Capture d’instants et reflets de l’esprit des lieux, l’animiste Fletcher Tucker clôt divinement sa tournée dans un(e) drone de méditation lardée de folk. Gros trip dans la stuga.
En fin de tournée pour “Cold Discovery”, Fletcher Tucker s’installe sur la côte ouest de la Suède dans la stuga de ses potes Mariam Valentin et Andreas Werlin (Wildbird & Peacedrums, Mariam The Believer). Il profite de l’isolement et de la solitude pour capter l’essence de sa performance en trois nuits de novembre 2018, près de Bovallstrand. Pour avoir assisté à un concert dans la salle arrière du Larry’s Corner, sur un canapé défoncé et avec nos enfants sur les genoux, je retrouve ici l’atmosphère du spectacle. Cérémonie serait sans doute le terme le plus approprié. Tucker, descendant américain d’immigrés suédois, appelait, convoquait ses ancêtres et les nôtres dans ce proto-rite qui débutait par une purification de l’air à l’aide d’un bouquet de laurier sauvage, confectionné à Big Súr, Californie. Suivaient drones au melodeon (un orgue anglais à pompe manuelle âgée d’une centaine d’années et taillé dans du bouleau finlandais), bols tibétains caressés (symboles de l’âge de bronze), dulcimer à cordes frottées par un archet, flûte bricolée…. Quelquefois une chanson émergeait de quelques notes grattées sur une vieille guitare (une Crafton suédoise de 1960). On était très, très loin de la tournée promo mais dans un dialogue entre l’est et l’ouest, le passé et le présent, portés par des odeurs de plantes et de bois secs.
On comprend que Fletcher Tucker ait eu envie de fixer ces instants, précisément en Suède, habités par ses souvenirs et sans doute revivifié par l’esprit des lieux. C’est donc les moments de ces performances qui revivent ici, fluidifiés dans le flot de l’enregistrement, découpés en pistes mais qui s’apprécient dans leur continuité. On glisse dans les drones apaisants et les résonances métalliques des bols, on guette les souffles de l’orgue, les bruissements du laurier, le crépitement du feu dans l’âtre, tous ces petits suppléments d’âme qui touchent aussi sûrement que la voix, nue ou multipliée par les pistes, réverbérée parfois, qui s’élève dans des hauteurs quasi Mount Eerienne. Est-ce un hasard ? Le folkeux pur et dur comme le nerd expé tatillon sur le son (mix additionnel de Chuck Johnson dont on avait apprécié le “Balsams”) trouveront leur compte dans ces unlit trails.
Dans la grande tradition de générosité de ces néo-hippies tant appréciés (Little Wings, autre compère refugié chez le label Gnome Life de Tucker), Fletcher Tucker nous gratifie de documents : paroles bien sûr, mais aussi textes (titres traduits en suédois) racontant la genèse de cet enregistrement ainsi que sa philosophie animiste. Cerise (myrtille ?) sur le gâteau, des dessins au crayon de Tucker illustrent ce très beau disque : bouquet de laurier au dos et, en couverture, ces « chemins non illuminés » qui partent du rivage vers des collines boisées et leur reflet. Pour les avoir souvent peintes et dessinées (en moins bien), on connaît tout le pouvoir d’attraction de ces endroits, toujours les mêmes, toujours différents.
Avec l’aide de Johanna D., reine des bois, des ronces et des genêts.
“Unlit Trail” est sorti le 12 févier 2021 chez les Allemands d’Adagio 830. Et pour une fois, on s’épargnera les frais de douanes et d’import US !