Le succès médiatique remporté par Bertrand Belin avec son sixième album “Persona”, très réussi, a été validé d’un succès public, car le concert bordelais a été déplacé de la Rock School Barbey au Krakatoa, salle nettement plus grande. La soirée promettait d’être belle, car l’ouverture de celle-ci était confiée à The Married Monk, qui avaient enchanté 2018 avec leur ”Headgearalienpoo”.
Malheureusement, j’arrive un peu en retard et ne pénètre dans la salle qu’après trois ou quatre morceaux de la formation menée par Christian Quermalet : le temps de me placer idéalement, et je peux enfin savourer la prestation du quatuor. J’avoue sans peine n’être pas forcément un grand connaisseur du groupe, mais il a su me convaincre de me plonger plus avant dans sa discographie. Si le dernier album se paie la part du lion dans la setlist, sa qualité lui permet de séduire la foule, avec en moteur les excellent Jean-Mitch Pires à la batterie et Benoît Burello à la basse. C’est classe, alterne les moments qui montent dans les tours (“Bomb on Blonde”) pour faire redescendre le tempo (“Mitte 1989”), toujours avec audace, idées mélodiques à la pelle et la présence de Christian Quermalet. Le public, déjà présent en nombre, ne s’y trompe pas et donne au groupe l’ovation qu’il mérite assurément.
A peine le temps d’aller chercher un petit remontant que déjà Bertrand Belin arrive sur scène, avec son style inimitable, à la fois très droit, presque raide, mais en même temps avec l’envie de se laisser aller à s’exprimer par le corps. C’est pourtant sur un temps presque suspendu que s’ouvre le concert car il nous faut faire notre “Bec”, avant d’enchaîner sur “Bronze”. On reste durant toute l’entame du concert sur les chansons mais aussi l’univers de “Persona” : claviers sans esbrouffe, incarnation parfaite par Bertrand Belin de ces chansons nébuleuses (les très beaux “L’Opéra” ou “Les Choses nouvelles”) , propulsées par un backing-band de très haut niveau. Tatiana Mladenovich effectue comme à son accoutumée un travail formidable, tout en discrétion et subtilité. Si elle a l’honneur du devant de la scène sur “En rang (Euclide)”, formant un duo tout aussi intrigant que sur disque, c’est son toucher qui fait d’elle un pilier, au même titre que Thibaut Frisoni d’ailleurs.
Mais la prestation ne serait pas aussi parfaite si Bertrand Belin n’amenait pas son petit grain, sinon de folie, en tout cas de décalage. Toujours drôle, un peu pince-sans-rire et jamais avare d’absurde (son dialogue imaginaire qui surgit en plein milieu d’“Hypernuit” est aussi incongru que marquant et drôle), il s’exprime aussi beaucoup par le corps. Mais revenons à la musique : les incursions vers les cinq premiers disques sont rares (peut-être un peu trop ?), raison de plus de déguster donc un “Hypernuit” version extra-longue, “La Chaleur”, “Folle, folle, folle” étiré ou encore “Peggy”. Le songwriter de chez nous a le sens inné pour retomber sur ses pattes avec grâce, faisant de cette heure et demie une parenthèse rare, conclue tout en nerfs par le “Dimanche” des complices des Limiñanas, joué à fond. La grande classe, comme toujours.