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La Route du rock 2024 en pré-écoute

Lors de leur récent – et excellent – concert au Trabendo, à Paris, les New-Yorkais de Bodega ont demandé qui parmi les spectateurs les avait vus l’été dernier à la Route du rock (quelques mains se sont levées). Ils ont alors enchaîné par l’amusante « theme song » de 50 secondes en l’honneur du festival qu’ils avaient à moitié improvisée sur la scène du Fort de Saint-Père neuf mois plus tôt (voir vidéo ci-dessous). L’anecdote en dit long sur l’attachement des musiciens et du public au rassemblement breton qui, alors que bien d’autres ont jeté l’éponge, s’est maintenu contre vents et marées et en est à sa 32e édition estivale (18 années pour la plus modeste version hiver). L’auteur de ces lignes était d’ailleurs déjà là il y a trente ans, quand les concerts eurent lieu pour la première fois au Fort (sur une seule soirée à l’époque, et sans navettes vers Saint-Malo…).

Trente ans après, donc, la Route du rock nous offre sans doute, du 14 au 17 août à Saint-Malo, l’une de ses plus belles programmations, mélange de valeurs sûres et de découvertes, s’éloignant un peu de la ligne « dure » (garage, psyché, noise…) des dernières années même si Metz, Protomartyr – l’un et l’autre déjà venus – ou Meatbodies devraient faire parler la poudre. Beaucoup des têtes d’affiche en sont à leur deuxième voire troisième passage, chose assez normale étant donné leur longévité qui pour certaines dépasse celle du festival lui-même. Et on ne se plaindra évidemment pas de revoir Slowdive, Blonde Redhead, Soulwax ou, bien sûr, Etienne Daho, dont on connaît l’attachement à la Bretagne, de Rennes à Sables-d’Or (près des dunes) en passant par Saint-Lunaire (dimanche matin).
Dans une programmation majoritairement anglophone, cette valeur sûre représente une ouverture vers la pop en français dans laquelle s’engouffre Aline (qui jouera sur la plage Arte), le groupe perpétuant par ailleurs avec classe une veine « indie à guitares » qui a longtemps fait l’identité du festival avant un élargissement de sa palette sonore. Air, déjà venu il y a vingt ans, complète (avec Astral Bakers) ce petit contingent national et rappelle à notre bon souvenir la French Touch dont leur premier album “Moon Safari”, qu’ils dérouleront en intégralité, fut l’une des pierres angulaires et l’un des grands succès à l’export. L’habituelle expo en entrée libre à la tour Bidouane, sur les remparts de Saint-Malo, retracera d’ailleurs la riche aventure graphique et visuelle du mouvement à travers les créations du collectif H5.
Enfin, pour les tendances les plus pointues, entre rap, gothique, soul futuriste, r’n’b, electro expérimentale et indus, on ira voir du côté de Backxwash, Debby Friday, Chalk ou Jessica Winter, tou(te)s plutôt excitants sur le papier.

Comme chaque année, nous donnons un coup de projecteur sur une partie de la programmation, en textes et vidéos live. Plus une playlist en fin d’article avec un morceau de chaque artiste programmé… et un petit hommage à une immense chanteuse récemment disparue.


ML Buch
Née en 1987 et basée à Copenhague, Marie Louise “ML” Buch s’est déjà produite au festival Pitchfork à Paris et récemment au festival Variations à Nantes, mais sera sans doute une découverte pour la plupart de ceux qui assisteront à la soirée d’ouverture à la Nouvelle Vague. Tantôt chantés, tantôt instrumentaux (avec synthés et guitare électrique à sept cordes accordée en open tuning), les morceaux de ses deux albums “Skinned” (2020) et “Suntub” (2023) naviguent entre une pop atmosphérique et sophistiquée aux réminiscences eighties et une musique expérimentale prisée par les institutions (elle a participé à un projet de Laurie Anderson), et peuvent évoquer aussi bien Julia Holter ou les propositions les plus audacieuses de la pop mainstream actuelle que Hugo Largo et une certaine veine du label 4AD (Heidi Berry, les premiers Red House Painters…). Intrigant et séduisant.

Et aussi : Chalk, Ghostwoman.


