Après quinze d’existence, le duo des Limiñanas sait toujours autant enivrer son auditoire avec un garage psychédélique encore plus jouissif cette fois-ci.
Quelques riffs répétitifs de guitare suivis de synthés planants, avant qu’une batterie métronomique ne débarque et nous emporte dans une spirale musicale totalement étourdissante : bienvenue dans le nouvel album des Limiñanas, un album qui plante tout de suite le décor avec cet instrumental portant, bien évidemment, le titre de “Spirale”. Il faut dire que, depuis maintenant quinze ans, le duo de Cabestany a pu régulièrement envoûter son auditoire avec un garage psychédélique réellement prenant. Pour ce faire, ils ont toujours su très bien s’entourer, notamment, si l’on se limite à leurs deux derniers disques, d’Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre (dont l’expertise en plaisirs lysergiques n’est plus à démontrer) pour “Shadow People” en 2018 et du célèbre DJ français Laurent Garnier pour “De Película” en 2021.
Ces opus – en particulier le dernier qui narrait la fuite en avant de deux adolescents dans un road trip électrisant – prouvaient aussi la volonté renouvelée du couple catalan de raconter une histoire sur chacun de ses disques, comme le duo le confirmait d’ailleurs dans l’interview qu’il nous avait accordée en 2021. Cette fois-ci, en vrais cinéphiles, sur nombre de leurs nouvelles chansons, ils évoquent les destins tragiques d’actrices déchues, de l’âge d’or d’Hollywood à aujourd’hui, laissant chacun des invités fournir sa propre version du scénario de “Faded”.
Car oui, le nouvel album des Limiñanas héberge à nouveau de nombreux invités. En fan de la première heure, il était ainsi inévitable que Bobby Gillespie de Primal Scream vienne poser sa voix sur une de leurs chansons. C’est le cas dès le second titre, “Prisoner of Beauty”, premier single éminemment jouissif qui fait immédiatement tomber toutes les inhibitions. Lui succède le tout aussi irrésistible “J’adore le monde” où Bertrand Belin, fidèle collaborateur du groupe, fredonne, dans son style inimitable, sa poésie décalée et œcuménique. Ensuite, de manière un peu plus dure, c’est Rover qui participe au morceau “Shout” à l’effet pareillement envoûtant. En réalité, nous avons ici affaire à une musique prompte à l’abandon, à l’évasion, à la transe : en un mot, psychédélique. Une musique qui donne envie de se lâcher, de danser sans fin, éperdument, jusqu’à l’épuisement.
Mais ce disque, preuve de sa grande richesse, sait aussi varier les ambiances, comme le démontrent les chansons “Faded”, pop sixties à l’orchestration toute morriconnienne portée par la belle voix de la chanteuse Penny, ou “Catherine” où le rythme toujours aussi répétitif sait se faire plus alangui, chantée par Anna Jean du groupe Juniore. Un autre signe de la grande variété ici présente se trouve dans deux titres adaptant librement la poésie de Bernard Heidsieck : “Tu viens Marie”, garage sixties labyrinthique où l’on se perd avec délectation, et “Autour de chez moi”, talk over cosmopolite de plus de six minutes, véritable éloge de la diversité qui hypnotise sur la longueur.
En plus de “The Dancer”, instrumental aux multiples détails donnant l’impression d’évoluer dans une jungle aussi hostile qu’attirante, et d’une relecture très perchée du classique “Louie Louie” avec de nouvelles paroles en français chantées par Marie Limiñana, l’album a également la chance d’accueillir pour deux chansons le furieux Jon Spencer. Que ce soit sur “Space Baby”, où son chant à la Alan Vega pose le morceau en parfaite réincarnation de Suicide, ou sur l’intensément addictif “Degenerate Star”, l’Américain apporte beaucoup de folie et apparaît comme déjanté au sens propre, sortant des rythmes que certains pourraient (à tort) juger comme trop balisés. Enfin, le disque se clôt en beauté avec une reprise pleine de tendresse et de mélancolie d’“Où va la chance”, la chanson préférée des Limiñanas dans le répertoire de la regrettée Françoise Hardy.
Avec “Faded”, Lionel et Marie Limiñana livrent donc très probablement leur meilleur album à ce jour, refuge kaléidoscopique où l’on se retrouve avec grand plaisir, surtout en pensant au climat pour le moins délétère qui existe au dehors. Ce disque fournit aussi la matière pour les prochains concerts du groupe qui, depuis longtemps, a su enivrer son public avec ses authentiques bacchanales potentielles de nouveau attendues avec une énorme impatience.