À l’heure où nous écrivons ces lignes, vous vous êtes sans doute déjà fait une idée au sujet du nouvel album de Mogwai, The Bad Fire, sorti le 24 janvier dernier. Peut-être y aurez-vu vu un de ces « retours à la forme », tant des morceaux comme “If You Think This World is Bad, You Should See Some of the Others” revisitent à ce point la dynamique calme/bruit qui a fait le succès critique de ce groupe. À moins que vous ne vous concentriez sur “Fanzine Made of Flesh” ou “Lion Rumpus” et dans ce cas, votre impression sera que le groupe prolonge la veine plus rock, moins “post”, qui était la sienne sur les deux ou trois albums précédents. Peut-être appréciez-vous particulièrement cette évolution ou peut-être préféreriez-vous que le groupe revienne à des morceaux lancinants et répétitifs comme “Superheroes of BMX”.
En fonction de votre appartenance à tel ou tel groupe de fans, votre avis divergera, allant de l’indifférence à une adhésion totale, et finalement c’est tout à fait normal car ce qui constitue une bénédiction comme une malédiction pour ce groupe, c’est d’avoir duré. Quand beaucoup de groupes post-rock ont splitté ou fait de longues pauses, Mogwai n’a eu de cesse de rouler sa bosse. Malgré le départ de John Cummings, les soucis cardiaques de Martin Bulloch ou, plus récemment, la maladie de la fille de Barry Burns, la formation répond toujours présent et son cœur – basse, guitare, batterie – est toujours composé du même trio à l’origine de ce son mélangeant la rudesse de Slint, les mélodies de The Jesus and Mary Chain et les ambitions soniques de My Bloody Valentine.
Ragaillardi suite à la rémission de la fille de Barry, le groupe est prêt à reprendre la route. Quelques semaines avant cela, nous avons eu la chance de nous entretenir à Paris avec Stuart Braithwaite (guitare/voix). Dans les jours qui précédaient cette interview, nous avions pris connaissance d’un autre drame personnel pour l’artiste : son chien, la star d’Instagram Prince of Glasgow, avait dû subir une chimiothérapie ainsi que l’ablation d’une de ses pattes. Nous tenions alors à prendre des nouvelles du petit animal dont, nous disait-on, les jours étaient comptés. (Y.G.)
Première partie d’une interview réalisée par Vincent Arquillière et Yann Giraud. La deuxième partie sera publiée la semaine prochaine.
Le morceau “Lion Rumpus”, que vous avez publié il y a quelques semaines, est accompagné d’une vidéo promotionnelle montrant un de vos amis travaillant comme promeneur de chiens à Brooklyn. C’est une chanson et une vidéo très réjouissantes et, en la regardant, je n’ai pu m’empêcher de penser à ton propre chien, Prince of Glasgow, qui, je le sais, n’est pas en très bonne santé ces jours-ci. Alors, notre première question est : comment va-t-il ?
Stuart Braithwaite : Eh bien, il n’est pas en grande forme mais il est toujours en vie. Il a failli mourir à Noël. A la clinique, ils ont dit qu’il n’en avait plus que pour quelques jours. C’était il y a deux semaines et demi [l’interview a été réalisée à la mi-janvier, NDLR], et il est toujours là.
C’est un chien très cher (rires). Et il est très célèbre, une vraie star ! Parfois, les gens me voient avec un chien et me demandent « C’est bien Prince avec toi ? » Ils me demandent s’ils peuvent lui parler. L’autre nuit, il m’a empêché de dormir parce qu’il respirait très fort. J’avais peur qu’il soit de nouveau en train de mourir mais je crois qu’il avait simplement trop chaud.
Tu as d’autres chiens, non ?
J’en ai deux en tout. Quelqu’un garde l’autre depuis que Prince est malade. Parce qu’il faut que je m’occupe de lui, et c’est fatigant…
Avoir des chiens de refuge fait-il partie d’un engagement plus large de ta part concernant le bien-être animal ?
Je ne me sens pas spécialement militant, c’est juste que j’aime beaucoup les animaux. Je suis végétarien, je ne mange même pas de poisson. Mais ça ne me dérange pas si les gens ne partagent pas mes vues sur ce sujet. C’est juste un engagement personnel.