Slowdive
Quand Slowdive est venu pour la première fois à la Route du rock, en 2014, il s’agissait d’un groupe des années 90, vénéré par certains, mal considéré par d’autres, qui se reformait pour jouer ses anciens titres. Comme My Bloody Valentine, Lush ou Mazzy Star, dont le come-back est aussi passé par le festival. La différence, et ce qui en fait un cas quasi unique, c’est que Slowdive a depuis sorti deux (bons) albums et s’est acquis un nouveau public, plus jeune, sans pour autant perdre l’ancien (à la différence par exemple de Ride dont la fanbase s’est peu renouvelée). Le groupe mêle d’ailleurs dans ses setlists des morceaux de sa première et de sa seconde période. Et à voir le plaisir qu’a le quintette à jouer dans des salles bourrées à craquer, on peut affirmer que la deuxième vie de Slowdive est sa meilleure.


Kae Tempest
Il est probable que la Route du rock n’a jamais invité un•e artiste ayant autant publié (poésie, théâtre, roman, essai… ) et ayant été autant primé•e. Mais Kae (anciennement Kate) Tempest, virtuose des mots, ne fait pas pour autant passer la musique au second plan. Dans la lignée d’un Mike Skinner (The Streets), le/la Britannique, qui cite aussi bien James Joyce que le Wu-Tang Clan parmi ses influences, soigne de plus en plus la musique. Puissante et inclassable (hip-hop, jazz, electro ?), celle-ci fait bien plus que simplement accompagner son flow à la fois précis et impétueux et le regard sans concession qu’elle pose sur notre société – son morceau “Europe Is Lost” publié en 2016 résonne étrangement ces jours-ci.


Nation of Language
C’est le genre de groupe qui pouvait légitimement énerver : trop hipster, trop dans la tendance (néo-)synth pop du moment. D’ailleurs, leur concert au Pitchfork parisien en novembre 2022 nous avait moyennement convaincus. Mais reconnaissons qu’en trois albums, le trio de Brooklyn a gagné en maturité et en profondeur sans trop dévier de son revival new wave. Dans les meilleurs moments, on pense même aux Magnetic Fields (plutôt qu’à un sous-OMD). Et comme les musiciens sont plutôt charismatiques, on peut s’attendre à un agréable moment, peut-être même un peu plus.


ENOLA
On l’a manquée fin mai lors de la Block Party dans le quartier Bastille, et les amis qui ont vu sur scène cette Australienne et ses musiciens (à ne pas confondre avec le jeune et très véhément groupe punk-noise irlandais Enola Gay) nous en ont dit le plus grand bien. Les quelques morceaux sortis depuis deux ans, sombres, tendus, et auxquels la voix de la chanteuse apporte puissance émotionnelle et richesse mélodique, laissent effectivement espérer le meilleur sur scène. L’une des possibles révélations de ce festival, et une nouvelle preuve, après RVG, Amyl and the Sniffers et bien d’autres, de la bonne santé de la scène rock des antipodes.

Naima Bock
Ex-membre du groupe féminin britannique Goat Girl (qui continue sans elle), Naima Bock a sorti en 2022 son premier album solo, “Giant Palm”. Dans le magnifique morceau titre, placé en ouverture, on ne sait si ce “palm” désigne une paume ou une branche de palmier, mais dans les deux cas le texte est d’une grande poésie : « Life’s giant palm lifts me to the sky/And for a while I forget that I cannot fly/So I float high, high above it all, all, all ». La deuxième traduction pourrait renvoyer à son enfance passée au Brésil, bercée par divers artistes locaux : une influence qui transparaît dans certaines de ses chansons ou dans sa version fidèle du standard “Berimbau”. Son British folk modernisé et sans frontières, porté par une voix splendide, sera tout à fait à sa place face à l’océan, et pourrait nous offrir les mêmes grands frissons qu’Aoife Nessa Frances au même endroit l’an dernier.

Et aussi, au Fort de Saint-Père : The Kills, Soulwax, Backxwash, Mystery Kid & Jabba 2.3 en DJ set/aftershow.


