Avec trois soirées sold out sur quatre (la cinquième initialement prévue avait été annulée à la suite de la défection de Rage Against the Machine) et 150 000 spectateurs, Rock en Seine a réussi son retour après deux années blanches. Avec quelques bémols cependant. On ne reviendra pas sur la polémique – justifiée – du golden pit, un enclos payant pour VIP déjà mis en place en 2018 et 2019 mais qui atteignait cette années des dimensions problématiques. Supposons juste qu’après ce bad buzz, les organisateurs abandonneront, ou au moins modifieront ce système pas franchement dans l’esprit des festivals français. On aimerait aussi que les jauges soient revues légèrement à la baisse : agréable avec 30 000 spectateurs (la fréquentation du vendredi), le site l’est nettement moins quand on atteint les 40 000, même si les files d’attente pour à peu près tout, gros point noir du jeudi, furent heureusement moins longues samedi et dimanche. Rock en Seine était jusqu’ici un « gros » festival à taille humaine, plutôt accueillant et convivial, il serait bon qu’il le reste.
On ne s’attardera pas non plus sur la prestation de Nick Cave and the Bad Seeds, si ce n’est pour joindre notre voix à un concert de louanges amplement mérité. Pendant deux heures, l’Australien, avec certes le savoir-faire d’un vieux briscard mais aussi et surtout un don entier de sa personne, a réussi à communier avec chacun des spectateurs, des plus proches aux plus lointains. Et sans avoir besoin des artifices visuels que beaucoup de têtes d’affiches se sentaient obligées de déployer sur cette grande scène qu’il habitait totalement. Le patron, encore et toujours. Programmés juste avant sur la scène de la Cascade (ce qui a obligé de nombreux festivaliers à partir avant la fin pour se placer correctement face à la grande scène pour Nick Cave), les Allemands de Kraftwerk ont proposé leur grand show 3D, sans aucune surprise pour qui les a déjà vus ces dernières années mais toujours aussi magique.
Sans vouloir faire des distinctions “genrées” qui n’ont pas vraiment lieu d’être, reconnaissons quand même qu’on a été souvent impressionnés pas des artistes féminines cette année (et on n’a bien sûr pas pu toutes les voir). Comme la jeune Anglaise Holly Humberstone, à la fois très pro et à fleur de peau qui, le dimanche en début d’après-midi, s’est produite pour quelques spectateurs arrivés tôt sur la grande scène accompagnée simplement d’une batteuse. On ne serait pas étonné qu’elle devienne l’idole des adolescentes comme une certaine Billie Eilish… mais on va quand même attendre son premier album avant de s’enflammer. Grande scène l’après-midi également pour Lucy Dacus, flanquée elle de trois musiciens, qui a fait l’effort de parler un peu en français et a démontré avec sobriété qu’elle était l’une des voix américaines avec lesquelles il faut compter.
Sur une scène nettement plus petite, la Française November Ultra, habituée à enregistrer entre les murs de sa chambre, se produisait seule avec beaucoup de cran, s’accompagnant à la guitare ou au clavier, parfois même a capella sur une séquence vocale samplée et bouclée. Une performance sur le fil, extrêmement émouvante, la voix de la chanteuse nous donnant souvent la chair de poule. Dans un genre plus balisé, on a aussi été séduit par le concert de la Londonienne d’origine philippine Beabadoobee qui offre une version un peu bubblegum de la britpop d’Echobelly ou Sleeper – une époque qu’elle n’a pourtant pas connue. Et intrigué par la rappeuse badass Lala&ce, bien secondée par sa DJ.
Permettant au festival de renouer avec son ADN, le rock britannique (et irlandais) était venu en force cette année, notamment le premier jour où se sont succédé Yard Act, Idles, Fontaines D.C. et les Arctic Monkeys, l’un des headliners les plus fédérateurs de cette édition. Sans surprise, les Anglais axèrent l’essentiel de leur setlist sur leurs morceaux les plus costauds et rentre-dedans, mais offrirent quand même en avant-première un extrait de leur imminent nouvel album, qui semble poursuivre dans la veine soyeuse et teintée de soul de l’inusable “Tranquillity Base Hotel + Casino”.
On aura aussi eu plaisir à découvrir des musiques d’ailleurs, qu’il s’agisse du desert blues terriblement efficace et magnifiquement joué des Touaregs d’Imarhan, des chansons traditionnelles arméniennes bien électrisées par Hey Djan, ou de l’inclassable folk psyché aux harmonies hardies de la “Panaméenne de Paname” Michelle Blades.
Si la diversité d’une programmation de festival a sans doute pour but d’attirer le public le plus large possible, surtout à l’heure où le rock n’est plus vraiment la musique la plus plébiscitée par les jeunes, elle a aussi pour vertu de nous ouvrir les oreilles et de nous faire découvrir des sonorités vers lesquelles on n’irait pas spontanément. Et si certains se plaindront toujours que Rock en Seine n’est plus assez rock, nous espérons pour notre part que cette variété restera la règle au domaine de Saint-Cloud. A l’année prochaine (au moins trois jours, du 25 au 27 août 2023), dans le mosh pit ou le golden pit…
Photo de Kraftwerk : Olivier Hoffschir.
Un grand merci à Ephélide.