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Track by track – “The Mushroom Type” de Fabiola

La Belgique ne cesse de nous offrir des groupes de qualité, et si Fabiola n’est pas le plus connu, gageons que cet album lui donnera un coup de projecteur. Son leader, Fabrice Detry, a su s’entourer (Tim Clijsters, ex-BRNS, Antoine Pasqualini, Mocke Depret pour quelques instruments, et en live Léa Kadian – Kunde, et Aurélien Auchain – Mountain Bike) pour donner libre cours à sa vision d’une pop qui s’irrigue à bien des styles, d’un kraut funk rock bien roulé (“Tarentella”, “The Nail on the Head”) à un indie rock très belge dans l’âme (“The Wing”), sans oublier de glisser un instrumental gentiment étrange (“Hétomesnil”) ou un peu de folk par ci par là (“Sahune”). Joyeusement libre dans la forme, “The Mushroom Type” n’en reste pas moins très cohérent, et s’avère un disque dont le charme se révèle toujours un peu plus au fil des écoutes. Son auteur nous en dit un peu plus sur ces dix titres !


« Je me souviens de l’histoire incroyable de ces plongeurs qui ont survécu au tsunami de 2004 en nageant en profondeur, sous la vague meurtrière. C’est l’image qui m’est venue quand j’ai composé la musique de “Watery Base”. Le texte a été écrit beaucoup plus tard, à un moment similaire, où je vivais mon bonheur sous le niveau de la mer. »


« “Tarentella” s’adresse aux hommes qui s’accrochent aux valeurs d’un monde révolu et à leurs vieilles icônes pourries, fussent-elles des violeurs ou des agresseurs. Ça parle aussi du point de rupture entre nos convictions profondes et nos amitiés. C’est le moment où tu choisis, enfin, les premières aux secondes. »


« J’ai 10 ans, mes parents m’attendent avec une salade de carottes râpées, mais moi, j’ai oublié ma montre. Je remonte lentement, de pierre en pierre, le Lignon, la rivière de mon enfance. Ce titre parle d’une reconnexion avec mon enfant intérieur et de la rencontre que je n’attendais plus. »


« Essayons de nous entendre, de goûter ensemble à cette confiture qui ne s’étalera jamais. »
Une image imparfaite, tout comme la famille, parfois.


Le plus gilet-jaunesque des textes de Fabiola. Voyez seulement :

« J’en ai marre des jeux
Sauf de celui ci
Aujourd’hui je veux blâmer
Et te bannir de la pièce
Et quand sonnera minuit,
Quand la terreur coulera dans mes veines,
Écorché vif, je te jugerai. »


« Le Grand Blond avec une chaussure noire. Dans le générique du film, composé par Vladimir Cosma, on voit des mains qui mélangent les cartes et présentent les acteurices. Ce thème, je le siffle depuis mon enfance, tout comme celui du Parrain. Avec Fabiola, il m’arrive de chercher de ce côté là, d’avoir envie de me balader musicalement, de sortir du diktat du couplet-refrain et de me taire, pour une fois.

Ce morceau instrumental a reçu son nom alors que j’accompagnais ma compagne photographe qui était en résidence dans une immense demeure en Picardie verte, à Hétomesnil donc. Le lieu accueillait aussi un escape game à l’attention des écoles de la région. Les enfants devaient retrouver le meurtrier du fleuriste du village. Alors que je travaillais sur ce titre, un cadavre baignait dans son sang à l’étage. Ç’a été une donne à gérer au beau milieu de cette campagne pour le reste paisible et charmante. Je pense que c’est ce que symbolise la basse drone jouée au Moog à 1‘56 »… »


« Un morceau en forme d’encouragement lancé aux ami·es et à moi-même, un mantra quand la douleur se fait trop alléchante : brise (le cycle), guéris, laisse couler. »


« “Les psychotiques ont des antennes que les névrosés n’auront jamais”, m’a un jour dit mon psychologue. C’est vrai. Pendant le confinement, les rêveurs se sont opposés aux légalistes. Certain·es s’enfermaient chez eux, citoyen·nes avant tout, quand d’autres criaient au complot, s’inoculaient le virus du Covid avec des cotons-tiges pour pouvoir voyager ensuite. Et puis au milieu, il y avait moi. Je mangeais à tous les râteliers, selon l’heure de la journée, la force de conviction de mon interlocuteurice, la mélodie de sa voix, et le degré d’acidité de mes mandarines. De cette période, je ne garderai pas grand chose, si ce n’est ce savon de Marseille à l’effigie de Didier Raoult, offert par un ami facétieux. Et cette pop song un peu débile. »


« Ariel Pink a écrit des dizaines de titres qui m’ont mis les sens en alerte. Une approche brute et bordélique du songwriting, doublée d’une rigueur implacable pour ranger de force toutes ses idées dans un seule et même track. J’adore ses collages inattendus, qui ratent parfois leur cible, mais souvent confèrent au sublime et transportent de joie. Ariel Pink, c’est aussi le crétin fêlé et masculiniste qui a marché sur le Capitole avec son ami John Maus [plus précisément, ils ont participé à une manifestation devant le Capitole qui a précédé l’assaut, NDLR]. Je me suis senti gêné, floué, et tellement con d’avoir cru qu’un tel artiste était forcément quelqu’un d’ouvert au monde. Je me suis dis que ça valait bien une petite (et ma première) dissing song.« 


« Cet été-là, je passe quelques jours dans un camping municipal pas comme les autres. En lieu et place des touristes en short, il y a surtout des saisonniers, venus s’échiner à cueillir, sous un soleil de plomb, les abricots qui nourriront les vacanciers. Des Espagnols pour la plupart, mais aussi ce prof en pré-retraite, qui a vendu sa maison pour acheter un gigantesque camping-car et y vivre avec son épouse et son chien. Le midi, iels se retrouvent sous l’auvent pour reprendre des forces, se donner de la tendresse et du courage. Les canons de rouge s’enchaînent, ça rit fort. Il faut donner de la voix pour passer au-dessus de la sono qui beugle du bon gros hip-hop et des cabots qui aboient pour quémander un bout de merguez. Ce petit théâtre se reproduit en début de soirée, avant l’implacable baisser de rideau à la nuit tombée.

Tout le monde dort à poings fermés. Je peine à trouver le sommeil, traversé par un drôle de pressentiment : la fin d’un monde est proche et un vent de changement souffle en moi. Je sors de ma tente, j’embarque un siège pliant et me plante au beau milieu du champ d’abricots. Tout autour, on entend des familles, des amis, faire la fête sur les collines environnantes. Ce moment, doux et triste à la fois, marque un puissant tournant, et préfigure un nouvel et heureux chapitre de ma vie. »


Photo : Morgane Delfosse

Merci à Adrien Durand et au groupe !


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