Blonde Redhead
La première fois que Blonde Redhead a joué à la Route du rock, c’était en 2004 (le groupe existait déjà depuis plus de dix ans), et un gros orage avait obligé les New-Yorkais à écourter leur set. En 2011, le trio jouait de nouveau… sous la pluie, mais jusqu’au bout. On espère évidemment un temps sec pour leur troisième venue, d’autant qu’elle tient un peu du miracle : absent depuis 2014 et l’album “Barragán”, Blonde Redhead semblait avoir définitivement raccroché les gants. La sortie l’an dernier du très inspiré “Sit Down for Dinner” a relancé la machine, bien qu’on ignore s’il s’agit d’un ultime tour de piste ou d’un véritable retour. On sera en tout cas très heureux de retrouver Kazu Makino et les jumeaux Pace, dont la pop rêveuse et mélancolique, plus apaisée que jadis mais où se glissent toujours de subtiles dissonances, nous accompagne comme une amie fidèle depuis maintenant près de trois décennies.

Bar Italia
Ce trio anglais qui ne fait a priori rien pour plaire recueille un succès inattendu – leur concert du 20 juin à la Cigale affiche complet. Mais peut-être au fond que son rock à guitares un peu lo-fi, volontiers dissonant et maussade, au chant presque rétif, entre en résonance avec son époque. Le groupe, dont le nom s’écrit en bas de casse (bar italia), a d’abord refusé toute promo, entretenant le mystère à l’instar du très secret et inclassable Dean Blunt sur le label duquel il a sorti ses premiers disques confidentiels avant de signer chez Matador et d’aligner deux albums en 2023. Depuis, Nina Cristante, Jezmi Tarik Fehmi et Sam Fenton se sont montrés un peu plus et ont même joué un morceau en acoustique sur le plateau de “Quotidien”, révélant leur vraie nature : moins des poseurs que des jeunes gens qui font la musique qu’ils veulent et se fichent bien du reste. On ne s’attend pas forcément à un grand moment de communion – ils sont réputés pour ne pas adresser un mot au public –, mais on est curieux de voir comment leurs compositions un brin claustrophobes se déploieront sur scène (le récent live ci-dessous en donne une petite idée).

Fat Dog
L’Angleterre n’arrête pas de nous envoyer des groupes plutôt voire très remontés (beaucoup ont d’ailleurs joué aux éditions précédentes du festival), et il est évident que tous ne connaîtront pas la carrière et la (probable) postérité d’Idles ou des Sleaford Mods. Dégustons donc tant que c’est chaud, et de ce point de vue, on trouvera difficilement mieux que Fat Dog, réuni autour du moustachu Joe Love et déjà réputé pour ses prestations scéniques – dont des premières parties pour les Viagra Boys, Shame ou Yard Act – alors que le groupe n’a sorti que deux singles (chez Domino) et quelques vidéos. ”King of the Slugs”, paru l’an dernier, est un ahurissant mélange de plus de 7 minutes où l’on croit entendre du post-punk, de la techno, du prog symphonique, de la musique de Bollywood et des Balkans ; sur “All the Same”, qui reprend un peu les même ingrédients sur une durée deux fois plus courte, on a l’impression qu’un chanteur goth est perdu dans une rave. Vous êtes prévenus !

Deeper
Bien que ce groupe de Chicago existe depuis près de dix ans et que sa signature chez Sub Pop l’an dernier lui ait donné un petit coup de projecteur, il sera pour beaucoup d’entre nous une découverte. Peut-être inspiré par la scène post-rock qui anima la ville dans les années 90, Deeper pratique un indie rock anguleux et sans fioritures, donnant à la fois une impression de simplicité et de complexité rythmique. On pense à des formations fin 70’s-début 80’s comme Television, Wire ou Polyrock, parfois à d’autres de la même époque au son plus synthétique, mais l’urgence et la tension qui se dégagent de cette musique sont tout à fait actuelles. On s’attend à une prestation intense et sans frime.

Et aussi : Aline (plage Arte Concert), Etienne Daho, Metz, Debby Friday, OR’L et Paulette Sauvage en DJ set/aftershow.


