Les Boris sont de grands malades. Ça, on le savait. Après avoir bien appris les stratégies de vente de disques chez Southern Lord (multiples éditions limitées, vinyles colorés), comment peut-on leur en vouloir de sortir deux disques le même jour, après la parution quelques mois plus tôt d’un nouvel album subtilement intitulé « New Album » décliné en deux tracklistings différents suivant la version vinyle ou cd ? C’est donc toujours difficile et coûteux de suivre Boris. Ils nous préviennent pourtant : »Attention Please ». Et pourtant, bien malin qui aurait prévu le nouveau mouvement de Boris dans le heavy disco ou l’electropute ?
« Attention Please » (le titre), placé en ouverture, nous éloigne fort du marigot heavy et de la harsh noise qui saigne les oreilles enregistrée avec l’autre joyeux drille Merzbow. Boris a encore muté : c’est Godzilla, mais un Godzilla gentil (oui, c’est un paradis). Godzilla s’est gavé de paillettes disco et a plongé dans le groove. Un groove malade et malsain pour danser macabre dans les batcaves mais un groove quand même. Pas convaincus ? « Party Boy », c’est pas de la pop peut-être ? C’est Kanye qui va avoir l’air déconfit… Ça ressemble même à du Blonde Redhead, post « Misery is a Butterfly », en plus sale, en plus cochon. Et c’est pas fini : »Tokyo Wonder Land » convie Miss Kittin et Merzbow entre batterie synthétique et vrillage consciencieux d’oreille. Merde, on danse là-dessus ? On danse sur du Boris ?! Et c’est toujours aussi dangereux : je vois d’ici les métalleux se mettre du gloss noir (c’est fini le rouge à lèvres). Wata est toujours au centre du dispositif. Ici plus que jamais puisqu’elle chante sur l’ensemble des titres. Du moins elle chuchote, susurre, folâtre dans cette partie sombre et décharnée du cerveau de Boris qu’on ne pouvait que soupçonner jusqu’à présent mais qu’on ne pensait jamais entendre. Car il y a quelque chose d’impudique dans cette livraison subtile et délicate, loin de la virilité assumée (avec une légère ironie aussi, comme toujours) de son dopplegänger « Heavy Rocks », dans lequel les guitares coulent comme du magma, en strates compactes. Quelquefois, il y a éruption, c’est difficile de se contenir, et ça donne « Les Paul Custom ‘86 » (qui peut donner un titre comme celui-ci à part Boris ?) mais les guitares en fusion sont parasitées par ces incantations méphistophéliques désormais coutumières, des coupures, des glitches électroniques, un coup de basse à la New Order (comme une bonne blague hein, on les sait blagueurs) et même : une quinte de toux ! Boris est grand en 2011 et on espère qu’un public plus large de poppeux saute avec délice dans cet album réussi, surprenant, sensuel comme un coup de trique et suive, comme nous, la passionnante aventure de Boris dans leur réécriture musicale moderne et heavy des « Métamorphoses » d’Ovide.