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Concerts

Songs:Molina A Memorial Electric Co @ Södra Teater, Stockholm le 3 octobre 2018

J’aimerais bien éviter de revenir une fois de plus sur mon attachement à Molina et au Magnolia Electric Co mais comment faire puisque sa musique touche à quelque chose de très intime pour moi, et que tous (vraiment tous) ceux qui était présents ce soir-là y étaient pour quelque chose de l’ordre de la communion, voire de la veillée funèbre (rien de macabre même si l’Halloween approche) ? Donc 2003 : Jason Molina publie « Magnolia Electric Co », peut-être l’un de ses meilleurs, embauche un groupe monté pour l’occasion à Bloomington, Indiana, résidence de Secretly Canadian et tourne avec ce qui restera, contre toute attente, et à l’opposé de ses expériences passées, son point d’ancrage, son vaisseau amiral, scénique et sonique (malgré quelques émouvantes échappées en solo mais ce n’est pas le propos de ce soir).

En 2003, avec celle qui n’est pas encore mon épouse ni la mère de mes enfants, mais déjà ma bonne amie, nous nous pressons au premier rang du lieu dit Mains D’œuvres, dans la moiteur et la sueur, pour applaudir le Songs:Ohia, en fait le Magnolia Electric Co, mais personne à l’époque, y compris eux-mêmes, ne le sait vraiment.

15 ans plus tard, Jason n’est plus là mais le Magnolia Electric Co reste. Nous avions bien entendu quelques échos de concerts américains réunissant les membres passés de Songs:Ohia et le Magnolia Electric Co, en compagnie d’Erin Osmon, qui venait de publier son livre. Au moment de prendre des billets, la question se pose, vite tranchée, mais qui se présente à nouveau le soir du concert (la fatigue, l’âge…) : pourquoi aller entendre du Molina sans Molina ? Réponse : parce que c’est peut-être la dernière chance d’entendre ses chansons sur scène et dans le costume sonore monté par Jason. Et peut-être même avec un groupe habillé avec les costumes country portés à l’occasion de la sortie de « Josephine ».

Affiche Songs:Ohia Tribute Stockholm

Pas de première partie, un Södra Teater clairsemé de quadragénaires ++ avachis dans les fauteuils de plus en plus défoncés, dont certains américanisés (chapeaux, casquettes) et voilà le Magnolia Electric Co qui monte sur scène. Mike Brenner au dobro, Jason Evans Groth, bouclettes blondes et guitare, Mikey Kapinus, claviers, Mark Rice, batterie et Peter Shreiner, basse et barbichette méphistophélique blanche. Plus Tim Showalter de Strand of Oaks dans le rôle difficile de doublure de Molina. D’autant plus difficile qu’il allie un look et un physique de Keith Richards avec celui d’Axl Rose bedonnant. Et tout aussi coloré. On lui pardonnera beaucoup parce que c’est presqu’un viol de voir les chansons de Molina chantées par un autre et qu’il faut finalement beaucoup de courage pour monter sur scène assumer cela. Même si les fans de Molina ne sont pas ceux d’AC/DC (quoique… Remarquez, la réciproque est moins vraie), on pense à ce qu’ils ont dû ressentir en voyant le même Axl Rose venir prendre la place du remplaçant du remplaçant de Bon Scott. 

On n’a presque l’impression de revenir 15 ans en arrière avec un « Riding with the ghost » d’anthologie pour ouvrir les festivités. Erin Osmon, tout en robe à volants bleutés (pas facile non plus…), vient lire quelques lignes de son livre pour introduire l’album chicagoan dont est tiré le titre qui suit. Osmon ne lit pas très bien, fait un peu retomber l’ambiance et surtout donne l’impression de vouloir vendre la camelote. Disons qu’entre ça et le Showalter qui lie les partoches pour chanter, c’est un peu plan-plan. Même Lou Reed n’a pas fait ce coup-là.

C’est avec un « Two Blue Lights » du divin « Didn’t it Rain »qu’on comprend que ça ne va pas être facile de garder les yeux secs. On ferme les yeux, on évite de regarder en direction du lecteur-chanteur et tout se passera bien.

