Après trente années de silence discographique, le chanteur et guitariste de Gamine (1982-1990) signe un retour inespéré, sous forme d’un 4-titres – dans l’attente d’un album à paraître en septembre. Des chansons telles que “Se pourrait-il ?” et ”Une Avalanche”, portées par une voix toujours aussi fervente, re-convoquent illico l’un des groupes français majeurs des années 80. Affable, Paul Félix raconte sans détour les années Gamine, son engagement dans le bouddhisme et les déclencheurs d’une passion retrouvée. Un nouveau saut de l’ange ?
Quand as-tu composé les chansons publiées sur l’EP paru en mai sur le label Bordeaux Rock ?
C’est variable d’une chanson à l’autre. ”Se pourrait-il ?” est le titre qui est venu en premier, il y a plus de deux ans. ”Perdu dans tes yeux” est le plus récent. Je l’ai écrit pour ma chérie (sourire). J’ai commencé par lui chanter quelque chose au téléphone, en anglais. Puis je l’ai retravaillé et adapté en français. A l’origine, tous ces morceaux ont existé sous forme de démos réalisées avec Benoît Roumaillac. Mais nous n’étions pas vraiment satisfaits de l’ensemble… Fabien Cahen a repris le travail de réalisation et apporté pas mal d’idées du point de vue des arrangements, Benoît demeurant le clavier et l’arrangeur de ”Se pourrait-il ?”.
Serais-tu d’accord avec ce constat : dans les textes de Gamine, il est souvent question d’amours manquées ou contrariées. Chez Paul Félix aujourd’hui, l’amour se déclare davantage, non ?
Je suis assez d’accord, même si le point commun entre hier et aujourd’hui ce sont des textes qui restent assez elliptiques, qui ne cultivent pas le sens du détail. Mais oui, l’amour est désormais plus assumé ! J’ajoute quand même, car ce n’est pas explicite, que la chanson ”Se pourrait-il ?“ parle d’une histoire qui a tourné court. Et c’est d’ailleurs cette séparation qui m’a conduit à composer de nouveau, pour penser à autre chose.
Bon, avec le temps tu comprends aussi qu’être en couple demande une forme de discipline, un effort, c’est un état d’esprit particulier. Il faut savoir partager le moins bon.
“Ta tendresse” concernerait plus l’amour filial ?
Il est question de mon papa. Mais je fais un parallèle avec la chanson de Moustaki, ”Gaspard”, car les points communs entre les deux personnages ne manquent pas… Le fait de ne pas bien connaître ses origines, de faire la guerre, etc. Cette chanson me rappelle mon père.
Je crois avoir lu quelque part que ton père était musicien…
Côté familial, j’ai hérité d’un environnement où l’art était très présent, mais la pratique n’était pas évidente. D’une certaine manière, mes parents ont loupé leur carrière artistique. Ma grand-mère maternelle s’est opposée à la vocation de danseuse de ma mère. Mon père, chanteur dans un cabaret le week-end, a tout arrêté pour se consacrer uniquement à un emploi salarié. Néanmoins, quand j’étais enfant, la musique était très présente à la maison. Nous en écoutions énormément, surtout des chanteurs français de l’époque et les Beatles.
Quelle était ta relation à la musique pendant la période passée en Inde et les retraites bouddhistes ?
Eh bien, c’est assez simple, de 1996 à 2013, je n’ai pas touché à la guitare ! En 1996, avant mon départ en Inde, j’ai vendu tous mes instruments de musique. Au cours des retraites, à part les chants rituels et quelques percussions, la musique ne me concernait plus. Du moins, en apparence. Car j’ai fait deux rêves pendant une retraite qui m’ont permis de réaliser que la musique était encore présente. Dans l’un, Jimi Hendrix jouait ”All Along the Watchtower” et Léo Ferré chantait “Green” de Verlaine. Ça se passait dans la maison familiale, quand j’étais enfant ; c’était à la fois familier et agréable. Dans un autre rêve, je réalisais que je ne chantais plus et qu’il qu’il fallait vraiment que je m’y remette.
As-tu suivi l’actualité musicale durant tes temps de retraite ? La scène française ?
Pas du tout. Ça ne s’y prêtait pas. La première fois que j’ai entendu parler de Dominique A, c’était via la chanson qu’il a écrite pour Bashung, ”Immortels”… (la version chantée par Bashung a paru à titre posthume en 2018, NDLR). Mais je me rappelle bien que dès la fin de ma deuxième retraite je suis tombé sur les albums de Bon Iver et des Canadiens de The Franklin Electric, et que j’ai trouvé ça très beau. De manière générale, j’écoute surtout du folk anglo-saxon et du jazz fusion.
Comment se déroule une retraite chez les bouddhistes ?
Beaucoup de moments sont consacrés à la méditation et au yoga. La vie en groupe a aussi son importance, les rituels en commun, etc. Parfois, on a un rôle particulier. Lors de ma première retraite, j’étais cuisiner et intendant. J’avais donc un contact avec l’extérieur… au supermarché ! (rires) A vrai dire, je me suis engagé la première fois après le décès de ma mère. Je me suis dit, pourquoi pas essayer ça.
Cette pratique te conduit-elle à un « bien-être » ?
