RECYCLONE
L’actualité se précipite autour de Recyclone. Réédition de ses deux premiers albums, possible resortie du troisième grâce à Sole, projet commun avec Soso et le groupe Second Front… Dans cette interview, cet acteur oublié de la scène hip hop canadienne s’exprime sur ses enregistrements en cours, sur les belles années et sur la déchéance d’Halifax, sur ses groupes rock parallèles, sur son goût pour le metal et sur ses relations avec Sixtoo, Pip Skid, Soso et son vieux compère J. LaPointe.
Pour commencer, peux-tu présenter Recyclone aux gens qui ne le connaissent pas encore ?
Recyclone est une réponse à notre temps. Je lutilise pour exprimer mes frustrations et celles des hommes en général.
Jai grandi à la campagne. Mais jai vite voulu minstaller en ville et découvrir ses mystères. Une fois sur place, le voile sest levé et jai goûté à la dure réalité urbaine. Lair était pollué par les carcasses brûlantes dune usine métallurgique. Des trains faisaient trembler ma maison et me tiraient de mon sommeil tard dans la nuit. Je travaillais à lépicerie du coin et jai pu voir tous les dessous de lâme humaine. Jai lu quelques théories sur la fin du monde et je me suis construit une sorte darmure. Javais limpression dêtre le seul être conscient dans un monde de somnambules. Je me suis installé dans une sorte de routine très stricte. Jadmire les machines pour leur capacité à travailler sans fin et sans but. Mais moi, je ne suis pas une machine et jai lâché prise. Jai des sentiments. Je fais des erreurs. Je ne suis pas parfait.
Tu peux nous parler de ton passé de batteur et de rockeur ?
En 1986, quand mon grand frère a ramené des disques de Led Zeppelin, Van Halen, Iron Maiden et Judas Priest à la maison, jai su tout de suite que je deviendrai batteur. Jai demandé à mes parents de macheter une batterie et je nai jamais cessé den jouer depuis. Mon premier groupe, The Motes, faisait de lindie-rock dépressif et solitaire. Les deux membres fondateurs sont J. LaPointe et moi-même. Nous étions tous deux de Truro, une petite ville industrielle au centre de la NouvelleEcosse. Mon deuxième groupe, Equation of State, donnait dans le hard core. Il sest formé à Halifax en 97 avec des musiciens du cru qui voulait mettre un peu de nerf et d’engagement dans leur musique. Jai quitté le groupe à la fin de 1999, je me sentais enfermé dans ce genre musical. Faire partie dun groupe de hard core, ça voulait dire faire de la musique hard core. La liberté dont j’avais joui au sein des Motes me manquait et jai voulu la retrouver. Jai commencé à travailler avec mon ami Matt Ried et jai rejoint son groupe, Death By Nostalgia. Les quatre dernières années, jai recommencé à jouer avec J. LaPointe au sein des Instruments. Cest génial de faire de la musique avec son meilleur ami. J. et moi nous connaissons depuis le lycée, cest formidable davoir une telle entente et tant dhistoires en commun. Cest unique, jai beaucoup de chance. Nous venons de sortir un CD et prévoyons une tournée dans un futur proche. Nous avons aussi un site : www.instrumentslab.com
Voilà pour ma carrière de rockeur. Maintenant, passons au hip hop.
En tant que batteur, jai toujours eu une passion pour tout ce qui est rythme. Cest grâce à ça que le hip hop ma attiré. Le heavy metal a été mon premier amour, le hip hop mon second. Jécoute beaucoup de metal, mais je fais du hip hop. Jai le rythme en moi, le mieux est de faire du hip hop. Jai toujours fait du hip hop, sans le savoir. Je ne pense pas être capable de faire la même musique que celle que jécoute. Ca tournerait court assez vite je crois.
Comment es-tu passé au hip hop, précisément ?
Jai toujours enregistré des trucs solos. Mais un jour, alors que je bossais sur un album avec lui, Rob Squire (Sixtoo) m’a demandé : « pourquoi ne pas sortir un album hip hop » ? Cétait en 1997 et cest comme ça que jai commencé à bosser sur le premier album de Recyclone. A lépoque, jallais à lécole de photographie dHalifax et le week-end, je prenais le bus pour Truro. Je lui amenais des disques à sampler, il faisait quelques beats et on allait en studio enregistrer un morceau ou trois. Après, jai continué à sortir des albums sous le nom de Recyclone.
Tu écoutes quoi maintenant ? Toujours du hard rock si jen crois une récente interview.
Du metal. Beaucoup de metal. Kreator, Iron Maiden, Dimmu Borger, pour en citer quelques-uns.
Cest quoi lhistoire de la réédition de « Dead World » et « Corroding the Cellular Engine » ? Ca sest fait sous la pression de quelques fans ou cest une démarche plus personnelle ?
Comme mes deux albums nétaient jamais sortis à grande échelle, javais lidée de les regrouper sur un seul CD avec des bonus tracks. Jen ai fait part au type avec qui je bossais à ce moment, Troy de Saskatoon (Soso). Il travaillait sur les beats et moi sur les textes dun projet commun pour son label, Clothes Horse Records. Je lui ai demandé sil pouvait sortir ce disque sur son label. Il a accepté et voilà, cest disponible pour qui veut.