Suit « Gray Tower », enregistré récemment par la fine équipe (pour avoir un support de tournée ? un peu de fraiche dans les poches ? se faire de la maille sur le cadavre une dernière fois ?) dans les conditions Molinesques, en une prise, et avec une pochette signée Will Schaff et dont voici le clip.

On oublie vite nos réticences tant on sent le Magnolia heureux et très (très) ému d’être sur scène. Ils nous remercient régulièrement d’être là, de continuer de faire vivre la musique de Jason, d’en parler et de la faire découvrir. Et c’est vrai que c’est ce qu’on fait. Jason Groth aura régulièrement les larmes aux yeux, quand elles ne coulent pas complètement, entraînant des mouvements compliqués de maintien de guitare et d’essuyage.

Grand frisson : « The Lioness ». Et là, je crois que tout fan Molinesque se fait un peu dessus. Un peu plus tard Erin Osmon rappellera que le groupe (et Groth particulièrement) se faisait engueuler lorsqu’il essayait de convaincre Molina de jouer ses vieux titres, les préférés du public et jamais réentendus sur scène depuis l’époque du Magnolia. Oui, amis, « The Lioness ».

I’m Kingfisher, folkeux local, au projet sans avenir comme il le définira lui-même (vous n’en avez certainement jamais entendu parler : tant mieux), vient tenir le micro sur deux titres. Contrairement à notre souvenir (lire le compte-rendu du concert), il tient bien la route, bien mieux que Showalter notamment, grâce à une jolie voix bien différente de celle de Jason et des mouvements à la fois empruntés et, disons, funky, décalés mais sympathiques sur le blues-deguello de « Leave the City ». La bonne surprise du concert. Je crois me souvenir qu’il faisait partie des groupes suédois qui avaient organisé une soirée de soutien à Molina lorsqu’un appel au don avait été lancé. Il fait des blagues pendant que le groupe annonce qu’ils ont tenu à faire intervenir des groupes amis pendant cette tournée. Encore un chouette geste. Et une émouvante version de « Hard To Love A Man ». Maintenez Showalter en coulisse et gardez I’m Kingfisher, crénom !

Après une bien belle North Star, Groth introduit « Old Black Hen »en racontant qu’il avait été surpris qu’un de ses potes puisse écrire une chanson comme celle-là, un classique de la country dont Molina était très fan, et pensait même qu’après, Jason aurait été happé par le business pour écrire des titres de cette trempe. Une fois encore, quelle chance de pouvoir entendre cette merveilleuse chanson.

C’est l’heure de la pause et d’un pré-bilan. Oui, ça fonctionne bien et ça remue bien les tripes tout de même. On peut même envisager de pouvoir faire des requests sans se faire fusiller du regard par l’absent-hyper présent. On se met d’accord, « John Henry Split My Heart »pour moi, « Coxcomb Red »pour elle. On prête un peu plus attention aux titres de Molina qui sont diffusés pendant la pause et qui se révèlent être une vraie bonne idée : ce sont des titres démos, non sortis, de « Josephine »me semble-t-il. Encore un beau partage.

Lors du deuxième set, un deuxième invité suédois se mêle du chant : The Tarantula Waltz. Un peu trop assuré, contrairement à I’m Kingfisher, jouant les stars et traitant le Magnolia comme un backing band. Certainement de la gêne traitée a contrario. C’est la fausse note du concert malgré une élégante présence et une voix nasillarde convenant tout à fait au répertoire Molinesque.

D’ailleurs, chaque membre du groupe se prêtera au jeu de l’interprétation. Certains avec plus de brio que d’autres (le bassiste Peter Shreiner quasi catastrophique mais qu’importe, c’est le geste qui compte). La grande réussite et un des grands moments du concert : le batteur Mark Rice reprend « Hot Black Silk »de « Axess and Ace »avec une voix de tête nasillarde qui rappelle tout à fait le Molina pré-« Didn’t It Rain ». Avec cette batterie caractéristique qui claque. Grand grand moment.

