Le roi des Imposters a perdu de sa force d’Attractions mais livre malgré tout un show intime avec l’un de ses plus vieux complices, Steve Nieve aux claviers. Respect infini.
Pestons d’abord sur la salle, l’impersonnelle Filadelfia Kyrka, plus propre aux messes évangélistes qu’aux shows de nos idoles, et sur le public, inévitable horde de cheveux gris et de chemises colorées, mais finalement bien en phase avec Elvis et Steve Nieve, improbable duo de pimps scorsesiens, costume gris métal brillant et chaussures extrêmement pointues pour Nieve, costume de souteneur 70’s et breloques sur chemise ouverte pour Costello, qui maquille son look de JLG en celui de De Niro. On sait que Costello aime les masques et joue avec le kitsch, le mauvais goût, c’est même son élégance.
C’est donc fagoté comme l’as de pique qu’il entre en scène avec un “Jack Of All Parades” de bonne tenue musicale même si on craint d’emblée pour la voix, plus cassée que jamais, toujours menaçant de s’écraser sur des ruptures, disons-le, plus de son âge mais qui sont sa marque de fabrique. C’est donc à un numéro d’équilibriste que Costello nous invite, à l’image de son set comme toujours entre rock, ambiance Rat Pack et expérimentations : emprunts plus ou moins avoués à tout le spectre de la musique populaire.
Il savonne bien çà et là mais, dans l’ensemble, il tient au mieux la route en grand pro, ne se ménage pas en prises de risque et c’est quand même la classe, américaine, de continuer à se produire quand on pourrait rester peinard sur ses lauriers. C’est même assez généreux (et frôle l’inconscience) de gigoter et de faire le Jacques pendant deux heures sur scène.
C’est pour cette rencontre rituelle en tout cas qu’on est là, peut-être tout autant que pour entendre ces titres qu’on connaît par cœur. Costello est clairement en perte de vitesse par rapport à sa tournée de 2017, où il faisait le show, tout feu tout flamme, avec moult décors pour revisiter sa carrière et son autobiographie. Ce soir, c’est installation minimale de piano et clavier pour l’un et ensemble de guitares et trio de micros pour l’autre. Sans oublier les rasades de tisane à se jeter dans le cornet entre les titres.
On est en tout cas dans le plaisir du jeu, de la rencontre, des retrouvailles. Nieve suit son Costello au quart de poil, l’œil toujours sur son comparse, essaie des trucs (y compris des lunettes genre Elton John), pas toujours des mieux vus (le clavier sourd et lourd en guise de basse sur le bijou “(Waiting for the) End of the World”), mais rend le spectacle un peu moins prévisible que l’inévitable setlist calibrée. Et ça marche. Que ce soit avec le clavier un peu cymbalum sur “Jack of All Parades” ou le mélodica sur “Watching the Detectives” ou encore le mini-accordéon sur « I Want You ». On ne s’étonnera pas des accents de musique romantique sur “Shot With Îis Own Gun”, qui transforme un Costello-Sinatra en Wanderer par la magie de Steve Nieve sur les traces Hammerklavier de Beethoven. D’ailleurs, il martèlera dur pendant tout le concert pour se mettre au diapason d’un Costello qui joue et chante décidément trop fort et pousse au dépassement de toutes les limites du raisonnable. Splendeurs et misères de la musique amplifiée…
Délices du spectacle, les digressions de Costello. Florilège :
“It’s been a long time since we last saw but the real question is… where have you been?”
ou parlant de Steve Nieve et de leur longue collaboration de 45 ans :
“In 1978, he was just a boy and I was… barely a man.”
“We played this [“Accidents Will Happen”, NDLR] in this arrangement for the first time at the Hollywood High in 1978 and I know… that many of you were there”
Ou, avant « Mistook Me for a Friend », parlant de sa beat box qu’il n’utilisera que pour faire des reprises de Suicide et évoquant sa tournée aux Etats-Unis, sa découverte de la télé 24h/24 et de sa musique :
“The jukebox played constantly new wave music. And I HATED that (I only wanted to play rock’n’roll)… (long silence)… And some were by me !”
(ce qui rappelle, n’est-ce pas étrange ?, un peu les paroles de Franco Battiato dans “Centro di gravità permanente” : « non sopporto i cori russi, la musica finto rock, la new wave italiana, il free jazz punk italiana »)
Ou encore, avant de s’asseoir après une bonne demi-heure de concert
“I don’t sit because I’m tired. I’m sitting down… so I could take a good look… in your wicked eyes…”
“Now Steve Nieve is changing glasses. We are as much as show business as we can.”
“Now it’s the part of the show where we have to make a decision. Sing a song with a girl’s name in the title. And I have a couple of those. Or we could sing a song about… confectionary [les confiseries, NDLR]”.
