Il semble loin, le temps où Pitchfork réunissait les plus grands noms de la scène indie sous la halle de la Villette. Aujourd’hui, l’édition parisienne s’est rabattue sur les découvertes et, pour l’essentiel, les petites salles – souvent complètes – de la capitale. Impossible pour nous de tout voir (d’autant que l’événement tombait à peu près en même temps que Les Femmes s’en mêlent, à la programmation tout aussi alléchante), mais voici quelques lignes sur les concerts auxquels nous avons assisté, parfois entourés de spectateurs beaucoup plus jeunes que nous, et beaucoup plus américains.
Lundi 14 novembre, Café de la danse
Michelle, c’est un bassiste, un percussionniste, quelques bandes, et surtout quatre chanteuses-danseuses qui occupent la scène avec beaucoup de présence. La pop-soul-r’n’b de la jeune formation new-yorkaise est facile, smooth mais jamais putassière. On pense un peu à The Go! Team en moins punchy et composite musicalement, mais avec la même fraîcheur qui fait du bien. Ici, pas de chorés millimétrées sans âme ou de poses « badass » surjouées pour la galerie.
Le côté “United Colors of Benetton” de la troupe n’est pas un argument marketing, juste le reflet du brassage qui a fait la grandeur de sa ville. Acheté en vinyle bleu après le concert, leur deuxième album “After Dinner We Talk Dreams”, conçu pendant la pandémie, enchaîne quatorze morceaux faits maison, souvent courts et parfaitement addictifs. On espère revoir vite les six de Michelle chez nous (et on les échangerait volontiers contre Michel Onfray et Michel Houellebecq).
Direction l’autre côte avec TV Girl, de Los Angeles. De la pop sans guitare un peu synthétique, un peu easy listening, pas franchement bouleversante mais tout à fait agréable à écouter. Le groupe a deux atouts : un chanteur très pince-sans-rire (autant dans ses paroles que dans ses adresses au public), qui tire subrepticement sur sa vapoteuse dans un geste carrément punk, et une bassiste mignonne et souriante (pas sûr qu’elle joue sur les disques, ceci dit). Voire un troisième, son stage set évoquant les œuvres au néon de Martial Raysse (voir photo ci-dessous). TV Girl existe depuis dix ans et leurs vinyles sortis en édition limitée sur leur propre label atteignent des cotes délirantes (malheureusement, je l’ai vu après le concert et ne les ai pas achetés au merch). Pourtant je n’avais jamais entendu parler d’eux mais le public, plutôt jeune, connaissait les paroles par cœur.
Mardi 15 novembre, Gaîté Lyrique
A l’affiche de cette soirée du festival Pitchfork, deux groupes inconnus pour moi (TV Priest et Nation Of Language) et un troisième, Porridge Radio, dont j’avais beaucoup apprécié le premier album mais que je n’avais encore jamais vu sur scène. Une affiche que j’aurais plus imaginée au Supersonic que dans la grande salle de la Gaîté Lyrique mais celle-ci est quand même bien remplie, sans doute grâce à l’aura Pitchfork.
La soirée commence donc avec TV Priest, groupe postpunk anglais comme on en voit beaucoup en ce moment. Une prestation plutôt intense, le chanteur semble très en colère et fait plein de gestes bizarres avec ses mains, il manque juste des chansons mémorables pour que je sois séduit, l’ensemble sonnant très monolithique malgré quelques titres un peu plus posés.
On enchaîne avec Nation Of Language, un groupe de Brooklyn qui a flashé sur OMD et la synth pop du début des 80’s. Cela s’entend et se voit, ces jeunes gens ayant opté pour le total look 80’s (jusqu’à la coupe mulet du bassiste) et le chanteur se déhanchant comme aux plus belles heures de “Top of the Pops”. Passé l’amusement initial, on se lasse assez vite, tout cela ne dépassant guère le stade du pastiche. Mais force est de constater qu’ils obtiennent un beau succès, notamment auprès de la frange la plus juvénile du public qui s’est déplacée en masse aux premiers rangs.
