Vingt ans après “Out of Season“ et seize après le dernier album de Portishead, voici le retour bouleversant de Beth Gibbons. Un petit rattrapage était nécessaire en cette rentrée.
On l’oublie un peu vite, mais si vous prenez la voiture pour rouler environ 20 kilomètres à l’ouest de Bristol, alors vous allez probablement arriver à Portishead, ville côtière dans le Somerset où Beth Gibbons a grandi et commencé sa carrière avant de rencontrer Geoff Barrow. Le duo écrit quelques titres et prend pour nom la ville en question avant d’être rejoint par Adrian Utley. Le premier album “Dummy”, en 1994, est un choc, dont se dégage notamment le morceau, “Glory Box“. Les guitares sous influences d’Ennio Morricone, le sample de “Ike’s Rap II“ d’Isaac Hayes, les violons doucereux et surtout une voix, celle de Beth Gibbons, d’une profonde sincérité, véritable cœur et âme, feront de ce tube imparable l’hymne pour adolescents introvertis des années 90. Depuis, “Glory Box“ a été utilisé jusqu’à l’écœurement au cinéma, de “Beauté volée“ à “Chacun cherche son chat“, en passant par “Dangereuse Alliance“ et “Le Transporteur 3“, sans oublier une ribambelle de publicités.
Un second disque arrivera trois ans plus tard, puis un live et une pause de 11 ans avant un “Third“ dont l’exigence perdra certains fans de la première heure. Geoff Barrow a depuis formé un nouveau groupe, Beak>, qui on est déjà à quatre albums, le dernier étant sorti en juin. Pour Beth Gibbons, on en était resté à sa collaboration avec Paul Webb, alias Rustin Man, qui a tenu la basse chez Talk Talk jusqu’à “Spirit of Eden“. C’était en 2002 et à part une participation vocale à la “Symphonie n°3” de Górecki dirigée par Krzysztof Penderecki, on n’avait pas eu de nouvelles depuis et on avait fini par se faire une raison. Heureusement, Beth Gibbons est revenue il y a quelques mois avec ce qui représente officiellement son premier disque solo, le superbe “Lives Outgrown“.
La mort de proches, la maternité, l’anxiété et la perte de tout espoir, voici, entre autres, ce que vous entendrez sur “Lives Outgrown“. Beth Gibbons a aujourd’hui 59 ans et elle compose avec beaucoup de tristesse une forme de bilan, mais aussi un disque d’une rare beauté intemporelle conviant l’exigence sonore du dernier Portishead avec les arrangements d’une formation de musique de chambre. Avec “Floating on a Moment“, elle nous emporte un temps avec sa petite mélodie pop et nous renverse par son chant à fleur de peau, exalté et captivant. Plus mélancolique, “Lost Changes“ fait le deuil de jours plus heureux sur des accords de guitare acoustique – Ennio Morricone est une fois de plus convoqué – avant de nous emporter vers d’autres cieux plus réconfortants.
Beth Gibbons a d’abord composé les 10 titres de “Lives Outgrown“ avec le batteur Lee Harris (lui aussi un ancien de Talk Talk). Ensemble, ils ont mélangé des sonorités brutes qui ont ensuite été magnifiées par la production classieuse de James Ford (Arctic Monkeys, Blur, Depeche Mode, mais aussi Matthew Dear et le dernier Fontaines D.C). Sur les dernières notes de “Whispering Love“, c’est toute une vie qui défile devant nous au son d’un arpège tranquille et d’une clarinette neurasthénique. Dans un mouvement orchestral accompagné de quelques field recordings, la voix àa la fois forte et fragile de Beth Gibbons s’impose en survivante. Une sorte de lyrisme qui regarde autant la mort qu’il célèbre la vie.