Sur leur premier album, faisant suite à quelques formats plus ou moins courts, les Strasbourgeois de Sinaïve nous séduisent avec leur psychédélisme enivrant auquel on s’abandonne sans crainte.
Acte inespéré, source des espoirs les plus fous, obscur objet du désir, il est enfin là : le premier album de Sinaïve. Tant désiré, il est depuis quelques jours disponible, auguste offrande à nos oreilles si impatientes. Il faut dire que, depuis sa formation en 2017, ce groupe strasbourgeois avait su titiller nos envies avec sa noisy pop au fort pouvoir d’envoûtement, développée sur plusieurs EP dont l’excellent “Répétition” sorti l’année dernière. Mais il faut savoir qu’avant même ce disque enregistré au printemps 2022 dans le studio de Rodolphe Burger à Sainte-Marie-aux-Mines, dès l’année précédente, Sinaïve avait commencé à travailler sur son premier véritable album, y compris avec les membres qui ne font maintenant plus partie du groupe (mais qui sont bien sûr crédités sur le disque), le peaufinant ensuite en studio pour aboutir à ce résultat, assouvissant enfin notre attente d’un format long de leur part.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que, dès le morceau d’ouverture, nous ne sommes pas déçus par “(SS) Superstar”, prenante entrée en matière à la fois planante et dansante, inquiétante et revivifiante, sorte d’appel à la désobéissance à l’aura de mystère. Le mystère perdure d’ailleurs et devient même de plus en plus attirant avec la chanson suivante, “Vivre sa vie”, dont les changements de rythme mènent littéralement par le bout du nez.
Lui succède l’hypnotique “Convergence”, démontrant clairement que le groupe a su évoluer. Il y développe en effet un psychédélisme de toutes les époques et de tous les styles, qu’il soit ample à la Boo Radleys (“Le Corps éclectique”), vénéneux comme le Velvet Underground (le bien nommé “Velvétine”) ou motorik à la Neu ! (“Dasein (Oder nie sein)”), sans oublier le rythme presque dub de “Providence”.
Sur cet album au son très travaillé, très malaxé, où dominent légèreté et relâchement bien souvent, on s’abandonne volontiers, on se laisse porter par la musique. C’est notamment le cas sur “Art Babel”, court instrumental qui permet d’entendre la voix de Gilles Deleuze énoncer (à juste titre, soit dit en passant) qu’« il y a une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance ». Sinaïve, « start-up dans la guerre contre l’esprit bourgeois » (“Dasein (Oder nie sein)”), démontre là, outre son caractère insoumis, qu’ils sont depuis longtemps passés maîtres dans l’art de la citation, qu’elle soit philosophique ou musicale.
Mais si leurs précédentes sorties pouvaient parfois révéler des influences trop évidentes (souvent volontairement d’ailleurs), celles-ci sont désormais complètement digérées, le groupe se les appropriant avec brio pour accoucher d’une musique vraiment originale qui sait régénérer le legs des glorieux anciens. La preuve, à la fin de l’album, avec “Être sans avoir”, actualisation salutaire du shoegaze de My Bloody Valentine pour y gagner en délicatesse et en (apparente) insouciance.
Sur ce disque où alterne le chant féminin et masculin et où affleure par moments une sensualité trouble, Sinaïve a donc su transformer l’essai du premier album. Avec leur psychédélisme enivrant, ils ont su nous séduire sans effort tout en nous faisant réfléchir. Mais si eux-mêmes semblent déjà tournés vers le futur comme le suggère “Avenir, Next”, le tout dernier titre, savourons déjà le présent de cette “Pop Moderne”, semblable au plus beau des rêves.