Gros retour de flamme pop qui rappelle celui qui, jadis sur un plateau, a brûlé sa mise en plis, j’ai nommé feu-l’idole des jeunes, Michael Jackson. Lispector s’y connaît, elle qui brûle de ce dangereux feu sacré qui ne tarit jamais, semble-t-il.
Retour du retour de l’éternel retour de Lispector qui revient périodiquement comme les saisons, comme une remontée de nostalgie. Avec Lispector, on est systématiquement renvoyé dans la charnière des années 80-90 entre pop électronique, rock indépendant, productions acidulées de Madonna, John Hugues, Elli & Jacno, Hal Hartley, Daniel Johnston, Casiotone for the painfully Alone. Tout se mélange et on est dans un temps interstitiel ou rien n’a, à ce qu’il nous parait, changé. Si ce n’est la protagoniste mais pas ses moyens, ses couleurs, dirons-nous.
Dès la première écoute, on se retrouve, comme toujours, dans cette ambiance familière qui sent la pizza, les soirées VHS, la laque en spray, la photocopie des fanzines et le plastique des claviers et des cassettes.
Lispector, c’est un peu notre madeleine de Proust des ex-fan des 90’s quand on regardait ces films et séries américaines qui nous faisaient fantasmer, qui semblaient être notre futur mais qui sont (et étaient déjà d’ailleurs) notre passé. Nous étions tous, alors, des enfants de Los Angeles, avec nos sweats pastels larges, et notre temps glorieux à venir, c’était notre présent. Nous étions heureux mais nous ne le savions pas, chantait prophétiquement Bertrand Burgalat. C’est d’ailleurs à lui et à son label Tricatel que l’on pense beaucoup en écoutant ce Lispector nouveau, qui nous semble plus que jamais le regard dans le rétroviseur (cf. les instrumentaux qui font bégayer, comme dirait Deleuze, l’album). Peut-être l’effet des interventions musicales de ce que l’on serait tenté d’appeler un groupe Lispector alors que Julie Margat nous avait plutôt habitué à un projet sinon autocratique du moins totalement personnel.
On se souvient de ses motto :
« Lispector is Julie and her recorder »
« How could she be in a band when she’s alone? »
ou la version récente
« one woman-quiet riot. Lispector is Julie and her recorder. »
Pourtant on sent que quelque chose a changé dans sa pâte musicale, plus anorak pop depuis “Small Town Graffiti” que la quasi stricte electro du passé. Ça tient à pas grand-chose, une basse qui ronfle un peu plus (“Self Driving Car”) ou une pseudo-section rythmique qui tiendrait la barre. Comme si notre control freak favorite lâchait un peu de mou. Et puis il y aussi cette incartade dans le chant en français, “La Femme à quatre bras”, son chant de refuznik à elle. Comme une possibilité d’un ancien futur jamais vraiment envisagé. Il y a quelque chose de l’ordre du combat ou du refus dans le projet Lispector. C’est une vision très sûre, malgré ce qu’elle peut ou pourrait en dire.
Elle peut bien parodier de manière amusante Belle and Sebastian sur “Do You Happen?” (« I don’t love anyone », déjà revendiqué sur “Tigermilk” en 1996), toute l’œuvre de Lispector est une ode à l’amour, idéal et donc nécessairement déçu. C’est beau et c’est triste mais ça donne un sacré carburant à la machine Lispector. Alors oui, on aime les bal(l)ades amoureuses à vélo (“Luv Kiss Kry Die”), qui sentent un peu l’après-Covid, les souvenirs d’enfance mélancoliques qu’ils soient rêve d’une chambre à soi, ou divagation poétique (“Happy Isolation”).
D’autres thèmes se dégagent comme un état d’étrangeté à soi-même. Dans “Drifting Is Nothing”, Lispector évoque l’errance, l’ennui pendant une soirée (une boum ?) et c’est surtout une exploration de de la dissolution du moi.
Dans “Runners”, elle explore cette folie commune générationnelle de la course à pied qui prend des allures d’obligation ces temps-ci mais qui est aussi le thème de la fuite, fuite de soi en soi. Le corps machine en roue libre (la musique) qui libère les pensées et l’âme.
Quelquefois, elle touche au sublime, notamment avec “Self Driving Car”. On retrouvera un peu de Nicholas Krgovich, autre môme éternel, questeur infini d’amour, dans ce titre un peu funky, avec une lourde basse eighties. Comme par hasard, avec Krgovich, on retrouve la piste d’Owen Ashworth dont Lispector est proche.
Quoiqu’il en soit, « There must be someone for everyone, someone, someone » est le meilleur refrain et moment de l’album.
Finissons par cet aveu qui devrait achever de vous convaincre, sinon d’acheter l’album, du moins de notre amour inconditionnel pour la musique de notre éternelle damoiselle : depuis 2019, date de la sortie de “Small Town Graffiti”, le réveil de ma douce (et le mien) se fait au son de la chanson “Apollo Bay”. Lispector est toujours à la frontière de nos rêves et de la réalité et ça fait un paquet d’années que ça dure.
Les premières cassettes sont parties quasi dès la mise en vente, une seconde édition est en route. Profitez-en !
Avec l’aide de Johanna Clarice D.
“Return of the Old Flame” est sorti le 22 juin 2023 en cassette et numérique, une seconde édition en cassette est prévue pour septembre.
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