Je n’aurais pas eu besoin de demander « John Henry Split My Heart », joué de bon cœur et permettant au Magnolia de faire tonner l’énergie du groupe. Un groupe qu’on aura trouvé d’ailleurs rarement aussi peu concentré. C’est d’ailleurs une drôle de remarque. Alors qu’on avait toujours auparavant trouvé le groupe hyper solide, presqu’indépendant, en roue libre disons, on le trouve un peu épars. D’habitude, le groupe faisait corps autour de Molina qui condensait tout et faisait surgir des formes diverses. Le super band, Springsteenien, Youngien des débuts, avait connu finalement de nombreuses incarnations, néo-countrysantes, garage presque sur la fin. C’est tout le spectre qui est reparcouru pendant ce concert, y compris dans des formes qu’ils n’avaient pas connues (les albums avant Magnolia). L’absence de Molina donne donc un aspect un peu relâché. Pas désagréable mais vraiment étonnant, comme s’il manquait une pièce maîtresse ou plus exactement un cap.

Autre conséquence, Molina n’a jamais été aussi présent. C’est quasi palpable. Que ce soit de l’ordre du mystique ou de la physique (une intrication quantique ? Des particules de Molina dans les ondes de sa musique ?), Molina est là et vraiment là. C’est triste et vraiment réjouissant. D’ailleurs Groth le dira, c’est difficile de sourire et de pleurer en même temps.

Dont acte.

 

Still waitin

For you to sing that song again

The one you were singing at the very fall of man

It ain’t halleluyah but it might as well have been

(chialeries)

Sing it brother one more time

Sing it brother one more time

(rechialeries. La répétition chez Molina, c’est vraiment dur. Heureusement qu’on n’a pas eu « Ring the bell » et ses « endless depression »)

Sing it sister one more time

Sing it sister one more time

(ne pas regarder son voisin. Ni Groth)

C’est l’heure des adieux avec un Groth déchirant lorsqu’il déclarera : »See you on the road. Some time ». Des Encorespas possibles qui commencent avec un « Hold on Magnolia ». No one has to be that strong ou I think it’s almost time. Fallait pas la chanter.

Heureusement, on se quitte sur « Farewell Transmission », avec un Mike Brenner au dobro brûlant et c’est pas que Molina qui est ressuscité c’est aussi le meilleur de Neil Young et du Crazy Horse : les acidités piquantes de la guitare de Groth, le velours dur de la basse de Shreiner et les sourires de Kapinus (meilleurs sourires et backing vocals de la soirée). I will be gone but not forever. Bah ouais. King is gone but not forgotten quoi. C’est la queue de la comète brûlante, incandescente avec un Magnolia pyrotechnique.

Big star is falling. Long dark blues. Through the static and distance. Long dark blues. Listen. Long dark blues. Listen.

Rien que pour réentendre ça, les voir chanter ça à tue-tête, presqu’a cappella à la fin sur la batterie, ça valait le coup. Ça reste toujours aussi profond et mystérieux, intime et universel, presque prophétique comme tout ce qu’a écrit Molina. On ne comprend pas grand-chose à la physique quantique mais elle fonctionne et on peut l’utiliser. Pareil pour la musique de Jason. Et quand on la comprendra, le mystère Molina sera peut-être levé.

Je repense à cette remarque de Wittgenstein qui mérite d’être méditée : « Les hommes d’aujourd’hui croient que les savants sont là pour leur donner un enseignement, les poètes et les musiciens, etc…, pour les réjouir. Que ces derniers aient quelque chose à leur enseigner, cela ne leur vient pas à l’esprit. « 

« See you some day. On the road » comme ils disent. On évite la case merchandising, c’est pas sûr qu’on arriverait à éviter de prendre Groth dans nos bras pour pleurer comme des gros Donuts. À bientôt Goshen Electric Co.

 

Setlist :

Riding with the ghost

Lecture Erin Osmon

Two blue lights

Gray Tower

Lioness

Leave the city

Hard to love a man

Lecture Erin Osmon

North Star

Old Black Hen

(Pause)

Lecture Erin Osmon

Hammer Down

Steve Albini’s blues

Hot Black Silk

In the human world

Just be simple

Dark don’t hide

Lecture Erin Osmon

John Henry Split my heart

Whip poor will

 

Encores:

Hold on Magnolia

Farewell Transmission

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