Vient l’heure du plat de résistance avec les anglais Porridge Radio menés par la charismatique Dana Margolin et précédés d’une solide réputation scénique. Bien qu’ayant apprécié leur premier album sorti il y a deux ans, je craignais qu’ils n’en fassent un peu trop dans le style « groupe à chanteuse torturée et hurlant son désespoir ». L’écueil est évité avec brio grâce à un son d’une sécheresse impeccable et des chansons qui, bien que très intenses, n’oublient jamais les mélodies. Dana Margolin est une performeuse impressionnante au magnétisme digne d’une PJ Harvey et pourtant elle n’en fait jamais trop, même quand elle saute en tous sens ou se lance dans une incursion dans la fosse. Au final, une soirée globalement satisfaisante dont on retiendra surtout la révélation/confirmation d’un grand groupe de rock anglais qui devrait aller loin. (P. B.)
Dimanche 20 novembre, La Boule Noire
La soirée la plus courte du festival. Suite, me semble-t-il, au désistement de l’autre artiste initialement programmé(e), Okay Kaya se retrouve seule, et elle ne restera que 50 minutes sur scène. Encore un concert où un public beaucoup plus jeune que moi connaît par cœur les chansons d’une artiste que je découvrais pour ma part. Une ex-mannequin, également actrice, pas tout à fait une débutante puisque née en 1990. Je m’étais laissé tenter sur la foi du descriptif plutôt intrigant sur le site du festival (on y trouve notamment les mots “jungien” et ”kétamine”).
De fait, le concert est assez curieux. Hormis quelques rares morceaux où elle s’accompagne à la guitare acoustique, Okay Kaya chante par-dessus une bande, voire a capella quand on lui réclame un titre et qu’elle n’a pas le backing track (un fichier, ce n’est pourtant pas très difficile à transporter…). En fond de scène passent sans arrêt les mêmes courtes séquences entrecoupées d’images d’elle-même qu’un cameraman filme en direct. A l’intérieur d’une sorte de tripode est suspendu par des chaînes un plateau avec des figurines que la chanteuse, qui semble parfois au bord du surmenage, nous présente à un moment comme ses musiciens… Belle voix cependant, coolitude finalement séduisante passé la perplexité voire l’agacement initial, et quelques titres qui accrochent l’oreille. J’en jetterai une au nouvel album sorti sur l’excellente maison Jagjaguwar, en espérant la revoir dans un dispositif moins minimaliste. Quoi qu’en dise Christine and the Queens/Chris/Redcar, des musiciens, c’est souvent bien.
Lundi 21 novembre, église Saint-Eustache
Pour sa clôture, le Pitchfork fait dans la solennité en investissant l’église Saint-Eustache à deux pas des Halles – endroit magnifique mais où il est préférable d’arriver tôt si l’on ne veut pas se retrouver assis au fond de la nef. Je suis ici en terrain plus familier puisque je vois ce soir-là Arooj Aftab pour la troisième fois. Elle s’était même produite cet été au Fnac Live, dans un cadre déjà intimidant, le grand salon de l’Hôtel de ville, où sa musique lente et trouée de silences avait captivé. Comme les deux fois précédentes, elle est en trio mais la formule varie. Après contrebasse et harpe la première fois, contrebasse et guitare la deuxième, la voici cette fois-ci flanquée du guitariste déjà vu à l’Hôtel de ville et d’un violoniste (plus quelques discrets effets).
Que dire, sinon que sa voix exceptionnelle et la virtuosité jamais démonstrative de ses musiciens trouvent ici un écrin à leur mesure. Quand elle parle du Grammy qu’elle vient de recevoir pour sa chanson “Mohabbat” dans la catégorie “best global performance”, c’est avec l’humour un peu sec dont on avait déjà fait l’expérience lors de ses précédents passages, et qui s’exprime aussi par un lancer de roses dans le public. Comme si la Pakistanaise de 37 ans, installée à Brooklyn, craignait toujours qu’on la prenne pour une diva ou la représentante d’une tradition musicale multiséculaire, enracinée et sacrée, alors qu’elle est avant tout une musicienne d’aujourd’hui, ouverte à la modernité autant qu’attachée à la tradition, sans frontières géographiques. Certes, les spectateurs ne sont pas tout à fait les mêmes que lors des soirées précédentes, mais on se dit qu’Arooj Aftab a tout pour plaire aussi à un public plus jeune et branché. C’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite.
Avec Philippe Bertrand (soirée du 15 novembre).
Un grand merci à Ugo Tanguy.
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