GREAT LAKE SWIMMERS
À l’occasion de la sortie de son album « Lost Channels », Tony Dekker, alias Great Lake Swimmers, fait une tournée européenne passant par la France. C’est l’occasion de rencontrer le jeune Canadien et de l’écouter parler, avec une exigence permanente de précision, de justesse et d’authenticité, de ses récentes compositions musicales. Entretien dans un hôtel parisien ensoleillé, avec « Lost Channels » en fond musical.
Vous avez enregistré ce dernier album dans des endroits particuliers (une église, le Singer Castle dans la région de Thousand Islands, près du lac Ontario, ndlr). Ce n’est pas difficile, du coup, de rejouer ce type de morceaux en concert, dans un cadre totalement différent ?
Le problème est de recréer en concert les sons qu’on a enregistrés. C’est pour cela qu’on a essayé autant que possible de jouer dans des salles ou des endroits spéciaux. Quand on peut jouer dans une église, c’est génial. On a joué dans des églises au Canada, et en Europe dans une très belle chapelle. Mais on ne cherche pas non plus à reproduire exactement l’album. Il s’agit plutôt de transmettre le sentiment d’une chanson ; c’est finalement le message d’un morceau qui est important. En fin de compte, c’est tout de même la musique qui est essentielle, pas l’endroit.
Peux-tu nous en dire plus sur ce choix d’enregistrer dans des cadres naturels ou historiques ? Pourquoi ne pas enregistrer en studio, comme tout le monde ?
Au départ, c’était surtout pour le son : je voulais un son organique qui ne soit pas un effet de reverb artificiellement créé. Je voulais des sons atmosphériques naturels. Mais c’est devenu important aussi d’être dans des endroits particuliers : ça nous contraint à tirer le meilleur de nous-mêmes, ça oblige à des efforts qu’on n’aurait pas à faire en studio. Et puis, je trouve l’environnement du studio assez paralysant, sans vie, et pas propice au processus de création. Pour moi, si on peut être dans un endroit particulier, ça stimule la créativité.
C’est sans doute plus difficile techniquement aussi…
Techniquement, c’est beaucoup plus difficile. On a dû se mettre en quatre pour faire de ces espaces des sortes de studios d’enregistrement. Donc ça implique pas mal d’efforts supplémentaires. Mais pour moi, ça change vraiment la qualité de la musique et de l’enregistrement.
Et en fin de compte, le lieu a-t-il infléchi le résultat final ?
Je crois, oui. L’endroit nous a incité en tous cas à jouer avec plus de respect. Le fait de jouer dans un endroit particulier, de sentir l’énergie du lieu, ça nous fait jouer le même morceau mais sans compromis. Et puis, on a enregistré beaucoup de choses dans ces endroits pour les ramener en studio. On a sans doute utilisé autant de choses qu’on en a laissées de côté. On a essayé de retenir des sons propres à l’endroit, et puis on a aussi enregistré les chansons dans plein d’endroits différents pour voir où le son était le meilleur. Donc au niveau du mixage, ça a été bien compliqué.
Vous avez inclus dans cet album des éléments naturels, des sons propres à la vie du lieu…
Oui, on avait déjà fait ça auparavant, ça s’entendait sans doute plus sur le premier album où on pouvait entendre le vent, le son de l’endroit. Pour moi le but initial n’était pas d’intégrer des bruits de l’endroit. Il s’agissait plutôt d’enrichir les morceaux en y intégrant des témoignages sonores du lieu. Mais sur « Lost Channels », c’est la première fois qu’on a intégré un élément isolé dans un morceau : les cloches, sur « Singer Castle Bells ». On l’a fait parce que ça me semblait une occasion unique d’inclure un élément du lieu dans une chanson. On avait apporté du matériel sophistiqué pour l’enregistrement, et on avait l’autorisation de monter dans le clocher, donc on s’est dit que c’était une occasion assez unique. Je ne sais pas si quelqu’un aurait vraiment pris le temps d’enregistrer ces sons-là, et nous on avait déjà le matériel pour le faire. J’ai trouvé que c’était une belle façon de référencer la géographie d’un pays.