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Festivals

La Route du rock, Saint-Malo, du 15 au 17 août 2024

Avec 21 000 entrées payantes, la Route du rock affiche une fréquentation supérieure aux éditions été 2023 (2 500 de plus) et, surtout, 2022 (8 000 de plus). Un nombre de spectateurs réparti assez équitablement entre les trois soirées au Fort de Saint-Père, même si le vendredi a peut-être légèrement souffert des fortes pluies à l’ouverture des portes, dissuasives pour ceux qui n’avaient pas encore pris leur billet. Les organisateurs espèrent d’ailleurs pouvoir drainer l’espace devant la seconde scène, comme cela avait été fait il y a quelques années devant la grande, évitant ainsi champs de boue et flaques géantes en cas de grosses intempéries. Aléas météo mis à part, le site s’est avéré plutôt agréable, avec une nouvelle zone enherbée et arborée près de l’entrée pour les afters (qu’on n’a pas eu trop le courage de faire, mais le lieu était plaisant). Et la programmation, à la fois excitante et équilibrée sur le papier, a tenu ses promesses malgré deux annulations le dernier jour.


C’est l’Australienne Enola qui lance les hostilités sur la scène des Remparts. Avec sa veste Adidas noire et ses cheveux décolorés, elle ressemble à une athlète de RDA qui aurait profité des JO pour fuir le pays. Nous ne sommes donc pas en 2024, et d’ailleurs sa musique aux sonorités postpunk ou parfois indie rock à guitares saturées évoque plutôt un glorieux passé. Ses chansons sans grande fantaisie mais puissantes sont portées par l’une de ces voix qui vous transperce dès les premières notes, comme celles de Patti Smith ou PJ Harvey. Le peu d’interactions avec ses musiciens (même si elle les présentera chaleureusement à la fin) semble trahir une artiste solo accompagnée pour la scène, mais l’intensité de sa performance n’en souffre pas. Une artiste à suivre – peut-être pas jusqu’à Melbourne, mais on espère qu’elle continuera à tourner en Europe.

La tension ne retombe pas avec Kae Tempest sur la grande scène. Aux claviers et machines, une musicienne très souriante fournit davantage qu’un simple tapis sonore au flow à la fois impétueux et millimétré de l’Anglais•e, qui parfois s’interrompt pour laisser place à des séquences instrumentales particulièrement réussies. Reste que de toute l’histoire de la Route du rock, ce sera sans doute le concert où le plus de mots auront été prononcés… Même avec un niveau d’anglais correct, difficile de tout saisir à cette logorrhée, mais la forte présence scénique de l’artiste et quelques formules choc saisies à la volée emportent le morceau.

Le trio de Brooklyn Nation of Language a deux atouts de poids : à gauche, une claviériste dont le charme indéniable ne doit pas faire oublier que l’essentiel de ce qu’on entend vient de ses instruments ; au centre (bon, en fait il arpente toute la scène), un chanteur au charisme tout aussi indéniable. A droite, le bassiste est plus en retrait mais ne semble pas s’en plaindre. Le groupe livre une synth pop référencée mais plaisante, parfois étoffée par quelques accords de guitare (qu’on aurait aimé entendre davantage), et a l’air vraiment content d’être là. Cela suffit à notre bonheur pendant trois quarts d’heure.

Musicalement, on monte clairement de quelques crans avec Slowdive, qui va faire planer le public pendant une bonne heure en mêlant morceaux anciens et récents. Entre mélodies pop catchy (“Kisses”, “Alison”) et explorations sonores (le toujours terrassant “Souvlaki Space Station” ou ce “Golden Hair” emprunté à James Joyce et Syd Barrett qui conclut traditionnellement leurs concerts et sur lequel Rachel Goswell s’éclipse discrètement une fois qu’elle a fini de chanter), le groupe nous berce sans nous endormir. Magnifique.