Un bien-être, je ne dirais pas ça. Il s’agit d’une introspection en profondeur. Tu découvres petit à petit comment ton esprit fonctionne, tu essaies d’être présent à toi-même. Il faut apprendre à s’extraire du train de tes pensées et te centrer sur ton être. C’est pas toujours simple. Et tu te confrontes à l’ennui. A l’extérieur, il existe plein de choses pour remédier à l’ennui. Mais tu passes de l’ennui à une forme de bien-être immédiat, assez superficiel. Il ne peut que te conduire à la frustration… A l’opposé, la médiation est semblable à un jardin que tu apprends à cultiver très progressivement. Et puis tu développes le don de soi.
Pourquoi avoir arrêté Gamine ?
Pour Gamine, mise à part le fait que c’était compliqué à l’intérieur du groupe du point de vue humain, un élément a constitué une cassure pour moi. Alors que nous étions chez Barclay, le label anglais Decca Records voulait nous signer pour développer notre musique au Royaume-Uni. Ça s’est passé entre le premier et le deuxième album, il était question de sortir un single en Angleterre. Par l’intermédiaire de Philippe Constantin (cofondateur de la branche française de Virgin puis directeur artistique chez Barclay, il signera Téléphone, Rita Mitsouko, Etienne Daho, Stéphane Eicher, Enzo Enzo…, NDLR), Barclay a dit non, de manière très catégorique. Ça a cassé quelque chose en moi. J’ai dit mon intention de quitter le groupe. Il faut dire qu’après dix années ensemble, il y avait aussi une forme de fatigue. Barclay m’a rapidement indiqué qu’ils ne me suivraient pas pour d’éventuels autres projets. C’était clair. Par contre, le contrat que l’on nous promettait pour un troisième album était très intéressant… mais à ce moment-là, c’était au-dessus de mes forces.
Les deux albums sont très peaufinés. Gamine était-il un groupe qui travaillait beaucoup ?
Disons qu’il faut distinguer le studio et la scène (rires). Nous avons tenté de tirer le maximum des moments en studio, et les disques ont été très produits. Nous bénéficions de budgets conséquents. On rajoutait des claviers, tandis que sur scène c’était guitare, basse, batterie ; plus rock.
Quel était le problème pour les concerts ? Un manque de répétitions ?
La qualité des concerts étaient assez variable. Je dirais que le problème venait des mésententes entre nous. C’était compliqué humainement… Parfois même, c’était la guerre. Ça se répercutait forcément sur scène.
A ses débuts, Gamine était un groupe rock, puis au fil des années 80 le groupe a évolué vers une pop plus mélodique. Qui est l’artisan de cette évolution ?
La rencontre et la tournée avec le groupe anglais The Barracudas (comprenant Chris Wilson, ancien membre de The Flamin’ Groovies, NDLR) en 1983 ont été déterminantes. Je peux dire que la manière de jouer de Gamine, des arpèges à la guitare électrique, vient d’eux ! Leur son nous a vraiment bluffés. Sur scène, c’était monumental. Les Barracudas avait le son des Stone Roses… avant les Stone Roses. C’est mon meilleur souvenir de l’ensemble des tournées de Gamine.
Quelles sont tes relations avec les autres membres du groupe aujourd’hui ?
Je suis toujours en relation avec Paco et Guillaume. On échange par téléphone. Nous avons fait une tentative de reformation et quelques concerts en 2018. Sans plus. Quelques difficultés du passé ont ressurgi, et ça n’a pas été plus loin. C’était plaisant, mais on a fait le constat que désormais chacun avait sa vie. Nous sommes le genre de groupe qui aurait bien eu besoin d’un thérapeute, comme Metallica ! (rires)
Deux chansons de Gamine, ”Le Voyage” et “Voilà les anges”, sont devenues des classiques de la pop française, et sont d’ailleurs diffusées régulièrement sur les ondes. Ça rapporte quelque chose en termes de droits d’auteur ?
Des millions… ! (rires). A l’époque, ”Voilà les anges” a failli entrer au Top 50, mais est demeuré dans la catégorie « frémissant du Top ». Pas tout à fait un tube, donc. Ce qui fait que Gamine n’intègre pas non plus les tournées type « Le retour des années 80 ».
Après Gamine, tu as monté Real Atletico (un album paru en 1994, ”Trafic d’influenza”) avec deux membres du Cri de la mouche notamment ?
Eux aussi venaient de splitter. Nous avons enregistré un album et donné quelques concerts. Avec le recul, l’album n’était pas assez abouti, et ce n’était pas si évident de défendre des chansons majoritairement en anglais… Je n’étais pas hyper à l’aise, j’avais envie de faire autre chose, je me passionnais pour des lectures qui me faisaient pas mal réfléchir et me donnaient envie d’explorer d’autres domaines. Real Atletico n’a pas duré longtemps et je suis alors parti en Inde.
Et aujourd’hui, qu’est-ce qui a été décisif pour que tu t’y remettes ?
J’ai réalisé que la création artistique pouvait représenter un besoin pour moi, qu’il y avait même une urgence à créer. Comme dit tout à l’heure, j’ai rencontré quelqu’un et l’aventure n’a pas duré… Cette relation manquée m’a conduit à composer. J’ai fait ce constat que la musique me faisait du bien. La rencontre et le travail avec le producteur et guitariste Fabien Cohen ont été également décisifs.
Photos : Laure Fourcade et Olivier Seguin.
michelle hueber
les années quatre vingt la parenthèse enchantée !