L’album s’appelle “The Bad Fire”. Ce titre peut bien sûr avoir plusieurs significations, mais il est difficile de ne pas penser à ce qui s’est passé en Californie ces derniers mois. Ressens-tu un certain trouble face à cette coïncidence ?
Pas vraiment, car ce titre est très métaphorique. « The bad fire » est une vieille expression de la langue anglaise pour désigner l’enfer. Je ne voudrais surtout pas heurter les habitants de Los Angeles, car c’est l’un de mes endroits préférés sur terre, et j’ai probablement plus d’amis là-bas que dans la plupart des autres villes. Je me suis fait beaucoup de souci pour eux, et plus généralement pour les gens qui vivent dans cette région, dont beaucoup ont perdu leur maison, leurs biens, leurs animaux. Et nous avons dû choisir ce titre il y a environ six mois, il ne pouvait donc évidemment pas y avoir de lien avec des événements plus récents.
Après deux albums avec Dave Fridmann, qui avait également produit certains de vos premiers disques, vous avez travaillé avec John Congleton, qui a produit des albums de St. Vincent, Shearwater ou Sharon Van Etten. Je décrirais sa patte sonore comme très orientée « art rock ». Vouliez-vous atteindre un son particulier en décidant de travailler avec lui ?
Non, pas spécialement. On voulait juste travailler avec quelqu’un qui réponde à quelques critères. Nous avions notamment besoin d’une personne qui puisse venir en Ecosse car nous ne pouvions pas partir en raison de la situation de Barry, dont la petite fille était malade. Son état s’est heureusement amélioré depuis. Et John semblait le candidat idéal. Je l’avais déjà rencontré, c’est quelqu’un d’agréable et marrant. Il a travaillé sur beaucoup de bons disques, et puis il nous ressemble, il a un côté music geek et punk rock… Le choix semblait donc évident, et le courant est bien passé.
Le titre de la chanson “What Kind of Mix Is This?” fait-il référence à une anecdote particulière qui se serait passée pendant l’enregistrement avec lui ?
Non, pas du tout. En fait, beaucoup de nos titres de morceaux, souvent instrumentaux, viennent de choses amusantes que nous avons entendues lors de conversations. Ainsi, Martin, notre batteur, était en vacances et il est allé au restaurant avec sa femme. Quand le serveur a appris que celle-ci est anglaise alors que Martin est écossais, il était très surpris… En plaisantant, il leur a dit “What Kind of Mix Is This?”, « Qu’est-ce c’est que ce mélange ? » Donc ça n’a rien à voir avec le mixage d’un morceau de musique !
En général, vous aimez dire dans vos interviews que les titres de vos chansons n’ont pas de sens particulier, qu’ils reflètent surtout un humour tordu que vous partagez entre vous. Mais cette fois-ci, il y a cette pièce très centrale dans le disque, intitulée “If You the Find This World Bad, You Should See Some of the Others”. Cela semble faire référence à toutes ces tentatives de milliardaires pour essayer de créer la vie sur Mars alors qu’en même temps, ils sont responsables du changement climatique et de l’épuisement des ressources naturelles ici sur cette planète. Est-ce une sorte de déclaration politique ?
Non (rire général). Enfin, on peut l’entendre ainsi, c’est vrai. C’est en fait une citation de Philip K. Dick, l’un de mes écrivains de SF préférés. Quelqu’un de très psychédélique… Il a donné une conférence dans les années 70 [à Metz lors d’un festival de science-fiction, NDLR], lors de laquelle il a déclaré que tout le monde était mort et qu’on vivait tous dans un rêve (vidéo ici)… Et le titre de ce discours, c’était “If You the Find This World Bad, You Should See Some of the Others”, « Si vous trouvez ce monde mauvais, vous devriez en voir d’autres ». Pour lui ce n’était pas une blague, il était sérieux en disant ça. C’était un penseur très… cosmique. Au départ, je voulais appeler l’album comme ça, et finalement “The Bad Fire” n’en est pas si éloigné, c’est un peu la même thématique.