José González
Sorti en 2003, “Veneer”, premier album solo de José González, Suédois né en 1978 de parents argentins ayant fui la dictature, fut à l’avant-garde d’une vague folk qui submergea tranquillement le monde entier. La simplicité de sa musique, présente dans des pubs (son étonnante reprise du “Heartbeats” de ses compatriotes The Knife), des films et des jeux vidéo, la rendent sans doute universelle, bien que celle-ci, dépouillée jusqu’à l’austérité, ne joue jamais la séduction facile. Depuis, González, qui étonnamment avait fait ses premiers pas dans des formations de hardcore, a su se diversifier, menant le groupe Junip, au son plus étoffé et électrique, ou collaborant à plusieurs reprises avec Zero 7, duo londonien trip-hop/downtempo. Mais on revient toujours à ce disque inaugural, avec ce magnifique jeu de guitare en fingerpicking, ces discrètes influences latines, ce chant d’une grande sobriété. Ça tombe bien, son auteur le jouera justement sur la scène du Fort (avec quelques bonus peut-être, puisqu’il ne dure qu’une grosse demi-heure), et devrait nous offrir un superbe moment intimiste dans le tumulte du festival.


Beach Fossils
Ils avaient déjà joué à Paris et Tourcoing en février dernier, mais on sera ravi de revoir les Beach Fossils au Fort de Saint-Père. A l’instar de Real Estate, de Wild Nothing et de quelques autres, ces New-Yorkais peuvent être considérés comme des continuateurs du college rock US des années 80-90, dont ils auraient arrondi les angles : guitares ligne claire, finesse des mélodies, voix un peu fragile, mélancolie rêveuse, textes personnels et nostalgiques… Comme son ami Jack Tatum de Wild Nothing, Dustin Payseur, créateur et songwriter principal de Beach Fossils, est aussi un grand fan de The Wake, formation indie pop écossaise culte, la seule à notre connaissance à avoir sorti des albums à la fois chez Factory et chez Sarah records. Si l’on ajoute que le groupe, qui a connu au fil des ans de nombreux changements de personnel autour de Payseur, a compté dans ses rangs Zachary Cole Smith, de DIIV, on aura circonscrit assez précisément leur territoire… qui est aussi, en grande partie, celui de la Route du rock. Autant dire que le rencontre s’imposait comme une évidence.


Astral Bakers
Si les artistes français avec lesquels a travaillé Ambroise Willaume alias Sage, ancien membre de Revolver, ne sont pas tous notre tasse de thé, force est de reconnaître que ce garçon a un grand talent. Qu’il met donc principalement au service des autres, apparemment sans en concevoir de frustration. Et quand il décide de sortie de l’ombre, c’est pour se fondre dans un groupe de copains et copines dont il est le principal vocaliste mais où il n’occupe pas vraiment une place de leader. Fondé avec Théodora Delilez, Nicolas Lockhart et Zoé Hochberg, qui comme lui accompagnent divers chanteurs et chanteuses sur scène et en studio, Astral Bakers donne dans un rock sobre et aérien qui sonne superbement, traversé de déflagrations électriques à la façon de Radiohead ou Idaho dans les années 90 comme de moments plus acoustiques tirant vers la ballade. Du déjà-entendu, peut-être, mais pas toujours avec une telle qualité d’écriture et d’interprétation.


Dame Area
Confiant ces dernières années ses fins de soirée (ou débuts de nuit) à des groupes et artistes capables de faire bouger les festivaliers les plus courageux sans pour autant débiter du BPM à la chaîne, le festival programme assez logiquement cette année le duo barcelonais Dame Area, après d’autres festivals français comme le Hop Pop Hop d’Orléans l’an dernier. Possibles héritiers d’un certain underground local – de la musique industrielle d’Esplendor Geométrico ‎aux performances de La Furia del Baus – qui aurait croisé l’électronique martiale de DAF ou Liaisons Dangereuses, l’Italienne Silvia Konstance et l’Espagnol Viktor L.Crux livrent des performance intenses, radicales et pourtant étonnamment dansantes. Lui s’occupe des sons et des rythmes ; elle, extrêmement charismatique, scande jusqu’au cri, martèle une plaque métallique amplifiée et aime, quand la configuration le permet, se mêler aux spectateurs. Une sorte de cérémonie tribale à deux, totalement maîtrisée jusque dans ses débordements.

Et aussi : conférence “De l’influence des musiques du monde sur la pop anglo-saxonne” par Christophe Brault (théâtre Chateaubriand), Clarissa Connelly (plage Arte Concert), Air, Protomartyr, Meatbodies, Jessica Winter.



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