composées au piano. C’est la seule chanson avec “Evita” où la rythmique est restée numérique. J’adore la voix de Sophie sur cette chanson qui sort avec talent de sa zone de confort, notamment dans les parties 2 et 3.


S. : Les promenades avec mon chien. Les solitudes croisées. 

B. : J’ai un faible pour cette chanson, la plus gaie de l’album, dans laquelle le Prince de cendres refait son apparition sous forme de fantôme. Le refrain m’a demandé des jours entiers de labeur, juste pour arriver à le faire sonner. Une colocataire qui n’en pouvait plus s’en souvient encore ! A ne pas manquer, le solo de trompette à la fin et le pont où je m’imagine en « ténor léger ». 


S. : Être soi-même avec un•e autre. Avoir une relation réelle et non pas sociale. Ce n’est pas si évident. Ressentir l’autre au delà de ce qu’il ou elle dit de lui. Possibilité d’une communion silencieuse entre deux personnes. 

B. : “Poetry” était sorti sur notre premier EP dans une version accélérée joliment arrangée par Frédéric Lo. Cette version-ci est plus proche de la maquette originale. A l’origine, j’avais voulu faire un vrai slow langoureux à la Korgis. C’est un autre fantasme, composer une chanson qui deviendrait un standard des séries de slows, mais de toute façon il n’y a plus de slows dans les soirées. Je suis assez content des vrais violons qui s’élèvent vers le milieu de la chanson et du solo de guitare à la fin : encore une fois, il faut réhabiliter les solos de guitare !


S. : La conclusion se passe de mots. Ian Curtis met ”The End” des Doors [ou l’album “The Idiot” d’Iggy Pop selon plusieurs sources, NDLR] et se pend. Et le soleil se lève à nouveau. La ronde immuable du vivant ! 

B. : Un thème de piano en clair-obscur. Ni triste, ni gai, juste la vie. Des arrangements prog-pop avec l’orgue Hammond et le synthé Solina (utilisé par Pink Floyd et Air) et des nappes de violons romantico-tragiques un peu comme dans “Melody Nelson” de Gainsbourg. Et la fin nous emporte dans une grande vague de l’océan Atlantique au milieu d’un feu qui crépite. L’eau et le feu, déjà croisés dans plusieurs chansons de l’album.


Photo : Charlotte Tanguy.



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