Faisant partie comme Slowdive des nombreux artistes à être déjà venus au festival, The Kills livrent en 70 petites minutes le concert auquel on s’attendait, moins sauvage qu’à leurs débuts mais musicalement plus varié. Le duo commence par le commencement, soit “Kissy Kissy” tiré du premier album, opener de cette tournée alors qu’ils démarraient par “No Wow” sur la précédente (morceau qu’ils ne joueront pas, d’ailleurs). L’accent est mis sur leur dernier disque et, plus largement, sur le côté un peu plus pop de leur musique avec des titres comme “Black Balloon”, “Baby Says” ou “My Girls My Girls”. Mais le jeu nerveux et sans gras de Jamie, le spectaculaire jeté de cheveux d’Alison et les rythmiques électroniques minimalistes font toujours leur effet, plus de vingt ans après leurs débuts.

La performance de Backxwash, dont on a manqué les première minutes, nous paraît d’abord bien mystérieuse : on entend quelqu’un rapper sur une musique plutôt bruitiste et agressive, avec des projections en fond de scène, mais de loin on ne voit personne, juste un pied de micro… On finit par comprendre que la rappeuse zambo-canadienne transgenre, au visage peint, a décidé de commencer son concert au milieu du public. On la laisse poursuivre, pour nous la pause s’impose.

En début de soirée, on avait assisté à un échange amusant au-dessus des bacs du disquaire installé sur l’un des stands du festival. L’un des vendeurs s’était retrouvé face à l’un des frères Dewaele et, plus étonnant, Igor Cavalera, ancien batteur de Sepultura, fouillant côte à côte dans les vinyles. Et avait demandé au second de dédicacer un disque de son groupe (était-ce pour lui, ou l’a-t-il ensuite revendu le triple du prix ?). Quelques heures plus tard, on constate qu’Igor est bien l’un des trois (!) batteurs de Soulwax. La scénographie entre Kraftwerk et “L’Académie des neuf” est toujours aussi impressionnante, le son impeccable, les séquences enchaînées à la façon d’un grand mix, il manque juste des chansons un peu plus mémorables.


L’après-midi pluvieux ne semble pas très propice à un concert sur la plage de Bon-Secours, mais heureusement, alors que les deux DJ du warm-up enchaînent Daho, Mikado et Bikini Machine, l’averse se calme, ce qui permet à Aline de leur succéder. Heureux de se produire enfin au festival, le quintette reformé nous régale de son impeccable pop à guitare et de ses saillies drolatiques, faisant sans doute quelques nouveaux adeptes parmi les baigneurs – en tout cas, ceux qui ne s’appellent pas Marc.

La pluie repartie de plus belle, un accident sur la route et des embouteillages : ces faits a priori liés nous font manquer le concert de Deeper, dont on se demande s’il a attiré beaucoup de monde vu les conditions météo. Il pleut encore beaucoup pour Bar Italia, cependant avec un poncho et des bottes c’est supportable. Le concert met un peu de temps à démarrer mais le fait vraiment avec l’enchaînement “Nurse!” et “Punkt”. La chanteuse Nina Cristante ne tient pas en place, ce qui contraste avec l’attitude du reste du groupe, confinant parfois à la nonchalance, mais sans excès. “Worlds Greatest Emoter” conclut avec énergie ce concert de 12 morceaux et 45 minutes, vraiment trop court.

On espérait que pour sa troisième venue, Blonde Redhead allait enfin avoir du soleil. Eh bien c’est raté, mais heureusement il ne tombe plus que quelques gouttes et les conditions sont donc bien meilleures que les deux fois précédentes. Passé les deux ou trois premiers morceaux d’échauffement, le trio tourne à plein régime et livre l’un des shows les plus enthousiasmants de cette édition. Si la formation s’est quelque peu assagie sur disque, sur scène l’interaction entre Kazu et les jumeaux Pace dégage toujours quelque chose d’unique, un mélange de tension, de sensualité et d’abandon dans des morceaux en forme de crescendo émotionnel. Outre “Sit Down for Dinner” sorti l’an dernier, la setlist, qui fait l’impasse sur plusieurs albums, accorde une grande place à “Misery Is a Butterfly” et “23”, peut-être les deux sommets des New-Yorkais. Un sans-faute.

