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Man – Interview, partie 1

MAN – Interview, partie 1

Quelques mois après la sortie de l’excellent « Helping Hand« , qui a vu le groupe nantais Man passer à un niveau supérieur de fusion de l’expérimentation électronique et des mélodies minimales, ses deux membres, Rasim Biyikli et Charles-Éric Charrier dévoilent un peu plus les secrets de leur alchimie humaine et musicale. Sans épuiser un mystère dans lequel ils préfèrent se perdre plutôt que d’en tirer des recettes, ils ouvrent des pistes de réflexion qui laissent apprécier leur liberté à l’égard des codes esthétiques en vigueur. Liberté dont on pourra faire l’expérience en allant les écouter les 22 et 23 février prochains à La Flèche d’or, où ils partageront la scène avec The Earlies.

Est-ce que vous avez choisi volontairement d’établir une continuité entre les trois premiers albums, notamment entre les deux derniers qui retravaillent chacun le motif de la main (« Main gauche« , puis « Helping Hand », ndlr) ?
Charles-Éric : c’est après-coup qu’on a réalisé qu’on reprenait ce motif, de la maladresse (« j’ai deux mains gauches ») à la main tendue (« une main secourable »), mais il y a sans doute un lien, oui.
Rasim : la main est sans doute importante pour nous comme premier outil de création, premier instrument pour faire, modeler, construire, avant même la pensée. Mais on ne s’est pas amusé à établir un lien autour des trois albums. Pour autant, on a tout de même la sensation d’avoir fait le tour d’un système, et après cette sorte de triptyque, on part maintenant pour une autre aventure.

Vous êtes déjà dans la suite ? Et cela avance dans quelle direction ?
Rasim : « Helping Hand » a été fait il y a déjà deux ans. Une période s’est close avec ce disque. Donc, nous avons eu le temps de développer d’autres projets.
Charles-Éric : ce n’est pas le même genre d’histoire, c’est différent quant à la forme et on est parti explorer d’autres aspects de ce qu’on est ou de ce qu’on fait. Faire est plutôt le mot.
Rasim : oui, le faire prime. Les pensées non faites sont pour nous très frustrantes. Faire très vite nous permet de voir ce que vaut une pensée. Une idée très belle s’avère parfois décevante lorsqu’elle est mise en place.

Vous lancez donc plutôt les machines, travaillez sur les sons avant de savoir ce que vous voulez en faire ?
Rasim : ça peut marcher dans les deux sens. On peut fantasmer d’abord un son ou un son peut nous faire fantasmer.
Charles-Éric : on a une absence de méthodologie qui rend tout possible. On essaie d’avoir l’esprit ouvert pour emprunter différentes voies.

« Helping Hand » me semble bien refléter cela. Certains des morceaux semblent parfois hésiter entre les directions, ou ouvrent des portes qui débouchent sur autre chose que ce qu’on attendait.
Rasim : effectivement, on n’utilise pas des formes classiques, du type couplet-refrain, gigue, motet, allemande, etc. On a un côté dramatique dans notre construction : un sens en appelle un autre, et ainsi de suite. On ne voit pas de nécessité à répéter ni à établir des ponts ou des breaks quand c’est attendu. La forme est effectivement déroutante.
Charles-Éric : le disque est en lui-même une sorte de long morceau, avec des éléments qui se font parfois écho, plutôt comme des questions que comme des réponses. Ce disque est un disque de questionnement plutôt que d’affirmation.

Le morceau d’introduction est l’image de ce qu’il y a de déroutant dans le disque. Au début très groovy, avec tout à coup une porte qui s’ouvre sur un piano mélancolique qui prend toute la place et annonce la suite de l’album.
Charles-Éric : on l’a voulu comme ça. Il est comme un cadre narratif, à l’intérieur duquel tout est dit, qui peut renvoyer à une expérience très fréquente, celle qu’on a tous vécue dans une boîte de nuit, en se demandant tout à coup ce qu’on fait là. On peut faire l’expérience d’essayer de danser dessus : ce n’est pas très concluant.
Rasim : l’erreur serait d’y voir un morceau de musique électronique dansant, alors que c’est plutôt un morceau dramatique qui se passerait dans une boîte de nuit. Le but n’est pas de motiver les gens à danser, mais de raconter le drame en train de se dérouler. Le drame est dit par la voix, non pas dans ce qu’elle dit (qui n’a pas d’intérêt), mais dans sa manière d’être, dans son non placement, son incapacité à être compréhensible, ou même sa fausseté. C’est cela qui rend parfaitement juste l’impression de frustration et d’échec dans le morceau. C’est périlleux de travailler sur la frustration musicalement, mais on avait besoin de ça.

 

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