Avec son second album, Cabane, le projet musical du Belge Thomas Jean Henri, procure une intense émotion par la touchante fragilité qui s’en dégage.
Nous ne sommes pas prêts d’oublier l’année 2020. Ben sûr, il y eut la pandémie qui toucha gravement la planète mais, pour nombre de mélomanes avertis, ce fut surtout l’année de Cabane dont l’album “Grande est la maison” fut un refuge idéal en ces temps troublés. Avec son folk orchestral plein de charme, Cabane avait su conquérir son auditoire sans difficulté. Le Belge Thomas Jean Henri, porteur de ce projet musical depuis 2015, nous en avait d’ailleurs longuement parlé dans une interview qu’il nous avait accordée en compagnie de Caroline Gabard, autre cheville ouvrière de Cabane, pour présenter “The Remake Series” où l’artiste belge invitait quelques amis à reprendre les chansons de “Grande est la maison”. Mais il va de soi qu’avec une œuvre inaugurale aussi éclatante, on ne pouvait qu’être impatient d’entendre la suite.
Au printemps dernier, celle-ci s’est présentée sous la forme du single “Today” interprété par l’Anglais Sam Genders (Tunng) dont le rythme lent, doux et décidé nous portait littéralement. Ce morceau vraiment attendrissant laissait alors augurer d’un album de toute beauté. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’on n’a pas été déçu par “Brûlée”, la deuxième partie de ce que Thomas Jean Henri conçoit comme un triptyque, tant ce disque s’avère intensément touchant, le Belge affinant encore plus son art par rapport au premier opus de Cabane. Les compositions se révèlent en effet plus solides et affirmées, gagnant réellement en finesse et en assurance. Nous en avons la preuve dès “In Parallel”, le morceau d’ouverture, aussi calme que délicat, dont l’ambiance plus lourde et sombre qui s’installe au milieu de la chanson n’altère en rien la forte émotion ressentie, portée par la belle voix de l’Anglaise Kate Stables (This Is The Kit) déjà présente sur “Grande est la maison”.
Par la suite, nous sommes profondément touchés par la véritable fragilité que dégagent les chansons de “Brûlée”. Que ce soit avec “Amour(s)”, “Melodies Of Love” ou “Rome”, c’est comme si nous étions face à une brindille qui pourrait rompre à chaque instant, les arpèges de guitare de Thomas Jean Henri agissant alors comme des attrape-cœurs. Sur ces titres, ce sont les compatriotes Kate Stables et Sam Genders qui se partagent le chant, le second pouvant également rappeler les plus belles envolées de Robert Wyatt sur le très accueillant “Dead Song (Pt. 1)”. De toute façon, sur cet album, Cabane semble avoir atteint un parfait équilibre musical avec juste une petite touche de mystère présente, en particulier, sur “Ilot Pt. 1” dont le rythme incertain peut évoquer le Talk Talk de Mark Hollis et sur “Italian Mysteries” avec ses notes de piano comme délivrées de manière aléatoire, dans un jeu de l’amour et du hasard qui aurait délaissé le champ du théâtre pour celui de la musique.
Car oui, il est beaucoup question d’amour dans les paroles des chansons, aussi poétiques qu’empreintes d’une instabilité et d’une fébrilité parfois inhérentes à l’amour, mais croyant toujours en ce sentiment éternel (« As long as we are free for the longest time / We will cry for love » sur “Rome”). Fragilité, confusion et mystère règnent donc sur ce disque jusqu’à un final plus harmonieux et plus léger symbolisé par “All We Could Do” où Kate Stables et Sam Genders chantent en chœur accompagnés de cordes (un peu plus présentes sur ce morceau) et où l’harmonie se retrouve jusque dans les paroles (« You breathe for me, I’ll breahe for you »). L’album se clôt finalement sur “Tout ira bien”, court titre de deux minutes concluant ici avec douceur et majesté.
On ressort donc profondément ému de l’écoute de ce disque, pénétré par cette touchante fragilité réellement prenante, l’émotion ressentie étant simple et naturelle et non fabriquée en laboratoire par tout un tas de producteurs et d’arrangeurs. Au contraire, ce disque semble délivrer, en paroles comme en musique, une modeste théorie sur la conscience de la fragilité de l’amour tout comme sur la croyance en ce sentiment si puissant. Mince alors, nous ne sommes qu’en janvier et nous avons déjà l’album de l’année !
Jean Passe
Près de (ou prêts à) d’oublier…