On avait fait la connaissance du New-Yorkais Lee Feldman en 1997 avec son album “Living It All Wrong” qui l’imposait comme un héritier crédible de Randy Newman et d’autres singers-songwriters-pianistes apparus dans les décennies 60 et 70. L’histoire du disque est assez singulière : enregistré sur une longue période, autofinancé, il fut refusé par des dizaines de labels trouvant son contenu sans doute trop éloigné des tendances de l’époque, avant d’être signé sur un indépendant… qui fit vite faillite. Les excellentes critiques finirent par convaincre Mercury de le distribuer, mais la major fut à son tour engloutie par Universal (pour faire simple), et l’artiste, qui avait lui-même gagné sa croûte en travaillant pour des cabinets de juristes, se retrouva perdu dans des arcanes légales.
Une fois libéré de son contrat, Lee Feldman – aujourd’hui père de famille et prof de piano dans une école de musique – a préféré revenir à l’autoproduction pour ses albums suivants, tous remarquables, mélange de sonorités rétro façon Broadway et d’audaces d’écriture (“I’ve Forgotten Everything” en 2006 ne nous avait pas échappé, et notre collaborateur Aurélien Gaidamour rapprochait fort à propos ses chansons à la fois tendres et grinçantes de celle de Eels et des Kinks). Les disques ne sont pas forcément très faciles à trouver, mais l’essentiel de ses enregistrements est écoutable en ligne.
Aujourd’hui sort “Dr. Future”, présenté comme une « comédie musicale imaginaire » – on doute qu’elle soit un jour portée à la scène, mais il y a ici des personnages récurrents, une narration et des situations qui en font davantage qu’une simple collection de chansons. Nous avons demandé à l’auteur de décortiquer ses quatorze plages pour nous. A lire en version bilingue !
Cowboy Looking for Dr. Future
I think of this album as an “imaginary musical.” The lyrics are non-narrative, almost incantations. Some of the same characters re-appear throughout the album. The idea is that while people are listening to the album individually, we’re all somehow creating it, imagining it, together. This first song is clear in its imagery, the cowboy waiting, without a horse, the moonlight behind him.
Je considère cet album comme une « comédie musicale imaginaire ». Les paroles sont non narratives, presque des incantations. Certains des mêmes personnages réapparaissent tout au long de l’album. L’idée est que pendant que les gens écoutent l’album individuellement, nous sommes tous en train de le créer, de l’imaginer, ensemble. Cette première chanson est claire dans son imagerie, avec le cow-boy attendant, sans cheval, le clair de lune derrière lui.
Hello
I’ve been playing with Byron Isaacs (bass) and Bill Dobrow (drums) for over 20 years. Byron brought a Hofner bass into the studio, and that brings a Beatles-y feel to some of the tunes, including this one. When we did the first take of the song in the studio, whenever I said the lyric “Hello,” Scott Hollingsworth, the engineer, would stop the recording and say, “Yeah, Lee – is everything all right?” I had to tell him that everything was fine, just keep recording…
Je joue avec Byron Isaacs (basse) et Bill Dobrow (batterie) depuis plus de vingt ans. Byron a apporté une basse Hofner dans le studio, ce qui donne un côté beatlesien à certains morceaux, dont celui-ci. Lorsque nous avons fait la première prise de la chanson en studio, chaque fois que je disais le mot « Hello » [début du bref texte de la chanson, qui est parlé et non chanté, NDLR], Scott Hollingsworth, l’ingénieur du son, arrêtait l’enregistrement et disait : « Ouais, Lee, tout va bien ? » J’ai dû lui dire que tout allait bien, et qu’il suffisait de continuer à enregistrer…
Atheists
If this “imaginary musical” was a film, I would imagine the camera jumping away from the characters and focusing on the composer, alone in a building, with an old piano, nervous, and wondering about his religion.
Si cette « comédie musicale imaginaire » était un film, j’imaginerais la caméra s’éloignant des personnages et se focalisant sur le compositeur, seul dans un immeuble, avec un vieux piano, nerveux, et s’interrogeant sur sa religion.
Bob Stein
I really couldn’t tell you who “Bob Stein” is. I know that he’s connected to Dr. Future, and that he’s sitting at a railroad station. I picture him as middle-aged, but you might have your own ideas about that. We used a lot of vintage synths in this recording, and I feel there’s a kind of “Sesame Street” feeling to this track. Was “Sesame Street” shown in France?
Je ne pourrais vraiment pas vous dire qui est « Bob Stein ». Je sais qu’il est connecté au Dr Future et qu’il est assis dans une gare. Je l’imagine d’âge moyen, mais vous pourriez avoir vos propres idées à ce sujet. Nous avons utilisé beaucoup de synthés vintage dans cet enregistrement, et j’ai l’impression qu’il y a une sorte de côté “Sesame Street” dans ce morceau. “Sesame Street” a-t-il été diffusé en France ? [la réponse, tirée de Wikipedia : « En France, l’émission doublée en français fait son apparition dès 1974 sous la forme d’une séquence intitulée « Bonjour Sésame » diffusée au sein de L’Île aux enfants. Puis l’adaptation française nommée 1, rue Sésame est produite et diffusée de 1978 à 1982 sur TF1. En 1992, la version doublée reprend sous le titre Sésame, ouvre-toi sur FR3, pour ensuite laisser place en 2005 à une nouvelle adaptation, 5, rue Sésame sur France 5. », NDLR]
Hands on the Sink
Byron used a synth on his bass for this tune to give it that low throb. I was playing on a Klavins Una Corda piano. We did it one take, I think. The woman has her hands on the sink, is in the kitchen, and just needs to be alone, even if it’s just for a minute…
Pour ce morceau, Byron a utilisé un synthé sur sa basse afin de lui donner cette pulsation grave. Je jouais sur un piano Klavins Una Corda. Nous l’avons fait en une prise, je pense. La femme a les mains sur l’évier, est dans la cuisine et a juste besoin d’être seule, même si ce n’est que pour une minute…
Countertransference
Countertransference is a psychoanalytic term. It’s the therapist’s reaction and feelings toward his or her client in therapy. This is a song about a singer/songwriter’s reaction and feelings to his or her audience. There’s a bit of a Plastic Ono Band feel to the production here. The composer of the “imaginary musical” wants to connect to an audience. “All of my thoughts are your thoughts.” I love Bill Dobrow’s stripped-down drumming on this track.
