Le Bâtiment chante l’amour seul, comme s’il le faisait pour nous seuls sans doute, avec panache et modestie. Pour tous les cœurs brisés et âmes passées. Présentes et à venir.
Jean-Baptiste Haumesser est un jeune homme discret sinon sauvage. Il nous a fallu l’avant-dernier numéro de Groupie (n°9, nouvelle formule, téléchargeable à imprimer soi-même) pour apprendre qu’un nouvel opus du Bâtiment était publié depuis…. septembre 2022. Cachottier, va.
C’est que, on le constate une fois de plus dans une interview fleuve du chanteur ô combien sur ses gardes, Le Bâtiment est rétif à toute forme d’autopromotion. Ne parlons pas d’intérêt, d’adulation voire d’amour : Le Bâtiment se construit une œuvre comme un rempart. Faudrait-il y voir un lointain attachement adolescent pour Pink Floyd ?
Comme pour enfoncer le clou, avec ce nouvel album, Le Bâtiment prend encore plus de distances avec le monde et ses habitants.
« J’ai souri quand
tu es venue
tu aurais pu tout te permettre
mais tu as lu dans mes yeux nus
c’était seul que
je voulais être »
(Un goût tout autre)
C’est bel et bien ce qu’il déclare en titre :
Le Bâtiment chante l’amour
seul
(voir pochette).
D’où un très bel album du seul ménestrel blues français, avec toujours cette écriture fine, ciselée, un peu précieuse et pourtant très directe, ce côté médiéval un peu fanfaron, et modeste à la fois, entre Dante et Adam de la Halle :
« La seule chose
que je sais
Je suis le seul
chanteur français
qui aura chanté
de la sorte
bon ou mauvais
je ne suis rien
j’ai cherché à être ton chien
ou le bâton
qu’il te rapporte »
C’est que Le Bâtiment est tiraillé, c’est un être proprement écartelé, entre plan blouseux et pompe moderne (“Trop faible nature”), entre amour passionné et retenue, entre les enregistrements naïfs et spontanés de Daniel Johnston et l’écriture littéraire à la Murat.
Comme toujours, on est plus attiré, a priori, par les titres plus branques, avec une percu bricolée (un seau ?), une vieille flûte ou un mélodica de collège, par, finalement, ces quelques reliefs grêles dans une œuvre ascétique voire spartiate (“Jamais la douleur”, “Les Remous”).
« On ne trahit
que ses amis
Il me reste si peu de choses
et tant d’idées qui me retiennent
jamais la douleur ne repose
je ne veux plus que tu reviennes
Je rêve d’un écho lointain
un cœur ouvert un feu éteint »
(Jamais la douleur)
C’est qu’il faut s’abandonner et même tout abandonner pour vraiment pénétrer dans Le Bâtiment (19 minutes qui nous paraissent une heure, une nuit), suivre les méandres de ses pensées poétiques, de plus en plus décharnées et sombres. C’est en habit de bure, courbant la tête et en se frottant à une production-cilice qu’on récolte le miel des cénobites :
« Puis-je inspirer le bien
après tant de bêtises
quand mes yeux dans les tiens
jamais ne poétisent
L’idée est la suivante
rien ne reste de nous
ta muse est trop savante
la mienne est à genoux »
(La Suivante)
Un jour il disparaîtra sans doute, sans une trace, ou à peine : quelques CD, quelques fichiers mp3 dans des mémoires d’ordinateur ou de téléphone (l’horreur..). Le dernier album du Bâtiment nous est offert en numérique ici mais, surtout il traîne et trône déjà dans nos petites têtes, sous la douche, en route pour le boulot, ou dans la cuisine, partout où l’on est.. enfin seul.
« Suivant l’injonction à paraitre
À la hauteur de ses ancêtres
Je moque ma vie
sans effort
ignorant tout
du réconfort
Demain est vide
et le cœur
ivre
je trouverai de quoi
survivre »
(Comme celui qui aime)
Le Bâtiment est, une fois de plus (on se répète), notre réconfort.
Avec l’aide de Johanna Martine D.
Sylvain Fesson
Merci pour cette découverte Guillaume.
J’avais un peu peur de tomber sur quelque chose d’un peu trop foutraque comme Jean-Luc Le Tenia mais en effet c’est proche de l’élégance d’un Murat… Et c’est « marrant », à voir ses textes reproduits dans le corps de l’article avec ses vers courts concis creux, j’ai pensé à l’écriture dite baroque de Jude Stefan… Je te ferai bien écouter ce que je fais, comme chansons (indie pop en français) si d’aventure cela te dit et que tu veux bien me communiquer ton adresse mail…