THE DECEMBERISTS – Picaresque
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Troisième véritable album des Decemberists, "Picaresque" est une succession de tableaux évocateurs, où les influences savent s’entrechoquer et s’allier avec plus ou moins de bonheur. Il faut dire que l’album commence en demi-teinte avec un "The Infanta", assez pompeux. L’impact d’un "Wall of Sound" est indéniable, entre tambourins et accumulations de couches sonores. Il manque néanmoins (et pourtant, Dieu sait que je suis client de Spector et de son univers) le génie mélodique suffisant pour permettre à ce morceau de décoller. Ceci est d’autant plus regrettable que le reste de l’album est particulièrement réussi et intéressant. Les Beatles de l’époque 67-69 semblent avoir été convoqués aux séances d’enregistrement, tant le sens de l’arrangement tueur est affûté (notamment sur un titre comme "16 Military Wives", qui dénote également une fascination pour Van Morrisson et les jazz bands). Pendant qu’octobre s’annonce, "The Engine Driver" est un exemple de morceau à faire tourner sur la platine, tout en accordéon évanescent et dialogues arpèges / harmonies vocales ("And if You don’t Love Me Let Me go", l’histoire de ma vie), peut-être le beau morceau de l’album. "The Mariner’s Revenge Song" rappelle ces shanties, chansons de marins et airs traditionnels repris en chœur dans tous les ports du monde, une folie furieuse de presque 9 minutes et qui peut évoquer la version valse country du morceau de Dylan "Percy’s song" par le Fairport Convention. Entre Brel et Merle Haggard… Je vous laisse découvrir par vous-mêmes "From my Own True Love", qui aurait pu figurer sur un album de Big Star, par son aspect acoustique et désolé.
R.E.M. est un monument que les Decemberists visitent à loisir au cours de leur album, notamment dans leur période "Green"/"Out of Time", époque où mandoline, guitares acoustiques et mélancolie à tous les étages venaient frapper nos oreilles consentantes. Autre nouvelle influence surgissant dans le monde des Decemberists: Belle & Sebastian, groupe qui semble avoir comme enjeu la création de la chanson pop parfaite qui résumerait 40 ans de quête du Graal. L’influence d’un groupe sous influence ? Mais il ne faut pas bouder son plaisir, l’album supporte allégrement la boucle et place les Decemberists comme un des éléments les plus intéressants du label Rough Trade.
Il faut bien convenir que le groupe ne donne pas ici dans l’innovation forcenée, mais, au risque de choquer certains de nos amis lecteurs, reste-t-il quelque chose à inventer dans la pop ? Les règles n’ont-elles pas été posées définitivement en 1962 et réadaptées habilement depuis lors ? Néanmoins, si le format pop est une institution reconnue, il y a une caractéristique qui ne se perdra jamais et qui donnera à une pop-song une beauté toujours renouvelée : sa capacité à frapper au cœur. Le genre de truc qui ne s’explique pas avec des mots, mais qui se ressent au plus profond… Si vous voyez ce dont je parle, cet album est fait pour vous. L’atmosphère qui se dégage de la musique et de la pochette de "Picaresque" évoque la rencontre du monde de l’enfance (façon paradis perdu) et de celui des sentiments exacerbés de l’adolescence. Définitivement pop, donc.
Frédéric Antona
The Infanta
We Both Go Down Together
Eli, The Barrow Boy
The Sporting Life
The Bagman’s Gambit
From My Own True Love (Lost at Sea)
16 Military Wives
The Engine Driver
On the Bus Mall
The Mariner’s Revenge Song
Of Angels and Angles