Bobigny à l’automne, c’est déjà du Mendelson. Densité des immeubles et des tours le long d’un boulevard sans charme. Centre commercial massif dont les faces en béton brut, de ternes à noircies, obstruent l’horizon. Grisaille ordinaire de la petite couronne par temps de pluie. Quant à la toponymie – avenue Maurice Thorez, avenue Karl Marx, avenue du Président Salvador Allende, boulevard Lénine, etc. –, elle porte assez la marque de soixante-dix années de victoires communistes aux municipales. Jusqu’en 2014, quand l’UDI l’a emporté. La salle de concerts Canal 93 (capacité maximale 400 places) se trouve, elle, avenue Jean Jaurès… non loin de l’office du tourisme. Mais pour l’heure, pour paraphraser Mendelson (ou Marguerite Duras), nous n’avons rien vu à Bobigny.
L’endroit plongé dans l’obscurité et dans un léger nuage de fumigènes est rempli quand débute la soirée “Génération X (ou autre chose)”. Une idée initiée et orchestrée par Pascal Bouaziz, voix et âme de Mendelson depuis 1995. Avec à la suite Bruit Noir (Mendelson), Perio, Françoiz Breut et Michel Cloup Duo (ex-Diabologum), l’affiche réunit des groupes du label Lithium, actif de 1990 à 2004. Pour autant, il ne s’agira pas d’une commémoration. Pas le genre de la maison.
La proposition de Bruit Noir secoue quelque peu les usages : gros volume sonore ; stridences et dissonances pré-enregistrées ; batterie (Jean-Michel Pirès) au premier plan ; textes pas toujours audibles. Un monolithe sombre, itératif, à prendre ou à laisser, dans la lignée des séquences les plus ardues du triple album de Mendelson (2013). Dans le tumulte, les sons plus liants de “La Province” réservent un répit. Pas le texte, où un parallèle est établi entre la vie en province et la propension au suicide… Pour peu que l’on s’accroche, l’association des mots, des sons et des vidéos noir et blanc projetées fait son effet. Mais l’on remarque que des habitués de la salle, un petit quart de la jauge, tournent les talons. Bruit Noir a-t-il rompu le lien social ?
A contrario, entre les titres, Pascal Bouaziz se montre loquace et plutôt drôle. Humour grinçant et second degré à pleins tubes. Il indique par exemple qu’après une longue réunion et quelques échanges d’e-mails, le collectif Génération X était tombé d’accord : en début de soirée, un « bonsoir » sera adressé au public… Il s’en chargera.
Quand Perio entame son set, Pascal Bouaziz s’empare d’une guitare pour un titre, accompagnant le très beau crescendo de “Woman Uncalled”. Fondu enchaîné. Le trio au diapason que forme Eric Deleporte (chant, guitares), Christian Quermalet (basse, ex-The Married Monk) et Etienne Gaillochet (batterie, We Insist !) alterne entre des chansons des albums “Medium Crash” (1999) et “30 Minutes With Perio”, paru cette année chez Objet Disque. La projection de fragments de vidéo, brèves séquences américaines brouillées, contribuent à installer un climat incertain, façon David Lynch. Quand retentit la basse véhémente de “Crust & Dirt”, The Clash apparaît de dos, en fond de scène… Puis surgit Françoiz Breut, amie de longue date de Perio, période nantaise, pour reprendre à deux voix l’émouvant “Billboard”. Bonheur d’entendre de nouveau les élégies puis la fougue électrique de Perio dans une salle de concerts digne de ce nom.
Pétillante, le cheveu hérissé, et très libre sur scène, Françoiz Breut a des allures d’elfe enjoué. Pour autant, la chanteuse tout de noir vêtue (comme l’ensemble des protagonistes, pour cause de vidéoprojection, imagine-t-on), ne chante nullement l’esprit de la forêt mais le pavé de Bruxelles, un spleen léger et quelques espoirs tenaces. Avant d’entonner “Ma colère”, où Michel Cloup rejoint le duo formé de Françoiz Breut (chant, clavier) et du guitariste Stéphane Daubersy qui l’accompagne depuis plusieurs années, on intercepte quelques titres inédits. Sans doute figureront-ils sur l’album qu’elle a réalisé avec Adrian Utley (Portishead). Puis “Cette colère” de Michel Cloup succède à celle de Françoiz Breut. Là encore, le fondu enchaîné idéal.
Le volume monte de deux crans quand Michel Cloup Duo présente ses nouvelles chansons, et par la même occasion, un batteur neuf. Si Michel Cloup ne goûte nullement la nostalgie, la manière – textes scandés, guitare offensive et batterie à l’avenant – ne manque pas d’évoquer les belles heures de Diabologum (“#3”, album coup de poing et emblématique du label Lithium, en 1996) et d’Expérience. Ce qui s’appelle avoir un style. Et des textes qui tombent bien : « La faillite n’est pas économique/elle est humaine (…) La classe ouvrière s’est enfuie/La classe ouvrière s’est enfuie. »
Pour le final, les neuf protagonistes de Génération X sont sur le pont pour interpréter, sur fond de musique drone, le beau texte de Pascal Bouaziz : “Ville nouvelle/Nouvelle vie”. Une expérience qu’Eric Deleporte situe après-coup « à mi-chemin entre Georges Brassens et le Velvet Underground ».
En somme, deux heures trente de spectacle sonore et visuel dont le fil rouge serait l’indépendance d’esprit et la qualité des écritures.