PROGRAMME – La Boule Noire, le 28 mai 2002
La deuxième apparition scénique de Programme à Paris cette année confirme la capacité des deux toulousains à incarner sur scène leur musique martiale et sans concession, conjuguer l’amertume avec la performance physique sans se perdre dans les méandres du show.
Si certains restent encore sceptiques après l’écoute du dernier album "L’enfer Tiède", et à plus forte raison sur le précédent disque de Programme, le meilleur conseil que l’on pourra leur prodiguer est d’assister à un concert du groupe, fer de lance du label Lithium. Pour ainsi dire, la musique du duo toulousain gagne en envergure par rapport aux disques et prend, manifestement, tout son sens en concert, exercice auquel ils s’étaient refusés lors de la sortie de "Mon cerveau dans ma bouche". La scène, l’espace scénique, les planches, comme on voudra, agit comme un révélateur sur leur prose froide et sans espoir. Ils dégagent une présence telle qu’il est difficile de ne pas être happé par chacun de leur mouvement, ne laissant aucun doute de la sincérité de leur démarche et éloignant les doutes d’une quelconque fumisterie.
Un concert comme celui là ne s’oublie pas, au même titre d’ailleurs que leur dernier passage au Nouveau Casino, passage à l’occasion duquel ils avaient mis l’assistance K.O. Sans vouloir trop intellectualiser cette musique entre rock et spoken word (merci au DJ qui eu l’inspiration de passer du William Burroughs avant leur entrée), affirmer que l’on reçoit physiquement les maux de Programme et que le corps vibre sous le coup de leurs chansons, implacables et sans issues, ne relève ni du fanatisme ni de l’absurde. L’écrivain et poète Mehdi Belhaj Kacem saisit d’ailleurs toute la teneur et la densité de ce que peut générer la musique dans son dernier livre paru chez Tristram/Fayard…
"Pas la peine de rappeler que la musique a toujours été, et est plus que jamais, peut être plus qu’elle ne fut jamais, l’art touchant le plus directement à l’affect ; pas la peine d’insister donc sur le fait que s’il y a bien une consistance de l’errance, du précaire, du quasi spectral, du vide qui rôde, du "virtuel", de cela qui hante l’espace sans l’occuper en aucun point – c’est bien du côté du son qu’il faut chercher." (Mehdi Belhaj Kacem "Essence n de l’amour")
Pour rentrer dans le vif du sujet et quitter les terrains de la théorie, Programme après une première partie jouée sous le signe d’un rock boursouflé, (Giddy Motor sympathique groupe écossais étonnement signé chez Fat Cat records, délivre un rock sans concession et bourrin à souhait entre Fugazi et Korn, ce qui aura au moins eu le mérite de nous nettoyer les oreilles avant de rentrer de plain-pied dans les incantations de Programme et leur rythmique au bord de l’asphyxie) et quelques jeux de mots vaseux d’un public loin d’être acquis, entame une bonne partie de son premier album qui désarçonne sans doute les auditeurs de "l’Enfer Tiède", d’où ces violentes réactions, représentatives du reste d’une gêne réelle vis à vis de ces textes qui ne sont pas faits pour laisser l’auditeur en paix avec lui-même. La densité du texte, les rythmiques malades diffèrent du dernier album et prennent d’assaut les récents convertis avant que le groupe s’enfonce d’arrache pied dans leur dernier fait d’arme livrant en toute fin une version longue et déconstruite d’ "une page d’histoire" qui s’appuie sur la résurgence de phrases avortées et de samples abandonnés.
Ensuite, le dispositif scénique, plutôt élaboré, si l’on s’en tient aux concerts "classiques", sert à merveille leur composition et témoigne du souci d’un rendu sensitif tel sur le magnifique "Et la ville disparaît" ou "Je suis un Boomerang". Les trois micros autour de l’ex-Diabologum forment une constellation où la parole attaque et mord sans prévenir tandis que lumières à quartz, fresnels et autres kinoflos assènent des flashs et illuminent avec parcimonie Damien Bétous et Arnaud Michniak qui, pour sa part, n’est pas loin d’accomplir un véritable travail "d’acteur" tant par la quantité de texte débitée et la mémoire que cela requiert que par sa présence physique exacerbée. De ce rectangle lumineux régi par la tension des corps et des sons, se dégage une atmosphère oppressante et poisseuse de laquelle il est difficile de se défaire quelques heures après la fin d’un concert beau et éprouvant. Une salve d’applaudissements retentit et réclame leur retour sur la scène en vain mais c’est avec la certitude d’avoir assisté au concert d’un groupe unique qui on l’espère ne s’essoufflera pas trop vite.
Philippe