On n’en attendait rien et nous voilà quand même bouleversé par le nouveau disque de The Cure.
L’écoute de “Songs of a Lost World“, le nouvel album de The Cure sorti le 31 octobre dernier, s’annonçait comme étrangement acrobatique. Nous voilà 16 ans après le très oubliable “4 :13 Dream“, qui venait conclure une série de disques fatigués où l’on passait de la colère vaine (“The Cure“) aux bâillements polis (“Bloodflowers“) en s’arrêtant sur un air de trompettes mariachis (“Wild Mood Swings“). Soyons honnêtes : certains morceaux disséminés dans les albums de cette période mériteraient une petite réhabilitation par leur désenchantement, leur noirceur et leurs lignes de basse qui s’étalent sur leurs mélodies, mais c’est vraiment pour chercher la petite bête.
Seize ans, et une fausse période de silence où Robert Smith et ses collègues ont sillonné les festivals pour des concerts généreux. Le groupe a pioché dans une discographie longue de 45 ans, entre nostalgie et show maîtrisé dans les moindres détails, nous rejouant pour l’éternité “A Forest“ et “Fascination Street“. Bref, on y croyait sans vraiment y croire, et c’est avec une certaine habileté que le groupe a annoncé son retour en dévoilant le titre “Alone“. Six minutes et cinquante secondes atmosphériques qui ont eu le mérite de mettre beaucoup de monde d’accord.
Le disque se referme comme il s’ouvre, avec “End Song“ qui reproduit peu ou prou le même schéma, nous poussant à écouter ces deux titres en boucle jusqu’aux confins de l’infini. Une façon de nous rappeler que The Cure a depuis ses débuts été déchiffré et décodé par les plus grands représentants du post-rock et du shoegaze. Une réécoute obligatoire de “Faith“ et surtout des 23 minutes instrumentales du single “Carnage Visor“ viendront attester de la force stratosphérique de l’ouverture et de la conclusion de “Songs of a Lost World“.
Entre les deux, on découvre six morceaux de pop sombre, des compositions proches de l’idée que l’on peut se faire de la musique de The Cure en 2024, magnifiées par l’immense travail de production de Paul Corkett (Biffy Clyro, Suede, Placebo). Sur “I Can Never Say Goodbye“ les paroles de Robert Smith évoquant la mort de son frère nous touchent en plein le cœur et nous désarment par leur tristesse cathartique. Un peu plus léger, “Drone : Nodrone“ sort les distorsions pour lorgner vers une sorte de rock blafard et l’on imagine déjà le guitariste Reeves Gabrels exécuter fissa un solo pompier en un claquement de doigt.
Au milieu de tout cela surnage la voix de Robert Smith, qui semble avoir à peine changé depuis les débuts du groupe en 1979. Celui qui pensait mourir après avoir enregistré le terrible “Pornography“ a survécu envers et contre tout. “This is the end of every song we sing, alone“, nous chante-t-il aujourd’hui. Avec The Cure, la fin n’en finit pas d’arriver et son chanteur nous donne parfois l’impression qu’il pourrait être la dernière personne encore vivante sur Terre.