Lorsque le miracle Arlt rencontre l’original Thomas Bonvalet (Cheval de frise, L’ocelle mare, Powerdove), les chansons revisitées de « La langue » et de « Feu la figure » prennent une toute autre patine. Boursouflées, déraillées, pleines d’accidents, l’âme torturée des chansons de Arlt entrent ici dans une autre dimension. « Sans mes bras » à la mélodie imparable et raccommodé par un harmonica et un concertina tous deux spectraux n’en est que plus sibylline : il y a quelque chose de pourri dans le monde de Arlt, l’air est vicié, les chansons ont trois pattes façon « Freaks ».
Le travail de Thomas Bonvalet est remarquable d’équilibre, créant à côté des cordes malmenées de Sing Sing chanteur / guitariste dégingandé et du chant illuminé d’Éloïse Decazes, un trio plus que convaincant, d’une liberté totale. Musique de l’absurde, pétaradante, terriblement jouissive, dérapages incontrôlés, cordes pincées sur des micros poussiéreux, boîte à musique couverte d’une belle rouille ocre, toiles d’araignées dans des orgues remisés accompagnent des voix aussi habités qu’un Artaud au vieux Colombier, prenant parfois des accents vernaculaires moyenâgeux sous les vrombissements d’un orgue à bouche ou d’un concertina possédés rappelant les titres « Le petit Chevalier » ou « Janitor of Lunacy » de Nico sur l’élégiaque « Desertshore ».
Ar(l)t Naïf, performance sonore, il n’était pas forcément facile de toucher à ces chansons. Le travail d’Arlt et de Thomas Bonvalet confirme tout le bien que l’on pensait des premiers : une espèce de pionniers d’une chanson exigeante sans doute très libératrice pour les deux comparses et dont la source originelle suscite le questionnement de l’auditeur. Et ce dernier, Bonvalet, qui accompagne, que dis-je, qui transforme, transcende avec verve la musique d’Arlt dans le champ de l’étrange et de l’inquiétant…