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Disques

Superbravo – La Digue

Miniatures pop fractales et fracturées entre classicisme et kaléidoscopisme. Le rêve, la poésie à son meilleur dans cet art mineur de la chanson en français. Superbravo, what else?

Lorsqu’il a été question d’envisager de, peut-être, si c’était possible, faire une liste des disques marquants des vingt-cinq ans de POPnews (soit l’enfer absolu : LA Liste), une chose était sûre et ne souffrait d’aucune ambiguïté : il y aurait Superbravo. Une certitude donc dans un monde branlant.

Mais, (retour du) casse-tête chinois : lequel ? Parce qu’on ne veut pas choisir dans cette poignée de petites merveilles de pop en français, sans doute parmi les meilleures douceurs poétiques, mélancoliques et joyeuses jamais produites en hexagone, soit “L’Angle vivant” (2017) et “Sentinelle” (2020).

S’il y avait une idée de perfection dans la foi absolu de quelques maigres moyens, dans un esprit de DIY, de simplification dégraissage, “La Digue” du désormais duo Superbravo, Armelle Pioline et Michel Peteau (exit Julie Gasnier donc, ex-troisième voie poétique) explose cette fois ses anciens modes de production en pratiquant le cut-up, l’assemblage hétéroclite, les brisures. D’où un album plein de recoins, de revirements, de détails étranges, un peu plus plein, un peu plus bordélique aussi. On est ainsi sans cesse surpris par un détail de production, un éclat qui vient non pas déranger l’écoute mais relancer l’attention : un clavier qui vient jouer quelques notes, une guitare qui part subitement en vrille, des enregistrements field recordings pleins d’échos ou, au contraire, une batterie bien carrée et mate qui surgissent.

“La Digue” a cédé donc, bienvenue en plein espace poétique où on ne se refuse rien. À commencer par des textes joueurs d’Armelle Pioline, en forme olympique plutôt olympienne.

Des déesses en invoquent d’autres, comme Armelle en épiphanie devant Elli à l’Huma (très beau clip dessiné par Matt Haskehoug). On sent comme des sous-textes cachés, des tunnels sémantiques qui zèbrent les compositions. N’y a-t-il pas comme un clin d’œil à Murat, en extase devant le galurin de PJ à la Route du Rock ?

La Digue, rêverie cauchemardesque sur les errances politiques des censeurs radiophoniques (voire sur les errances politiques de nos chers représentants, de nous-mêmes aussi) ne renvoie-t-elle pas aux hallucinations d’une Brigitte Fontaine ?

Faire corps reste opaque. S’agit-il de donner voix à une figure féminine peinte ? Voix et identité absentes et présentes. Est-ce une odalisque ? Un très beau corps de femme sans tête (suivez mon regard…) ? En tout cas, d’autres signes passent, travaillant les sons. Faire corps c’est aussi  Vercors et “Le Silence… de la mer” (mère ?). Tout cela travaille donc dans les textes et il s’agit de prendre la tangente, comme avec la musique, de suivre des pistes, de les abandonner, d’en expliciter certaines, de laisser d’autres dans le brouillard.

Si on peut retrouver l’atmosphère des films 60s de François Truffaut au hasard des entrelacs de guitares (Le Lac d’Oo), on restera plus circonspect sur la démissionnaire de la musique qui embrasse la carrière politique dans La Win.  La figure reste pour nous fantomatique (n’est-ce qu’une idée de celle qui abandonne les armes musicales pour celles des rengaines rhétoriques ?). Cela viendra plus tard peut-être. Ou pas.

D’autres fois, Armelle Pioline est plus explicite comme dans Chanson tremblée, pêche miraculeuse à la chanson, ou dans Deux, opposant rigueur comptable mathématique et sentiments infinis (pour un Cheval-Fou de bois sans doute).

Pochette du single Elli

Que dire de plus à part que, s’il faut faire notre deuil de Superbravo, période trio, et des voix entrelacées de Pioline et Gasnier, “La Digue” est encore un album vraiment solaire (La Tangente, chef-d’œuvre), aussi bricolé que malin, et joli (merci Julien Bourgeois pour le design de l’album et Stéphanie Lacombe pour les photos notamment du single Elli), ses créateurs ayant à la fois parfaitement conservé leur âme d’enfant, joyeuse et pétillante, mais aussi atteint une réelle maîtrise de leur art. Quelle (anti)carrière !

Avec l’aide de Johanna D.ig !

La Digue” est sorti le 11 octobre en numérique, CD et LP chez Marelle Musique/l’Autre Distribution.

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