On avait pu constater il y a six ans, au même endroit, qu’un concert d’Etienne Daho à Saint-Malo n’était pas tout à fait comme les autres. C’est d’ailleurs lui qui a demandé à revenir, après une tournée des Zénith et autres grosses salles. Si la voix peine parfois un peu, le chanteur peut compter sur un public de tous âges pour reprendre ses tubes en chœur, où le nom de la ville remplace parfois d’autres lieux dans les paroles (et même si elle a quasiment cessé, on esquisse un sourire en entendant “Saint-Malo sous la pluie” dans “Week-end à Rome”). Quelque part entre le bar cuir pour seniors, les néons de Las Vegas et le “’68 Comeback Special” d’Elvis, la scénographie, tout en lumières et écrans vidéo, est magnifique, notamment quand apparaît le visage de Vanessa Paradis pour le duo virtuel “Tirer la nuit sur les étoiles”. Au groupe composé de fidèles (François Poggio, Jean-Louis Piérot…) s’ajoute un quatuor de cordes qui permet de rendre toute la splendeur de morceaux comme “Le Dernier Jour du reste de ta vie”. Une fois de plus, un très beau moment de communion, nostalgique mais pas seulement.

On suppose que la plupart des spectateurs venus uniquement ou essentiellement pour Daho ne sont pas restés très longtemps au concert de Debby Friday. La musicienne canadienne née au Nigeria nous fait un peu le même effet que Backxwash la veille, avec quand même une plastique plus avantageuse, davantage de monde sur scène et un peu de mélodie sur la fin.

Gros contingent canadien cette année, puisque sur la grande scène lui succède Metz, un power trio pratiquant un post-hardcore noisy frontal, brutal et abrasif, qui ne fait pas de quartier, à la grande joie d’un public déchaîné. Les plus prudents ou fatigués écoutent et regardent ça d’un peu plus loin.

On n’est pas sûr d’avoir très bien compris ce que les Anglais de Fat Dog, qui clôturent ce vendredi, cherchent à faire. Parfois excitante, indéniablement originale, leur espèce d’électro-punk balakanisant nous paraît souvent indigeste. L’écoute de leur premier album, qui sort le 6 septembre, permettra peut-être de mieux cerner les intentions de Joe Love (c’est son vrai nom), chanteur-harangueur en survêtement.


Les annulations de José González (annoncée quelques jours plus tôt) et celle des Beach Fossils (connue, elle, le jour même, le chanteur ayant de gros problèmes de dos) rebattent les cartes de la programmation de ce dernier jour. Clarissa Connelly, déjà vue en trio dépouillé sur la plage, rempile ainsi au Fort quelques heures plus tard. On reprend du rab avec plaisir tant ses compositions, qui jettent des ponts entre les musiques sacrées ou traditionnelles, les singers-songwriters les plus libres des années 60-70 (Joni Mitchell, Laura Nyro…) et quelques aventurières d’aujourd’hui (Julia Holter, Julianna Barwick…) s’avèrent fascinantes, portées par une voix impressionnante, capable de toutes les acrobaties. Une des belles découvertes de cette année.

Timber Timbre, qui remplace José González, se produit en duo. Taylor Kirk, avec une magnifique guitare, est accompagné d’une claviériste-choriste. Faute de combattants, c’est donc la veine la plus minimaliste, celle solo ou quasi des débuts, qui est à l’honneur. Dommage, car même si la qualité des chansons est indéniable, on aurait aimé entendre les arrangements un peu plus riches des derniers albums. De toute façon, on n’assistera qu’au début et à la fin du set, notre conscience professionnelle nous intimant de nous rendre à l’espace presse pour la conférence de fin de festival.

