Suite et fin de notre entretien avec le membre le plus loquace du groupe écossais. Où il est notamment question de son autobiographie, de l’élaboration des setlists des concerts, d’Alex Kapranos et de Robert Smith.
Par Vincent Arquillière et Yann Giraud.
Première partie ici.
Avec le temps, est-ce que tu es devenu plus à l’aise avec l’idée d’être, en quelque sorte, le leader du groupe ?
Le truc, c’est que… je ne suis pas le leader du groupe.
Mais c’est toi qui donnes les interviews, généralement …
Oui, oui, je réponds aux interviews et je dis bonjour sur scène, aussi, mais je ne suis pas plus important que les autres membres du groupe. En fait, ils se foutent de moi tout le temps ! Je suis juste le plus à l’aise pour parler mais je ne suis pas un leader. C’est juste que les autres ne veulent pas se mettre en avant.
Que tu sois considéré comme le leader du groupe est peut-être aussi renforcé par le fait que tu aies écrit ton autobiographie, non ?
Oui, peut-être que ça m’a un peu mis en avant mais ce n’était pas l’intention. Martin m’a aidé à l’écrire, parce qu’il a une bien meilleure mémoire que moi. Dominic et Barry l’ont lue et ils l’ont aimée mais eux n’écriront jamais leur propre autobiographie. Ils ont aussi tous des enfants en bas âge donc ils n’ont pas le temps. Cependant, je pense que toute personne qui connaît un peu le groupe sait que c’est un vrai groupe, que ce n’est pas juste moi avec trois musiciens pris au hasard. J’essaie de pousser Barry à faire plus d’interviews, d’ailleurs. Il en a fait pas mal récemment, parce qu’il est vraiment drôle.
Parlons des concerts. Comment élaborez-vous vos setlists avec autant d’albums à votre actif ? Essayez-vous de trouver un équilibre entre les nouvelles chansons et les anciennes que les fans veulent
entendre ?
Il y a en fait deux types de setlists. Lorsque nous avons un nouvel album, nous jouons beaucoup de morceaux de celui-ci. C’est ce que nous prévoyons de faire pour la tournée qui vient. Ensuite, nous essayons de consacrer du temps de scène à jouer des chansons de différentes époques du groupe. L’été dernier, lorsque nous n’avions pas de nouvel album, c’était plus équilibré, avec des morceaux de toutes les périodes. J’essaie de structurer un peu plus cela, car parfois on finit par jouer les mêmes dix chansons en n’en changeant que quelques-unes. J’aime bien que cela soit plus varié, mais en même temps, je ne veux pas être toujours stressé à l’idée de devoir me rappeler comment jouer une chanson. C’est une affaire d’équilibre.
L’une des premières fois que je vous ai vus en concert, c’était en 2001, je crois. Vous aviez livré un show très provocant en ne jouant que quatre chansons, dont “My Father, My King” (qui sera le rappel du concert au Casino de Paris un mois plus tard). Est-ce que vous pourriez encore faire cela aujourd’hui ? Ou y a-t-il des morceaux comme “Auto Rock” ou “Mogwai Fear Satan” que vous devez forcément jouer à un moment donné ?
Non, je ne pense pas. Il n’y a pas de chanson que nous jouions systématiquement. Il y en a certes que nous jouons souvent, comme ”Helicon 1” ou ”Mogwai Fear Satan”, mais si nous ne les jouons pas, je ne pense pas que cela dérange qui que ce soit. Ce n’est pas comme si Black Sabbath ne jouait pas “Paranoid”. Ah, tiens, voilà un groupe de classic rock que j’aime. Mais nous, nous n’avons pas ce genre d’obligation. Je pense que si certaines chansons reviennent souvent, c’est simplement parce qu’elles sont bonnes, pas parce que nous sommes obligés de les jouer. Nous avons suffisamment de morceaux pour varier les concerts sans problème.
Adaptez-vous votre setlist en fonction des endroits où vous jouez ? Y a-t-il une différence entre les publics d’Europe, d’Asie ou d’Amérique ?
