Auteur de quatre disques alternant titres instrumentaux (de moins en moins) et chansons (de plus en plus) dont le dernier et magnifique « Transistor Radio« , Matt Ward est l’un des plus beaux trésors d’Amérique, ami de Howe Gelb, Vic Chesnutt, Jason Lytle ou Conor Oberst, cousin de Sufjan Stevens, Iron & Wine et de tous ces artisans discrets mais décisifs, dont la musique semble couler de source. Amoureux des sons d’hier sans être pour autant passéiste, attaché à son indépendance, virtuose de la guitare mais ennemi du solo démonstratif, ce trentenaire pas franchement porté sur le star-system nous rappelle qu’il ne faut jamais complètement désespérer des Etats-Unis, ce pays où, encore plus qu’ailleurs, cohabitent la bêtise la plus affligeante et une forme supérieure d’intelligence sans excès d’intellectualisme.
Autant dire qu’une rencontre s’imposait. Ce fut dans la cale accueillante de la Guinguette Pirate, par une froide journée d’hiver, quelques heures avant un concert solo bref et magnétique. Matt Ward, fatigué mais concentré, analysait en profondeur son rapport à la musique, entre approche presque instinctive et démarche plus réfléchie. Quelques propos pour patienter jusqu’à sa prochaine visite en France, prévue le 10 mai, au Café de la Danse, avec Calc et Morning Star (et en partenariat avec POPnews).
Tu es admiré par tes pairs, beaucoup reprennent tes chansons, collaborent avec toi… Mais tu es moins connu que la plupart d’entre eux – Bright Eyes, notamment -, comme si tu préférais rester dans l’ombre.
C’est sans doute parce que les décisions que je prends ont toujours plus à voir avec la musique elle-même qu’avec le business, qui ne m’intéresse pas beaucoup. Je pourrais faire des clips ou écrire des chansons pour passer sur les radios commerciales, mais ce n’est pas mon but. Je me contente d’enregistrer les disques dont j’ai envie, avec des gens que j’apprécie.
Beaucoup de gens trouvent ta musique nostalgique. Qu’en penses-tu ?
Pour moi, il y a une part de nostalgie dans toute musique, et même dans toute oeuvre d’art, d’une manière ou d’une autre. Il faut combiner cette nostalgie avec des idées plus contemporaines. Mais tout dépend de la définition qu’on a du mot « nostalgie ». Je crois en tout cas que tout créateur s’inspire de ce qu’il a aimé dans le passé. En ce moment, il y a beaucoup de groupes qui recréent la musique qui était faite dans les années 80. Et là, c’est sérieusement nostalgique.
Ce qui est amusant, c’est que la plupart n’ont pas vraiment connu cette époque…
Mais moi non plus, je n’ai pas connu les années 50-60 ! J’ai juste passé beaucoup de temps avec les disques de cette période. Il s’agit donc d’un rapport purement musical, et non d’un quelconque goût pour le rétro.
Tu ne cherches donc pas à copier ce qui a été fait avant ?
J’ai appris à jouer de la guitare en copiant le style d’autres musiciens, et c’est pareil quand on commence à écrire des chansons. Mais on reproduit tellement de styles en même temps qu’on finit par trouver le sien.
Peux-tu expliquer un peu le concept de ton dernier album, « Transistor Radio » ? Il est apparemment question de ce que tu entendais à la radio quand tu étais enfant.
En fait, c’est assez vague, abstrait. Disons que ça tourne autour du son qu’avait la radio à l’époque : chaud, avec des craquements, un son que je ne retrouve plus aujourd’hui. Quand tu es petit, tu ne comprends pas d’où viennent tous ces sons, ça a quelque chose de magique, de « larger than life ».
Apparemment, tes morceaux prennent souvent leur forme définitive quand tu es en studio. Cherches-tu à préserver une certains spontanéité ?
Euh… (il réfléchit longuement) oui. Quand tu invites d’autres musiciens en studio, tu ouvres la porte à un certain chaos. Et c’est bénéfique pour la musique. Si tout est déjà écrit, programmé, on s’ennuie assez vite. Moi, j’aime bien expérimenter. A la base, j’enregistre en analogique, mais j’aime bien utiliser d’autres machines, d’autres instruments, ça ouvre des possibilités intéressantes. De manière générale, j’apprécie les équipements anciens, le son est plus chaud, plus dense… fait pour durer (« built to last »). Chez moi, j’ai juste un 4-pistes dont je me sers pour poser des parties de guitare, de piano, chercher des harmonies. Puis j’enregistre dans un vrai studio.
Te sens-tu proche de guitaristes qui ont cherché à marier la tradition et l’innovation, comme John Fahey, Sandy Bull, Bert Jansch ?
Ce sont des musiciens que j’aime beaucoup. Depuis quinze ans, ou même vingt, j’écoute beaucoup de guitaristes. Et quand tu écoutes avec beaucoup d’attention leurs enregistrements, tu finis par découvrir des trucs, des tours, que tu peux utiliser dans ta propre musique. Je cherche à explorer toutes les possibilités de la guitare, et c’est le travail de toute une vie !