Astral Bakers est une sorte de supergroupe français dont les musiciens ne sont pas extrêmement connus dans la mesure où ils accompagnent le plus souvent divers chanteurs ou chanteuses. Bougies (éteintes), tapis persans, tenues décontractées et tentative de faire chanter le public : le quartette, aligné sur la scène
– même la batteuse –, affiche un esprit cool et collégial. Un petit côté Crosby, Stills, Nash & Young (sans les batailles d’ego, on présume) pour des chansons au charme indolent, rugueuses juste ce qu’il faut. Reconnaissons quand même que la meilleure est une reprise, franchement inattendue : “Cherry-Coloured Funk” des Cocteau Twins, chantée par la bassiste Theodora avec des chœurs masculins évidemment absents de la version originale. Pari osé, et belle réussite.

Air était sans doute l’une des plus belles prises de cette édition, et vu le succès de leur tournée internationale pour les 25 ans de “Moon Safari”, on peut supposer que la plupart des spectateurs étaient venus pour eux. Après Soulwax le jeudi et Daho la veille, voici encore une installation impressionnante : à l’image du « surcadrage » au cinéma, Jean-Benoît Dunckel, Nicolas Godin et le batteur Louis Delorme évoluent dans une sorte de boîte posée sur la scène, une galerie des glaces lumineuse où se reflète leur image. Arrivés sur une composition de Steve Reich diffusée par la sono, les musiciens restent assez statiques, mais on n’est pas non plus venus écouter du skate punk, et musicalement le concert frôle la perfection. Après avoir déroulé l’intégralité du premier album, dans des versions s’éloignant parfois un peu du disque, les musiciens offrent cinq titres en bonus dont “Highschool Lover”, la version instrumentale du fameux “Playground Love”, et une paire d’extraits de “10 000 Hz Legend”, “Don’t be Light” et “Electronic Performers”, qui dévoilent une face un peu plus sombre et étrange du duo versaillais.

Protomartyr fait partie des quasi-abonnés de la Route du rock et, selon les organisateurs, le groupe de Detroit était très content de revenir en terres bretonnes. D’une apparition à l’autre, on peut constater l’évolution physique du chanteur Joe Casey, qui ressemble de plus en plus à un mélange de Depardieu jeune et vieux. Eructant ses textes pleins d’images étranges et de références historiques à la façon d’un pilier de comptoir érudit, il est toujours aussi bien accompagné par un groupe (augmenté d’un membre qui joue quelques parties de claviers et de guitare) puissant, sec et tendu. Le concert s’ouvre par le maussade et magnifique “Maidenhead” qu’on met un petit moment à reconnaître tant le son est massif, avec la guitare curieusement sous-mixée. Suivront 14 morceaux tirés de tous les albums, comme autant de décharges d’adrénaline : ”The Devil in His Youth”, “Feral Cats”, “A Private Understanding”… On en ressort comme toujours sonné et heureux.

Les Meatbodies s’inscrivent dans une veine néo-garage rock dans laquelle le festival a beaucoup puisé ces dernières années, moins pour cette édition. Entendu depuis le stand de galettes saucisse (que serait la Route du rock sans les galettes saucisse ?), tout cela semble remarquablement bien exécuté.

Après la traditionnelle chenille arrive le tout dernier concert du festival, qui termine très fort avec nos chouchous de Dame Area. Malgré quelques petits problèmes techniques, Silvia Kostance et Viktor L. Crux livrent une performance aussi cataclysmique qu’à leur habitude, propre à nous vider de nos derniers restes d’énergie. Hormis quelques “classiques” vers la fin, on ne reconnaît aucun morceau, ce qui n’est pas étonnant tant le groupe est productif et peu enclin à livrer un best-of de ses disques précédents. Une sacrée claque, une fois de plus, et un beau symbole pour un festival qui, trente ans après sa première édition au Fort de Saint-Père, est encore capable de nous électriser.


Avec la participation de Nicolas Cléren (Bar Italia, Metz).

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