Non, pas vraiment. La seule chose qui influence ce que nous jouons, c’est en cas de présence d’une limitation sonore. Dans ces cas-là, comme la limite est généralement calculée sur une moyenne, nous veillons à jouer trois morceaux très calmes pour pouvoir jouer le reste très fort.
Vous avez rencontré des problèmes de limitation sonore en France ?
Oh que oui ! [NDLR : référence à un fameux concert au Café de la Danse en 2001, à la fin duquel la salle a dû couper le son, provoquant une baston entre l’équipe de Mogwai et la sécurité de la salle. Stuart relate l’anecdote dans son autobiographie, expliquant au passage que son père était présent dans le public et que c’est ce qui l’a dissuadé d’aller se battre avec les autres.]

Il y a eu récemment beaucoup de critiques à l’encontre de Ticketmaster, notamment sur la tarification dynamique au moment de la mise en vente des places pour la reformation d’Oasis. Je crois que vous travaillez avec Ticketmaster, au moins au Royaume-Uni. Êtes-vous conscients des problèmes que cela pose ?
Nous essayons de faire en sorte que nos billets soient abordables, et je pense que nous y parvenons. Mais parfois, ils sont rachetés par des boîtes qui les revendent ensuite à des prix très élevés. Les gens pensent alors que ces prix viennent de nous, alors que ce n’est pas le cas. Mais nous n’utiliserons jamais la tarification dynamique. Je ne veux pas que nos concerts soient réservés aux gens riches. Je pense que nos billets sont plutôt abordables pour un groupe jouant dans le type de salles où nous tournons.
Vous avez beaucoup écrit pour le cinéma et les séries télévisées. Est-ce un moyen de tester des idées avec moins de pression que sur vos albums ? Avez-vous la même liberté quand vous travaillez pour quelqu’un d’autre ?
Non, nous n’avons pas la même liberté. C’est eux qui décident et qui valident ou non les morceaux. Mais nous essayons parfois des idées et, si elles sont bonnes, nous les réutilisons pour nos albums. C’est une expérience très différente car il faut créer beaucoup de musique en très peu de temps. Nous venons justement de finir une bande-son et le réalisateur voulait que la musique ressemble à nos anciens morceaux. Ils avaient utilisé des chansons de Mogwai d’il y a 25 ans comme musique temporaire. Du coup, nous avons dû composer dans notre propre style d’il y a 25 ans. C’était plutôt amusant.
Et vous y êtes arrivés ?
Oui, bien sûr. On fait ce qu’on nous demande.
Quand vous avez commencé, vous étiez très influencés par la scène indie britannique et américaine de la fin des années 80 et du début des années 90. La musique que vous avez découverte au fil des années a-t-elle influencé votre propre évolution ? Vous avez notamment intégré plus d’électronique, des structures plus pop, etc.
Oui, sans aucun doute. Quand nous avons démarré, je n’avais jamais entendu parler de krautrock, par exemple. La seule musique expérimentale que nous connaissions, c’était le Velvet Underground ou ce genre de choses. Au fil des années, nous avons découvert beaucoup de styles très différents et oui, cela nous a influencés. Tout ce que l’on écoute finit par nous influencer.
Tu as également fait quelques concerts en solo récemment. Tu en avais aussi donné dans le cadre de l’ATP (All Tomorrow’s Parties). Est-ce que cela a eu une influence sur le son de Mogwai, ou est-ce que ça t’a permis de découvrir d’autres choses ?
Pas tellement. Je n’ai jamais vraiment pris cela au sérieux mais si quelqu’un me le demande et que je n’ai rien d’autre de prévu, je me dis « oui, pourquoi pas ». Donc non, je ne pense pas. En général, je joue surtout des morceaux de Mogwai, juste moi à la guitare. Peut-être qu’un jour j’enregistrerai mon album solo, et j’aurai alors de nouvelles chansons à jouer.
Mais Mogwai, c’est aussi une question d’interaction entre vous. L’interaction avec Dominic, par exemple, est vraiment centrale, non ? Comment reproduis-tu cela en solo ?
