BARBARA CARLOTTI – Les Lys Brisés
(Beggars / Naïve) – acheter ce disque
Comme les poètes, Barbara Carlotti – première signature française du label Beggars, déjà auteur d’un mini-album, "Chansons", il y a deux ans – écrit "lys" plutôt que "lis". Elle a raison, c’est plus joli, plus lyrique, même. D’ailleurs, la jeune femme a un nom de chanteuse d’opéra. Mais pas la voix, ni le répertoire (même si elle s’est en partie formée au conservatoire). Barbara Carlotti fait de la chanson, résolument, pourtant on aurait tout autant de mal à la placer sur la case "nouvelle chanson française". Chez elle, pas de scènes du quotidien trentenaire à la Bénabar-Delerm-Cherhal et Cie, encore moins de posture engagée, de l’humour parfois mais pas tout à fait celui d’Anaïs. Barbara préfère afficher des accointances avec des esthètes décalés comme Bertrand Burgalat ou Serge Bozon, le réalisateur du très fétichiste "Mods". Autant dire qu’on l’imagine plus facilement devant un film de Rohmer ou de Demy qu’en boîte, en train de se déhancher sur Diam’s.
Evidemment, du bon goût au mauvais snobisme, il n’y a qu’un faux pas. Heureusement, mademoiselle Carlotti a su éviter l’exercice de style purement référentiel et un peu vain. Ainsi, quand name-dropping il y a, il est franchement acide ("Cannes", hilarante et cruelle collection de vignettes sur le festival, où l’on croise des stars comme "David Lynch très mal coiffé" ou "Catherine Deneuve, trente ans passés… depuis longtemps"). Les références aux sixties, visiblement son époque de prédilection, sont plutôt subtiles : des morceaux qui tournent souvent autour des deux minutes trente ; une guitare douze-cordes ; une belle adaptation en français de "A Rose for Emily" des Zombies ; des arpèges à la Byrds sur "Charlie the Model", l’unique tentative anglophone du disque ; de manière générale, un goût prononcé pour un son clair, dépouillé, sans artifices (beau travail de Benoît Rault, alias Ben’s Symphonic Orchestra).
La voix est soumise au même traitement, assumant sa fragilité, décrochant un peu dans les aigus, cousine plus ou moins proche de Nico, Françoise Hardy, Juliette Gréco, Jeanne Balibar ou Barbara tout court. Une voix blanche – ce qui vaut mieux qu’une oie blanche -, délicieusement surannée, avec quelque chose d’à la fois sévère et un peu moqueur, un mélange assez unique de proximité et de distance. Une voix pour chanter la pluie, "les amertumes et les regrets", mais aussi "la caresse tendre du soleil vespéral", voire les "odeurs opaques des animaux", toutes ces choses qu’on n’entend pas tellement dans la chanson d’ici. On n’entre dans cet univers en demi-teintes qu’au bout de quelques écoutes, qui auront permis de sonder la profondeur et la subtilité des chansons, leur discret désespoir caché sous le vernis précieux. Et puis on y revient, en s’y sentant de plus en plus chez soi.
Vincent Arquillière
Tunis
Les Lys brisés
La Vérité des astres
D’accord
Une rose pour Emily
Cannes
Silence
Charlie the Model
Mélodie de la dernière pluie
Mon corps alangui
Peu importe
La Nuit des amants
Trop tard
Rien ne presse