En lisant ton autobiographie, j’ai appris que ton père était fabricant de télescopes, et il y a d’ailleurs beaucoup de références à l’espace dans vos chansons : “Thank You Space Expert”, “Tonight We Vacate Earth”, etc. S’agit-il d’hommages à ton père, ou autre chose ?
Peut-être d’une façon détournée… En fait, si j’aime tant lire de la SF, c’est probablement parce qu’il y avait beaucoup de livres de ce genre à la maison, appartenant à mon père, et que j’ai baigné là-dedans. Donc, oui, il y a probablement une connexion, même si ça reste assez vague, ce n’est pas une inspiration directe.
Ce qui ressort du nouvel album, c’est le mélange entre, d’une part, des chansons presque pop, comme “Fanzine Made of Flesh”, et, d’autre part, d’autres titres comme “Hi Chaos” ou “Pale Vegan Hip Pain”, qui sont vraiment dépouillés et rappellent vos premiers EPs. Avez-vous une idée précise de ce qui constitue le « son central » de Mogwai ?
Je ne pense pas qu’il existe ! Tout ce que nous enregistrons est représentatif de Mogwai. En fait, j’aime bien l’idée que cet album soit presque « anti-minimaliste », mais qu’il y ait aussi, effectivement, quelques moments qui vont dans la direction opposée. Il aurait pu y en avoir davantage : nous avons laissé de côté quelques chansons qui étaient vraiment calmes. On sortira donc peut-être plus tard le “Quiet EP”… Nous cherchions surtout à créer des oppositions au sein du disque, du relief. Il y a des titres très intenses comme “Lion Rumpus” ou “Fanzine Made of Flesh”, qui alternent avec des moments nettement plus calmes comme “Pale Vegan Hippie” ou l’intro de “If You the Find This World Bad, You Should See Some of the Others” qui, par contraste, donne d’autant plus d’impact à la partie plus bruyante du morceau.

Avez-vous déjà rejeté du matériel en pensant « ceci n’est en aucun cas une chanson de Mogwai » ?
Non, au contraire, il y a plus de chances que nous jetions un morceau parce que nous trouvons qu’il sonne « trop Mogwai » ! (rires) Parce que nous ne voulons pas refaire éternellement le même disque. On a même tendance à se réjouir quand le résultat ne ressemble pas à ce que les gens peuvent attendre de nous, on se dit alors qu’on a réussi.
Il y a deux ans, tu as sorti le premier album de ton projet parallèle, Silver Moth, qui est assez sombre, presque comme un retour à vos débuts. Ce nouveau projet a-t-il influencé le nouvel album de Mogwai ?
Je ne pense pas, car les deux démarches ne pourraient être plus différentes. Le disque de Silver Moth a été en grande partie improvisé et a été bouclé en quelques jours, tandis que “The Bad Fire” nous a pris un an et nous a demandé beaucoup d’organisation. Par ailleurs, pour Silver Moth, ce n’est pas moi ai écrit les chansons, je n’ai écrit qu’une partie de la musique. Quand tu fais les choses rapidement, comme c’est le cas avec Silver Moth, tu t’exprimes d’une façon plus naturelle, instinctive. L’idée avec ce projet était de m’éloigner de ma façon habituelle de travailler pour arriver à quelque chose de nouveau.
Vos premiers albums exaltaient un certain romantisme de la jeunesse, avec des titres comme “Young Team”, “Come on Die Young”, “A Cheery Wave From Stranded Youngsters”… À l’époque, imaginiez-vous que Mogwai deviendrait un « vieux » groupe avec une trentaine d’année de carrière ?
Non, franchement, au moment du premier album, nous ne pensions même pas que nous en ferions d’autres. Nous étions encore des adolescents, et c’était une période très intense pour le groupe. Quand tu es jeune, tu ne te projettes pas dans cinq ans, même pas dans deux ans, alors les 20 ou 30 années à venir, nous n’y pensions certainement pas. Mais je suis sûr que nous aurions été heureux de savoir à l’époque que nous ferions encore de la musique à l’âge que nous avons aujourd’hui, et que nous aurions enregistré autant de morceaux et joué autant de concerts. Nous n’avions vraiment pas de plan en ce sens, mais nous sommes contents que tout cela soit arrivé.