Le contre-transfert est un terme psychanalytique. C’est la réaction et les sentiments du thérapeute envers son client en thérapie. Il s’agit d’une chanson sur la réaction et les sentiments d’un auteur-compositeur-interprète envers son public. La production peut rappeler un peu le Plastic Ono Band. Le compositeur de la « comédie musicale imaginaire » veut se connecter à un public. « Toutes mes pensées sont vos pensées. » J’adore la batterie dépouillée de Bill Dobrow sur ce morceau.
We Was
I take the BX10 bus from the subway to my apartment building in the Bronx. There’s this one stretch when the bus goes up a winding hill, and there are a lot of trees. During the daytime the sunlight filters through the leaves and comes into the bus through the dirt-streaked windows. At night, there’s a warm, calm, sense of anticipation as the bus climbs the hill. It felt like a nice way to close the first side of the album…
Je prends le bus BX10 depuis la station de métro jusqu’à mon immeuble dans le Bronx. Il y a un tronçon où le bus gravit une colline sinueuse, avec beaucoup d’arbres. Pendant la journée, la lumière du soleil filtre à travers les feuilles et pénètre dans le bus par les vitres striées de crasse. La nuit, c’est un sentiment d’anticipation chaleureux et calme qui se dégage alors qu’il monte la colline. C’était une belle façon de clore la première face de l’album.
The Overture
Side 2.
Even “imaginary musicals” have Overtures.
This one has the wind, a Wurlitzer, lounge music, synths… and a disco beat.
Face 2.
Même les « comédies musicales imaginaires » ont des ouvertures.
Celle-ci a des vents, un Wurlitzer, de la musique lounge, des synthés… et un rythme disco.
Anxiety
This is probably the most fully fleshed-out song on the album. I’m proud of it and yeah, I do suffer from anxiety. As I’m writing these notes, I’m realizing how one of the themes of this album is the desire to connect in spite of (or maybe because of) psychological barriers that prevent connection. Dr. Future, can you hear me?
C’est probablement la chanson la plus aboutie de l’album. J’en suis fier et, oui, je souffre d’anxiété. En écrivant ces notes, je me rends compte à quel point l’un des thèmes de cet album est le désir de se connecter malgré (ou peut-être à cause de) toutes ces barrières psychologiques qui empêchent la connexion. Dr Future, m’entendez-vous ?
My Name Used to Be Bob Stein
Bob is in a restaurant here. Someone is trying to reach him on the phone. The band is playing in the background. Bob speaks directly to the audience. He briefly becomes bigger than the restaurant as he becomes Dr. Future. What’s left behind is a voice on an answering machine, and the band still playing in the restaurant.
Ici, Bob se trouve dans un restaurant. Quelqu’un essaie de le joindre au téléphone. Le groupe joue en arrière-plan. Bob s’adresse directement au public. Il devient brièvement plus grand que le restaurant en devenant le Dr Future. Ce qui reste à la fin est une voix sur un répondeur, alors que le groupe joue toujours dans le restaurant.
I Am on Drugs
I see this as one of the listeners of the “imaginary musical” singing to us. He’s enjoying the musical, but he has become part of the musical himself. He is not in the best shape, but who is? At least he’s honest…
Là, j’imagine que l’un des auditeurs de la « comédie musicale imaginaire » se met à son tour à chanter. Il aime la comédie musicale, mais il en fait lui-même partie. Il n’est pas au mieux de sa forme, mais qui l’est, au fond ? Au moins, il est honnête…
Words of the Joyless Paintings
Just me and Byron, on bass.
Juste moi et Byron, à la basse.
Dr. Future to the Rescue
Fun with the vintage synths at Figure 8 Recording Studio in Brooklyn.
I love this tempo. Quarter note = 84.
Dr. Future to the rescue!
On s’est amusés avec les synthés vintage du Figure 8 Recording Studio à Brooklyn.
J’adore ce tempo. Noire = 84.
Dr Future à la rescousse !
Walk Away
Thanks for reading and listening, everybody!
“And now we walk away / We don’t even try to fight it
We don’t even make a noise anymore.
And we can walk all day / Dr. Future is here to guide us.
Dr. Future, he knows the way to the shore.
Walk away, walk away, walk.
Walk away, walk away, walk…“
Merci à tous pour m’avoir lu et écouté !
« Et maintenant nous nous en allons / Nous n’essayons même pas de le combattre On ne fait même plus de bruit. Et nous pouvons marcher toute la journée / Le Dr Future est là pour nous guider. Dr Future, il connaît le chemin du rivage. Éloignez-vous, éloignez-vous, marchez. Éloignez-vous, éloignez-vous, marchez… »
Réalisation graphique par Dan Bryk.
Track by Track – “Dr. Future” by Lee Feldman – POPnews - My Blog
[…] Source link […]