Au passage, il écornera un peu la légende paternelle (glorifiée avec humour lors de la tournée de 2017), évoquant après “Like Licorice on Your Tongue” l’habileté paternelle pour les langues étrangères :
“That’s a good song ant that’s a very rude song too. I wrote that song 20 years ago as an… erotic poem… about fruit. (…)
I don’t speak Spanish because I already struggle with English all the time. (…) My father actually spoke fluent Spanish. When he was old enough to kind of lose a bit of that decorum that sometimes old gentlemen have and loose the sense of values of the things that they say. And.. I know, I know… (rires du public). And my friend in Andalucia asked my father where he studied. And my father said : in… bed. (…). Apparently in a bed of love. And my mother… did not speak a word of Spanish…”
Parfois, il se paume un peu dans ses punchlines, abandonne en cours celle sur le songwriting comme time-traveling pour se rattraper in fine aux branches et nous révéler les mensonges sur l’écriture autofictionnelle :
“Johnny Cash wrote ‘I shot a man in Reno’ and that’s not true because he sang the song every night and never get caught.”
Il sera dit qu’on pardonnera beaucoup à Costello ce soir-là… On pense à JLG mais aussi à Michel Serrault, cabotin jusqu’au bout. Malgré tout.
Oui, la guitare est moins folle, le jeu sur les micros un feu forcé mais au détour d’une chanson, on retrouve un son de guitare prodigieux (“Tart”), peut-être un peu plus relâché sur cette tournée parce que pouvant s’appuyer sur le partenaire de (presque) toujours. La voix vrille mais se rattrape toujours, seule ou à l’aide d’un micro complaisant.
Et puis, il y a des moments fabuleux à la hauteur de la légende, vertigineuse. “Watching the Detectives”, déconstruite comme il se doit (son “Courage des oiseaux” si on peut dire), option dub cette fois-ci, avec Steve Nieve au mélodica. Le piano parfait de Steve Nieve sur “Shipbuilding” ou “Almost Blue”, fait pour l’ambiance fin de parcours Las Vegas. Ou encore l’amère “When I Was Cruel” et ses paroles chipées/détournées à Abba (« Watch that girl, Watch that scene, Taking the dancing queen ») qui font mouche ici, vous pensez bien (comme l’allusion à sa collaboration avec la soprano suédoise Anne Sofie Van Otter avec “No Wonder”), et entraînent Nieve à parodier la musique du quatuor local sans sortir de la chanson de Costello.
Sans oublier “Toledo”, écrite avec Burt Bacharach, hommage aux collaborations stratosphériques (il y a six ans c’était Allen Toussaint) « qui a eu la gentillesse d’accepter de bien vouloir écrire avec moi », introduite avec moult anecdotes sur le motif easy-brésilien de la chanson en boucle à la guitare acoustique.
Une “Alison” sur le fil vocal et avec participation du public. Et si vous n’avez pas eu l’occasion de faire les chœurs avec Costello, sur une des plus belles chansons du monde, vous ne savez pas ce qu’est le bonheur. Our aim is true en sorte.
Citons encore l’introduction de “The Whirlwind”, Rat Pack non binaire sur la falaise :
« I wrote this song about a girl who come from a faraway town and she come for a new career and hoping… that nobody… will discover… the secrecy… that she carry… behind her eyes. And I was that woman.”
Sans parler de la guitare pliable, au manche escamotable qui disparaît sous nos yeux avant le rappel. « On joue sans jour de repos. On voyage avec tout notre matériel et en cas de problème… il faut avoir des solutions. The show must go on. »
Et, enfin, “I Want You”, s’étendant sur plus de 7mn, touchant le silence avec Steve Nieve, accompagnant mot à mot Costello (il le faut bien : il saute quelques lignes…) dans sa traversée du désert sentimental. Instant suspendu et dernières notes arrachées de haut vol.
C’était sportif, et très touchant surtout de la part d’un vieux monsieur sur la fin de sa carrière et bien décidé à la finir sur scène (on ne reprend pas Aznavour pour rien), ne trichant pas, ou alors en le montrant ostensiblement (le vrai-faux débat entre eux pour savoir si oui ou non il joueraient un rappel… annoncé deux titres avant), drôle et classe malgré tout dans ses fanfreluches. Grand monsieur. Chapeau (bleu) bas. On nous y reprendra certainement mais faudrait avoir les Attractions, ou les Imposters pour le moins, pour finir en beauté.
Image finale terrible aussi d’un show sans merch (on se souvient des CD et biographies signés en 2017) et du tour bus qui attend dehors. The show must go on, qu’il disait.
SETLIST :
Jack of All Parades
Shot With his Own Gun
Accidents will happen
Waiting for the end of the World
Mistook me for a friend
Like Licorice on Your Tongue
Tart
Veronica
Toledo (écrit avec Burt Bacharach)
No Wonder (écrit avec Anne Sofie Van Otter)
Almost Blue
Watching the detectives
Talking in the dark
I do (zula’s song)
I still Have That Other Girl
She (Aznavour)
When I was cruel n°2 (plus paroles et musique chipée à ABBA)
Shipbuilding
(What’s so funny ‘Bout) Peace, Love & Understanding
The Whirlwind
Alison
Rappel
I Want You