Dès le début, même si votre musique n’a pas connu un immense succès commercial, vous avez été remarqués par les fans de rock indépendant, et tout le monde considérait que vous apportiez quelque chose de nouveau. Si cela n’avait pas été le cas, auriez-vous quand même continué, parce que votre envie de faire de la musique aurait été plus forte que le désintérêt du public ?
C’est quelque chose auquel je pense souvent. Si nous n’avions pas eu suffisamment de succès pour faire de la musique notre unique activité, je crois que nous aurions quand même continué. Nous aurions probablement donné 20 concerts par an, plutôt que 100. Et nous n’aurions pas eu autant de temps à y consacrer, car nous aurions été obligés d’avoir des boulots à côté pour vivre. Mais oui, je suis sûr que nous ferions toujours de la musique.
Vous avez toujours eu un certain mépris pour les groupes de classic rock. Je me souviens qu’il y a 15 ans, quand je vous ai demandé, à Barry et toi, quel groupe, après Blur, mériterait un nouveau t-shirt « are shite », vous aviez tous les deux répondu “The Rolling Stones”. Mais est-ce que le son que vous avez contribué à créer ne fait pas désormais partie du canon du rock classique ?
Peut-être. Je m’intéresse d’ailleurs de plus en plus à ce qu’on peut appeler le classic rock. J’ai acheté “Dark Side of the Moon” de Pink Floyd récemment. Je suis même allé voir Roger Waters en concert, parce que ma femme est fan de Pink Floyd, et j’ai vraiment beaucoup aimé. Bon, le reste du groupe se fiche un peu de moi (rires). J’ai essayé d’écouter des albums des Rolling Stones, mais je n’y arrive pas. En fait, j’aime tellement certains de leurs singles que j’ai du mal à m’intéresser aux albums. Mais je pense que ça viendra un jour. J’aime aussi beaucoup le blues, et quand je les écoute, je peux dire quelles chansons ils ont volées… Mais après tout, certains de mes artistes et groupes préférés peuvent être classés dans le classic rock, comme The Jimi Hendrix Experience ou… (il réfléchit) les Zombies. Je suis plutôt fan du rock psychédélique, en fait. On pourrait dire que j’aime le classic rock pour les snobs comme nous ! (rires)

Dans ton autobiographie, tu racontes que tu avais insulté le chanteur de Starsailor dans une interview, et que tu te sentais un peu coupable. Y a-t-il des groupes que tu n’aimais pas, peut-être parce que tu les considérais comme un peu snobs ou mainstream, et que tu as fini par apprécier, peut-être après avoir rencontré leurs musiciens en personne ?
Mon attitude a un peu changé en tout cas. A mesure que je vieillis, j’ai de plus en plus de respect pour tous ceux qui montent sur une scène pour jouer leur musique. Parce que je me suis moi-même rendu compte, au fil des années, à quel point c’est difficile. Ça demande un certain courage. Donc, même quand ce sont des gens dont je ne suis pas fan, je les admire pour ça. Ce qui me pose problème, c’est quand non seulement je n’aime pas la musique qu’ils font, mais qu’en outre ils ont une mauvaise attitude.
Je ne vais pas dire du mal d’Untel ou Untel. Mais ce qui m’énerve, c’est quand je sens qu’un groupe n’a pas envie d’être là. Les gens ont payé cher pour les voir et la musique n’est pas à la hauteur. Ou quand ils ne veulent pas exprimer une opinion. Quand ils refusent de condamner le génocide en Palestine, par exemple. Ça me met vraiment en colère, parce que nous avons la chance d’être des porte-voix. Nous pouvons être honnêtes, rien ne va nous arriver. Si ces artistes ont juste peur de perdre un peu d’argent à cause de ça, ça me dégoûte vraiment.
Photos : Steve Gullick, Marilena V.
Stuart Braithwaite (Mogwai) – « A Glasgow, tous les musiciens se connaissent » (2e partie) – POPnews
[…] Par Vincent Arquillière et Yann Giraud.Première partie ici. […]