A 26 ans, l’Australienne Julia Jacklin a sorti l’un des plus beaux albums de 2016, dont on s’étonne qu’il n’ait pas eu plus de retentissement en France. Sur fond de folk ou de country-rock produit à l’économie par le subtil Ben Edwards, la jeune femme chante sur “Don’t let the kids win”, d’une voix superbe, le difficile passage à l’âge adulte, ses désillusions et ses fragiles espoirs. Quelques minutes avant son bref concert en première partie d’Andy Shauf, en février dernier au Café de la danse à Paris, elle a pris le temps de répondre à quelques questions. Julia Jacklin va tourner avec son groupe jusqu’en octobre, notamment en Europe : on guettera de possibles dates françaises, la chanteuse s’avérant aussi à l’aise sur scène que sur disque.
Même s’il semble plus facile aujourd’hui pour un artiste australien de mener une carrière internationale, le pays est isolé géographiquement. Penses-tu rester là-bas, ou t’installer en Europe ou aux Etats-Unis ?
Julia Jacklin : En fait, je vais déménager à Barcelone cette année, pour quelque temps. J’aimerais bien rester en Australie, mais financièrement c’est très difficile, car dès qu’on veut aller jouer ailleurs, en Europe ou en Amérique du Nord, le voyage coûte cher. Surtout si on a un groupe avec soi. Sur scène, je suis accompagnée par trois garçons, deux sont des compatriotes et le troisième est de Belfast. Je vais avoir un peu de mal à quitter l’Australie, j’ai beaucoup de famille là-bas et je ne voudrais pas être trop longtemps loin des miens et de mes racines. Même si c’est en fait déjà le cas vu que je tourne beaucoup à l’étranger.
Tu as désormais un groupe, mais je suppose que tu as aussi joué des concerts seule. Qu’est-ce que tu préfères ?
J’aime bien les deux. Mais avec d’autres musiciens, tu n’as pas à tout faire toi-même, les autres t’aident beaucoup. Et puis, les longs voyages en train en solitaire, ça peut être déprimant ! En tout cas, quelle que soit la configuration, les réactions ont toujours été positives. J’avais déjà joué à Paris en 2016, au Pop Up du label, et ça s’était très bien passé. Je crois que le genre de musique que je joue incite le public à être calme, poli et respectueux, même s’il ne me connaît pas et n’a jamais entendu mes chansons. C’est un peu différent en Australie, où il y a souvent des personnes qui me sont proches dans le public.
Ton album a été produit par Ben Edwards, qui a également travaillé avec Aldous Harding et Marlon Williams. Qu’a-t-il apporté à ta musique ?
J’adore l’album d’Aldous Harding, parce qu’il n’est pas surproduit. Ben a vraiment mis en valeur les chansons, les textes, la vision de l’artiste… J’avais peur de travailler avec quelqu’un qui dénaturerait mes compositions, les rendrait trop flashy, les noierait sous des effets. Mais il a vraiment voulu préserver leur authenticité et leur simplicité.
Quand as-tu découvert la puissance de ta voix ?
Je ne sais pas vraiment… Quand j’étais plus jeune, j’ai fait du chant classique, donc j’étais consciente que j’avais une voix forte. Mais j’étais soprano, donc elle n’était pas aussi profonde qu’aujourd’hui, je la projetais moins. C’est vers l’âge de 22 ans que j’ai vraiment commencé à l’exercer, à la travailler, en chantant plus bas. Jusque-là, comme j’étais soprano, je chantais naturellement haut. Donc ça fait quelques années seulement que j’ai trouvé ma voix.
Entre la pochette, les clips, et même ta tenue de scène, tu as créé un univers visuel cohérent, qui rappelle des teen movies mélancoliques comme “Virgin Suicides”. Cela est-il venu dès l’écriture des chansons ?
Oui, à ce moment-là, j’avais déjà dans la tête une image de moi dansant en agitant simplement les bras, dans un champ, avec une expression impassible. Quand on a eu la possibilité de tourner un clip pour le morceau “Pool Party”, j’ai conçu une petite histoire autour de ce personnage. J’avais trouvé cette maison, qui est celle de la mère d’une amie, où la photo de pochette a également été prise, et elle m’inspirait beaucoup avec sa déco des années 70 : la moquette, les panneaux de bois au mur, le grand lit, les meubles… Ca colle très bien avec la musique, il y a un peu d’humour et d’ironie derrière, mais au fond c’est plutôt sombre ! (sourire)
Tu as enregistré une reprise de “Someday”, tirée du premier album des Strokes, pour une émission de radio. Que représente pour toi ce disque, qui à l’époque symbolisait un certain retour du rock et des guitares ?
“Is This It” est sorti en 2001, j’avais 11 ans. Pour beaucoup de personnes de mon âge, il a marqué une transition. On écoutait Britney Spears ou Christina Aguilera, et aussi des choses plus anciennes de la collection de disques de nos parents, et soudain on découvrait notre propre musique, quelque chose qui nous parlait vraiment, même si pour des personnes de la génération d’avant ça sonnait comme un revival du rock new-yorkais. J’avais un voisin plus âgé que je trouvais super cool : il avait des tatouages, il fumait des cigarettes… Il adorait les Strokes et j’allais écouter les disques chez lui, je trouvais ça très excitant. Donc c’était amusant de me replonger dans cette époque en reprenant “Someday”.
Quand tu étais adolescente, tu écoutais plutôt des nouveautés, ou tu t’intéressais aussi aux artistes plus anciens ?
C’était vraiment varié, et c’était une période très intéressante de mon point de vue. J’écoutais Radiohead et Fiona Apple, mais aussi des groupes de rock comme Good Charlotte ou Linkin Park. Et puis Doris Day ou les Andrew Sisters… J’étais en train de former mon goût, sans a priori. J’écoute encore des musiques très différentes, mais pas forcément les mêmes qu’à l’époque…
Des chanteuses étaient-elles des modèles pour toi ?
Quand j’avais 15 ans, c’était Eva Cassidy et… Avril Lavigne. Deux personnalités très différentes ! [Eva Cassidy, chanteuse américaine morte à 33 ans en 1996, a connu un important succès posthume en Australie, essentiellement avec des interprétations classiques de standards comme “Over the Rainbow”, ndlr.]
Penses-tu déjà à ton deuxième album ? Parviens-tu à écrire des chansons quand tu es en tournée ?
Oui, j’ai finalement réussi à en écrire et nous en jouons désormais trois nouvelles sur scène. Au départ, je n’y arrivais pas car je n’étais pas habituée aux tournées, et je trouvais ça vraiment trop absorbant et harassant. Mais maintenant que j’ai pris le rythme, je sais quand je peux me ménager des petits moments pour travailler sur des chansons. Ça reste difficile, mais j’y parviens. Là, je tourne jusqu’en octobre, avec plusieurs festivals cet été, en Europe, ce qui explique mon installation à Barcelone pour ne pas avoir à faire à chaque fois le voyage depuis Sydney. J’espère pouvoir me mettre sérieusement au prochain disque ensuite.