THE DELANO ORCHESTRA – Will Anyone Else Leave Me?
(Kütu Folk Records) [site] – acheter ce disque
Le label auvergnat Kütu Folk Records vit un printemps pour le moins faste. Trois sorties toutes aussi remarquables les unes que les autres en l’espace de deux semaines. D’abord, le séduisant "Changing Plans" de Saint-Augustine, disque de la semaine dans ces pages, humble disque folk ne cessant d’obséder le sensible auditeur avec ses attrayantes mélodies et ses arrangements de haute tenue. Puis Leopold Skin et ses compositions rustiques, chaleureuses et distinguées. Maintenant, le second album de The Delano Orchestra, à peine une année après des débuts timides mais remarquables. On sentait, à l’écoute de "Little Girl, A Little Boy…", que la marche de progression du groupe serait phénoménale, non en raison des quelques carences jalonnant le disque, mais, justement, à cause de ses fabuleuses fulgurances et de l’état de grâce de certains titres.
On se disait alors que si la formation clermontoise réussissait à élargir sa gamme musicale, à se rapprocher de l’équilibre, leur audace et leur évident talent mélodique les feraient monter beaucoup plus haut. Défi réussi haut la main et au-delà des attentes, puisque The Delano Orchestra a accompli sur ces treize nouvelles compositions un travail créatif, puissant, séduisant et même fascinant à bien des égards. Les ignorants déduisant des bacs des supermarchés qu’il n’existe en France aucun groupe capable de rivaliser avec les meilleures formations anglo-saxonnes risquent fort de se sentir particulièrement imbéciles à l’écoute de "Will Anyone Else Leave Me". On ne va en effet pas louvoyer deux heures avec je ne sais quels qualificatifs élogieux, il suffit de dire que la quasi totalité des titres sont absolument époustouflants.
La formule "post-folk" adjointe à la musique de Delano Orchestra a beau être surtout un mot valise inventé par des journalistes cancres, nous supposons qu’il s’agit d’une tentative paresseuse d’affirmer que le groupe parvient à quelque chose d’approchant – comme s’il s’agissait d’un exploit ou de deux choses tellement incompatibles que l’on doive forger encore un nouveau terme pour en donner une idée. A titre personnel, je ne vois pas exactement en quoi le groupe se rapproche d’A Silver Mt Zion, Godspeed ou Do Make Say Think. La plupart des chansons ne durent même pas quatre minutes, le chant est très présent, la répétition de motifs est utilisée avec une extrême parcimonie, et, avant tout, The Delano Orchestra est davantage préoccupé, il me semble, par le développement mélodique, son aspect narratif, que par l’étude du son, des timbres, du spectre sonore, des harmonies. Quant au présumé côté folk, il me paraît encore plus caduque. A mes yeux, on passe à côté du sujet. Si je devais définir leur musique, ce que je rechigne à faire, je dirais qu’il s’agit d’une musique contemplative dont le développement musical correspond à celui des pensées et sensations du narrateur, utilisant tous les instruments possibles pour exprimer ses nuances intérieures.
Je m’aventure en terrain glissant, mais je ne peux m’imaginer le groupe faire de la musique pour le simple plaisir de s’amuser un peu, plaquer telles mesures de guitares parce qu’elles sonnent "bien", accompagner le chant d’un instrument à cuivre pour son chic et sa sophistication. L’ensemble de "Will Anyone Else Leave Me" semble une nécessité vitale, une tentative pour capturer des états fuyants et éphémères. En somme, telle chanson se développe de telle manière par nécessité, parce qu’elle ne peut être autrement, du moins dans mon esprit. C’est, en tout cas, la raison pour laquelle le disque me bouleverse autant. Il existe une véritable correspondance entre la musique et le texte, les ambiances et la tessiture de la voix. Certes, cette équivalence révèle le caractère sacré de la musique : lier toutes les parties de manière profonde pour former un microcosmos, reproduire l’équilibre de la nature et réconcilier pour un instant des formes qui dans l’existence se défont en permanence. Cependant, peu de musiciens y parviennent et ceux de The Delano Orchestra sont de ceux-là. Voilà pourquoi leur second album est une immense réussite. Voilà pourquoi je l’aime et pourquoi il tient une place particulière dans mon existence, et dans celle de bien d’autres également.
Julian Flacelière
A lire également, sur The Delano Orchestra :
la chronique de « A Little Girl, a Little Boy, and All the Snails They Have Drawn » (2008)
Intro
Something is Gone
The Escape
Until I Die
How to Care
Endless Night
On The Shore
Interlude
Everything is Gone
Sunday 2 AM
Gone
As Anyone Would Do
Will Anyone Else Leave Me