Comment as-tu rencontré Soso et sa bande ?
Jai connu Soso grâce à mon pote Pipi Skid. Pipi mavait parlé dun certain Troy qui voulait faire des beats pour lui. Pipi devait participer à lalbum sur lequel nous travaillons avec Troy / Soso. Mais finalement il est parti et moi jai continué sur le projet.
Ce sera un album dur, industriel et nihiliste comme les précédents ou as-tu prévu de changer de style ?
Les beats de Soso sont particulièrement lents. A lorigine je nétais pas sûr de savoir rapper dessus. Mais jai pris ça comme une occasion daméliorer mon flow et de ladapter à toutes sortes de beats. Cest très différent de mes sorties passées, mais ça reste du Recyclone. La sortie de lalbum est prévue pour fin août / début septembre 2005. Cest le genre dalbum à écouter les jours de pluie ou les nuits sans sommeil.
Tu rappes tandis que Soso produit ? Ou est-ce plus compliqué ?
Pour lessentiel, cest lui qui fait les beats et moi qui rappe dessus. Je lui ai fait quelques suggestions quand le morceau partait dans un sens qui ne me convenait pas, mais pour lessentiel cest : beats = Soso et textes = Recyclone.
Il est aussi question dune collaboration avec Second Front, un groupe avec lequel tu tes produit sur scène. Qui sont-ils ? Quel genre de musique font-ils ?
Second Front cest cinq personnes, un groupe hip hop engagé dHalifax. La plupart des membres sont basés à Truro. Ils mont demandé de participer à un morceau de leur premier album. Depuis, je nai pas cessé de les côtoyer. Ils participent à lun des titres de mon album avec Soso. Andrew Gordon MacPherson est le principal producteur de Second Front, il produira mon prochain album. Il est mon DJ quand je suis sur scène et il sort prochainement un maxi sur Bully Records, le label de Sixtoo, à la fin de lautomne. Je prépare un album avec lun des MCs de Second Front, Erik MacIntyer / EMC. Nous avons deux projets, le premier en compagnie de MCs engagés dHalifax. Le second projet est plus léger. Il sintitule « Moon Bark #13 » et ce seront des chansons sur le fait daller faire ses courses à lépicerie ou ce genre de choses.
Quel est ton jugement rétrospectif sur la hype autour du hip hop dHalifax d’il y a quelques années ? Ca a changé quelque chose pour toi ?
Quand Sixtoo et Stinkin Rich / Buck 65 vivaient à Halifax, le hip hop était frais et intéressant. Les gens adoraient cette approche excentrique du hip hop. Ils navaient pas peur dêtre différents et dessayer des trucs différents. Les MCs comme les fans. Maintenant, leur truc cest écouter du rap de club et se biturer. Ils sont de plus en plus bornés. Du coup, jai déménagé à Dartmouth, de lautre côté de la baie dHalifax, et je fais mon truc sans me soucier du reste.
La scène dHalifax nest plus créative ni innovante ?
Elle est créative. Elle nest plus innovante.
Tu peux nous en dire plus sur la chanson très dure sur Halifax qu’on trouve sur ton album de 2002, « Numbers » ? Quelle était ton intention avec ce titre ?
Jen avais marre des types dHalifax qui se pompaient les uns les autres au lieu de faire leur truc. Jai vu tous les dessous de la scène dHalifax, ça me rendait malade. Cétait partir ou péter les plombs, jai choisi la première option. Je me suis retiré à la campagne pendant un an pour préparer « Numbers » en même temps que je bossais pour l’épicerie.
Plusieurs de tes compères comme Buck 65, Sixtoo et Josh Martinez sont devenus assez célèbres pendant que dautres comme toi ou Knowself sont restés de parfaits inconnus. Aucun regret ?
Pas du tout. Je ferai de la musique toute ma vie. Tant pis si je suis la seule personne à lécouter au monde.
Es-tu toujours en contact avec Sixtoo malgré son déménagement au Québec ?
Oui. On ne se téléphone que deux fois par an environ, mais nous sommes toujours potes. On bosse tellement chacun de notre côté que cest difficile de se voir, surtout avec cette distance. On continue à parler dune éventuelle collaboration. Cette fois, nous interviendrions tous deux aux raps et à la production. Il a demandé à mon groupe, Instruments, douvrir sa prochaine tournée. Pour linstant ce ne sont que des discussions, mais qui sait ce que le futur nous réserve ?
Pour ta part, tu es toujours basé en Nouvelle-Ecosse.
Oui. A Dartmouth, Nouvelle-Ecosse, Canada. Je travaille avec un photographe à Dartmouth. Je travaille aussi pour une galerie à Halifax. Je suis leur photographe et leur webmaster.
A quand Recyclone en concert en France ?
Sole ma proposé de ressortir « Numbers » sur son label, 6months. Si ça se fait, une tournée en Europe est à prévoir.
Un message aux Français ?
Faîtes de la musique ou de lart pour vous seuls, quel quen soit le prix. Restez forts et souvenez-vous quensemble on peut mieux affronter cette maladie quon appelle la vie.
Propos recueillis par Sylvain Bertot