Gueule de bois country folk pour un Kyle Field écœuré par la tournure des événements, le monde comme il va mal et la nature qui ne peut plus réjouir un corps et une âme en décrépitude.
Si Kyle Field a, avec le temps, un peu perdu de son aura, la musique de Little Wings a encore beaucoup de charme. Adieu, donc, folie du home studio à cassettes, des trilogies aériennes, des collages sonores, de cette musique folk psychédélique qui prolongeait les départs pour l’ailleurs de David Crosby en s’appuyant non pas sur l’art savant des tricotages de guitares mais sur l’art brut d’un antifolk décomplexé, de punk-hippies d’un nouvel âge où le retour à la nature, la constitution de micro-communautés et l’entraide de réseaux étaient essentiels. C’était il y a un quart de siècle ou presque.
Que reste-t-il de K records, à part nos souvenirs ? (D’ailleurs, on a complètement raté la sortie du dernier Calvin Johnson, “Gallows Wine”, 2023 : Mark E. Smith au mélodica.)
C’est hors de la maison mère que Little Wings publie désormais, sur des micros labels, Rad (« Black Grass », 2011), Gnome Life (« Made it Rain », 2013), Moone Record, voire en auto prod (« People », 2019). On sent que la musique (tout comme l’art) n’est peut-être plus une occupation principale et que la production fourmille moins sans s’être totalement tarie.
De fait, les albums récents passionnent moins et laissent quasi indifférent dans leur réalisation et il faut tendre l’oreille pour chercher un peu de plaisir avec Little Wings, époque streaming.
Avec ce ”High on the Glade”, il faut s’accrocher. Passons sur les conditions d’enregistrement : des bouts de restes de bandes qui traînent dans un studio obligent Kyle et ses amis à enregistrer vite et… aussi bien que possible. Le son est chaud et riche mais, et c’est positif, les arrangements bancals. C’est ce qui sauve le truc car Kyle Field se fait sur cet album country-folk, tendance troubadour folklorique un peu saoulant. Il faut s’appuyer sur une architecture très codifiée mais dont les fondations craquent de partout. En cela, Field est une sorte de Pan-Dionysos, dans son attelage de fortune criard, entouré de ses a(l)colytes embrumés. Quelquefois on se prend le (bang bang) Maxwell Silver Hammer ramolo dans la tronche (Bubbles Go Pop) ou on danse bras dessus-bras dessous comme dans la danse des canards avec Brutal North Pillow…
À la première écoute, on est carrément dans le pénible. Mais des petites intros chiadées/vite mal branlées sont là pour nous guider et nous faire signe. Il faut écouter. Et s’attacher à des textes qui, s’ils ne sont plus aussi essentiels, valent leur pesant de cacahuètes d’apéro.
On retrouve un peu de la splendeur du passé (Green Grass of Spring) dont les échos intimes résonnent avec ceux des cordes diluées à la fin de la chanson.
Mais la fête est finie. Est-ce que Field tourne aux sombres héros de l’amer ?
« Think clover and glade if you will »Think clover and glade if you will
Harmony green as you must
I cried as I walked up that hill
Where everything had turned to dust
Looking back over the years
And over my shoulder as well
Pain ringing inside my ears
And wishes thrown into that well
Handful of earth what is it worth?
This life is contained by our death and our birth
To wake on this morning and kiss at the ground For this handful of earth that I’ve found »
(Handfull of Earth)
Autobio ou jeu d’écriture, on ne tranchera pas. L’autre piste explorée est celle des chansons de pirates (Squire’s Locker), vie aventureuse en dehors des sentiers battus, joies simples et vêtements chamarrés. On sent les rapports entre la philosophie de vie de Field et les rêves de boucane au soleil mais la fête n’est plus là…
Dans la série songwriter de toujours, Field joue à Randy Newman dans Coconut Tree, un peu ironico-amer encore une fois, sous l’angle de la séparation cette fois-ci, ou encore à Jonathan Richman dans Garbage, option José Bové-malbouffe. On rit mais jaune sous l’arche rouge de McDo.
D’ailleurs on ne rit plus et on le chante : Ha ha blues, bien déceptif.
Mais il reste encore un soupçon de grandeur et de magie : Goatshead soup.
« With a crock of goatshead soup
I walked Down that green lane so gingerly
The bog was breathing into me
As I tried not to lose the song
That cricket gave me all night long
And though I’ll only get it wrong
Like sadness hung in the eaves
(..)
With a crock of goatshead soup
I walked Down that green lane so gingerly
Beware to all my enemies
That cricket gave me such a song
That I might sing it all day long
With notes that bend and don’t belong
And sounds which send a chill along
For tides to fill a billabong
With words that spill until they’re gone
And though I’ll probably get it wrong
This soup is strong indeed! »
(Goatshead soup)
Field a encore de quoi épicer sa soupe et nous régaler avec une superbe mélodie chantée comme il se doit avec une voix traînante à souhait.
Tout cela sent le sapin tout de même et ce n’est peut-être pas par hasard qu’on flaire comme un fumet de banquet de sorcière, sise au château de l’araignée. “High on the Glade” est le “Macbeth” de Kyle Field : la mise à mort du roi Hiver. Vivement le retour de la forêt en marche, à moins que ce ne soit qu’un conte….
« The green grass of spring
It means not a thing
If your gladness is gone
Why bother to sing? »
(The green grass of spring)
“High on the Glade” est sorti en LP, K7 et numérique chez Perpetual Doom le 7 juin 2024.