Ces concerts solo sont beaucoup plus minimalistes. Ce n’est pas un truc énorme et bruyant mais intime, assez calme, donc c’est une expérience très différente. Ça ne pourrait pas être plus différent, en fait. Il y a un mois, j’étais en Australie pour un concert solo, et hier, je répétais avec Mogwai.
Sur le nouvel album, il y a beaucoup de chant, plus que sur les précédents. Est-ce que c’était
intentionnel ?
Pas vraiment. Je ne pense pas qu’il y ait une différence en termes de quantité de chant enregistré pour cet album. C’est juste que nous avons sélectionné plus de morceaux chantés cette fois-ci. Nous enregistrons toujours plus de chansons que nécessaire, et sur cet album beaucoup de celles avec du chant sont aussi celles que nous avons jugées être les meilleures, donc nous les avons gardées. Cependant, ce n’était pas un choix délibéré.
L’année dernière, j’ai interviewé Tracyanne Campbell de Camera Obscura. Quand je lui ai demandé s’il y avait beaucoup d’entraide et de soutien entre les musiciens et groupes écossais, elle m’a répondu « oui, absolument ». Partages-tu cet avis ? Penses-tu que cela soit lié à un fort sentiment d’identité, d’attachement à un territoire ?
Glasgow est une petite ville. Nous avons tous grandi ensemble, en quelque sorte. Aujourd’hui encore, je communiquais par SMS avec Alex [Kapranos] de Franz Ferdinand. En regardant mes anciens messages, je suis tombé sur un flyer d’un concert de mon ancien groupe, avant Mogwai. Nous partagions l’affiche avec le groupe d’Alex. C’était en 1994.
Tu parles de The Karelia ?
Non, c’était encore avant, son groupe s’appelait alors The Blisters. Alex et moi faisions déjà des concerts ensemble quand nous étions adolescents et nous sommes toujours amis aujourd’hui. Nous fréquentons encore beaucoup des mêmes personnes qu’il y a des années, des gens comme Tracyanne ou Aidan d’Arab Strap. Tout le monde se connaît ici, c’est une petite ville et une communauté soudée.
C’est en effet quelque chose que j’ai appris en lisant ton autobiographie. Tu parles même de The Yummy Fur, un autre de ses groupes, dans un article du “Guardian” consacré aux groupes locaux. Avant cela, je ne savais pas qu’Alex avait eu un tel impact sur la scène indie écossaise.
Oui, il a eu une influence très importante pour nous et pour d’autres groupes. J’y pensais aujourd’hui encore. À l’époque de mon ancien groupe, Deadcat Motorbike, Alex savait que j’étais un grand fan de John Peel. Ce dernier venait voir un autre groupe écossais, Urusei Yatsura, et Alex m’a demandé si mon groupe voulait jouer ce soir-là. Il savait que j’adorerais rencontrer John Peel, et si je ne l’avais pas rencontré et s’il n’avait pas passé un disque de Mogwai à la radio, peut-être que je ne serais pas là aujourd’hui. Parfois, de petits événements peuvent avoir un énorme impact sur le long terme. Alex est une personne très importante pour la musique écossaise.

J’ai une dernière question. Le tout premier groupe que tu as vu en concert, c’était The Cure. D’une certaine manière, c’est un exemple de groupe devenu classique, d’ailleurs.
Oui, c’est vrai.
Ils ont eu une forte influence sur votre musique, ce qui est assez évident. Et maintenant, les voilà avec un nouvel album. En l’écoutant, je me suis demandé si le type de rock alternatif instrumental que vous avez contribué à créer avec Mogwai ne les avait pas influencés en retour.
Peut-être. Je sais que Robert Smith aime Mogwai et c’est évidemment l’un de mes groupes préférés. Donc, oui, il y a certainement une influence mutuelle mais, pour être honnête, ils faisaient déjà de longs passages instrumentaux avant que nous existions ! Je ne vais pas trop m’attribuer le mérite du son de The Cure !
C’est drôle, parce que certains commentateurs sur les réseaux disent trouver les intros des morceaux du dernier album trop longues, et je me disais « est-ce qu’ils ont écouté “Disintegration” ? »
Exactement !
Merci beaucoup, en tous cas.
De rien, merci à vous.
Photos : Steve Gullick.
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