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Concerts

Amen Dunes, Trabendo, Paris, 1er juillet 2024

Un concert parfois déconcertant, à l’image du dernier album de l’Américain, mais sans frime, et qui offrait des moments de grand beauté un peu déglinguée.

Il y a des concerts où l’on va parce qu’on est un fan absolu de l’artiste, qu’on est à peu près sûr de connaître toutes les chansons qu’il va jouer et qu’on s’attend à un grand moment de communion entre lui et le public. Et d’autres où on est plutôt guidé par la curiosité, sans trop savoir à quoi s’attendre. Ce concert d’Amen Dunes, alias le New-Yorkais Damon McMahon, entrait clairement dans la seconde catégorie. Certes, on l’avait déjà vu à Paris pour son album précédent, “Freedom”, mais c’était il y a six ans et ce disque constituait une ouverture totalement assumée vers un format et un son plus mainstream, comme il nous l’avait lui-même expliqué (une interview par mail dont, curieusement, on avait totalement oublié l’existence).




Le nouveau, “Death Jokes” (sorti chez Sub Pop, qui succède à Sacred Bones), est d’un autre tonneau, plus déconstruit et expérimental, plus concerné aussi par l’état de l’Amérique et du monde, riche en samples et en voix tirées d’enregistrements d’archives (J Dilla, Lenny Bruce, Richard Pryor…). Alors que ses débuts s’inscrivaient dans une sorte de folk psyché lo-fi, le rap et la musique électronique sont cette fois-ci des influences revendiquées même si l’on reste dans l’univers du rock indé au sens large. Certains morceaux sont des collages durant à peine plus d’une minute, un autre est très long (on y reviendra) et a priori, ce grower n’est pas le disque le plus facile à porter à la scène.
Le concert commence d’ailleurs par un titre de l’album diffusé par la sono, avant que les quatre musiciens ne s’installent. C’est celui qui clôt le disque, “Poor Cops”, où l’on entend la plus ancienne composition de l’histoire de l’humanité jouée à la lyre (enfin, c’est ce qu’on a lu). Le concert a lieu au Trabendo, et celui de 2018 ayant eu lieu au Badaboum, programmer celui-ci dans un lieu deux fois plus grand pouvait paraître ambitieux (en fait, Amen Dunes y avait déjà joué en 2015, mais en duo et pas en tête d’affiche). De fait, ce n’est pas complet – correctement rempli, quand même –, ce qui nous permet pour une fois de nous déplacer facilement dans cette salle bizarrement fichue pour essayer de trouver le meilleur spot.




Le show se poursuit par d’autres morceaux du dernier album, sur lesquels le quadragénaire, désormais peroxydé et vêtu d’un banal T-shirt blanc, s’échauffe peu à peu. Batterie, guitare électrique ou acoustique, basse, claviers composent une masse sonore légèrement saturée d’où la voix, plaintive, touchante dans ses imperfections, parvient à s’extirper. Dans les meilleurs moments, on y trouve une sorte de qualité hypnotique qui peut rappeler le Velvet. Quelques morceaux plus tubesques tirés de “Freedom”, dont l’imparable “Miki Dora”, arrivent opportunément pour faire monter l’intensité d’un cran, mais le chanteur et ses musiciens ne se départissent jamais d’une certaine réserve : lui, même s’il semble véritablement habité par sa musique, garde une gestuelle sobre, le bassiste joue assis et le batteur n’enlèvera jamais ses lunettes noires. On est loin de la déjà légendaire performance des Future Islands chez Letterman, si on veut.
Par ailleurs, le choix étrange d’interpréter les courts instrus expérimentaux du dernier album a tendance à désarçonner les spectateurs et à casser un peu le rythme ; les morceaux anciens sont nettement plus applaudis. En même temps, on peut apprécier ce refus de survendre sa musique et de se donner en spectacle. Et si McMahon n’est ni un chanteur extrêmement puissant ni un immense mélodiste (beaucoup d’accords répétés plutôt que des structures couplet/refrain), il se dégage souvent de ses compositions un peu boiteuses une émotion brute qu’on peine à trouver chez des artistes plus control freaks. Bon, vu le temps qu’il a mis pour faire ses deux derniers albums, il l’est sans doute lui aussi, mais disons qu’il ne cherche pas forcément la perfection technique.



Après s’être contenté de brefs remerciements, il finit par s’adresser plus longuement au public, remarquant que la France est présente dans plusieurs de ses chansons – l’une de celles de l’unique album qu’il a sorti sous le nom de Damon McMahon, en 2006, s’intitulait d’ailleurs “Somewhere in France”. Sur celle qu’il vient de jouer, la magnifique “Skipping School”, il évoque même Paris. Il s’excuse au passage d’avoir inversé par erreur, dans la version enregistrée, les phonèmes dans le mot « arrondissement » (“Got held up on my way to North Pigalle/Must have got off in the wrong arrondissement”), prononçant « arridonssement »… Il raconte ensuite qu’il a pris des cours de piano avec un médium nommé Jonichi, ancien élève de Nadia Boulanger (1887-1969), d’où l’enregistrement de la voix de celle-ci (en français) collé à la fin du morceau à tiroirs “Round the World”, long de plus de 9 minutes. Un document sonore dans lequel l’organiste, pédagogue et compositrice livre une belle réflexion sur le création musicale, et qu’on entendra également dans la version live, certainement l’un des moments les plus forts du concert.
Celui-ci tire à sa fin, mais réserve encore quelques surprises, comme cette cover idéalement dépouillée de “Song to the Siren”. Une chanson qui, toutes proportions gardées, a connu un peu le même destin que le “Hallelujah” de Leonard Cohen : version originale (par Tim Buckley) plus ou moins tombée dans l’oubli, reprise (par This Mortal Coil avec Liz Fraser) qui acquiert un statut plus ou moins mythique au fil du temps, et pas mal de versions depuis une vingtaine d’années, par des stars comme par des formations indie nettement plus confidentielles.



Vient enfin le moment du rappel, qui n’en sera pas vraiment un : Damon annonce qu’il serait absurde de sortir de scène et d’y revenir quelques minutes après pour jouer un seul morceau, perdant ainsi du temps. Il nous quitte donc sur “Believe” et un petit salut, avant de rejoindre les coulisses avec ses camarades. McMahon est sans doute un garçon un peu compliqué et mystérieux, qui se cherche beaucoup – les tours et détours de sa biographie et de sa discographie en témoignent –, mais avec son public, il reste d’une simplicité appréciable. Espérons qu’on n’aie pas à attendre encore six ans pour le revoir.


Setlist :

Poor Cops
Ian
What I Want
Blue Rose
Boys
Miki Dora
Mary Anne
Solo Tape
Predator
Skipping School
Bedroom Drum
Lonely Richard
Joyrider
Purple Land
I Don’t Mind
Round the World
Song to the Siren
Believe



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