En seulement deux éditions, le Check In Party est devenu un moment fort de l’été des festivals. Cette édition 2022 a en effet convaincu par sa programmation d’une belle cohérence sur un site d’une taille raisonnable, offrant deux jours d’excellente musique.
Vendredi 19 août
C’est aux alentours de 18h30 que nous découvrons le site du Check In Party, situé sur un aérodrome en Creuse – à Saint-Laurent pour être précis – et dont l’entrée est située sur la piste, idéal pour prendre son envol et possession des lieux. Avec ses deux scènes de belle taille (plus une de bien moindre envergure, ouverte à 360°) et un site d’une superficie tout à fait raisonnable, le festival se veut à dimensions humaines, ce qui est toujours appréciable. Passé les premiers morceaux du rock – efficace à défaut d’être original – de Last Train, on prend place pour se sustenter et attendre Shame. Chose surprenante, le groupe fait ses balances… très fort. Tellement que des spectateurs se massent devant la scène en croyant que le groupe a commencé, ce qui n’est évidemment pas le cas. Il manque en effet le chanteur Charlie Steen, qui à l’heure dite embarque derrière lui sa mauvaise troupe. Le côté nerveux, grinçant même, de la formation anglaise constitue une superbe entrée en matière. La chemise du chanteur tombe, Josh Finerty fait à peu près n’importe quoi avec sa basse, mais Shame ne se désunit pas et enchaîne plus d’un tube, de “Concrete” à “One Rizla” ou “Water in the Well”, déclenchant les premiers slams. Un set irréprochable, par des musiciens aux airs de punks mal (ou peu) fringués, mais capables de produire sur scène une sacrée brochette de chansons enthousiasmantes.
On entend de loin Stuffed Foxes, formation noise/psych rock qui a remplacé au pied levé Serpent, nouveau projet avec Mathieu Lescop dedans, et on se place pour Mansfield.TYA. Ce sera notre dernière occasion de voir le duo Julia (Lanoé) / Carla (Pallone) avant leur envol vers de nouveaux horizons. Un peu moins d’une heure de set, il faut faire vite, mais les deux musiciennes font aussi cohérent, et après l’atmosphérique introduction (de plus de cinq minutes) de “La nuit tombe”, nous voilà partis en terres goth-synth-pop, ce qui n’empêche pas Julia Lanoé de mettre une ambiance du tonnerre. Si les nouveaux morceaux – “Ni morte ni connue” ou “Auf Wiedersehen” – sonnent comme sur le disque, “BB” ou “Bleu lagon” sont passés à la moulinette des gros synthés et boîtes à rythmes glacées. Ça marche, ça danse et la fin en roue libre sur “Des coups, des cœurs” est une conclusion, sinon parfaite, du moins à l’image du duo, toujours passionnant sur disque et généreux sur scène !
L’enchaînement avec Fontaines D.C. est pour le moins déroutant, tant les Irlandais tranchent avec leur attitude maussade et cette rage qui semble bouillonner en eux. Le dernier disque se paie la part du lion dans la setlist, et Grian Chatten, tout en muscles et marcel, impose un rythme effréné au concert, les Irlandais ne prenant pas la peine de parler entre les morceaux. Avec trois albums au compteur, Fontaines D.C. a un répertoire plus que costaud et on ne boude pas notre plaisir d’entendre “Big”, “Boys in a Better Land”, “I Don’t Belong” ou “Nabokov”, avant un rageur “I Love You” scandé à pleins poumons. On aurait presque pu espérer quelques minutes de plus et – soyons fous – des sourires, mais on a eu un groupe en pleine possession de ses moyens et c’est déjà beaucoup !
La pause s’impose, et c’est de loin que l’on entend le rock psyché de Slift, pendant qu’on attend une crêpe nommée désir… Cela nous laisse en bonne place pour les invités surprise, The Libertines remplaçant au pied levé ou pas loin King Gizzard and the Wizard Lizzard, peut-être à la déception de quelques spectateurs, notamment ceux avec le T-shirt “I’m still here for King Gizzard”. C’est l’occasion de revoir la formation qu’on a longtemps crue enterrée, ou condamnée, mais Doherty et Barât sont bien là. Si les années ont laissé des traces sur le corps et la voix de Doherty, il est plutôt appliqué, et le groupe évite le syndrome “On est là pour l’argent”. Il y a encore de la fougue, des morceaux qui nous donnent un coup de vieux (ou nous font rajeunir, c’est selon), comme “What Katie Did”, le furieux – et bordélique “Up the Bracket” ou “Horrorshow”, mais aux deux tiers du set, une pluie implacable entraîne un repli massif vers la sortie. C’est trempé, sur le coup de 0h30 et au son de “Don’t Look Back Into the Sun” que l’on retrouve le parking.
Samedi 20 août
Le programme de ce second jour s’annonce bien dense, et c’est par la douceur de H-Burns & the Stranger Quartet et son hommage à Leonard Cohen qu’il commence. Après l’album “Burns on the Wire”, de nombreuses dates aussi, l’ensemble – complété par le multi-instrumentiste Antoine Pinet – est rodé et le set très agréable. Est-ce que c’est sage ? Sans doute un peu, mais c’est un hommage respectueux, qui touche plus d’une fois au cœur et qui aura a minima le mérite de nous faire entendre de belles versions de “Suzanne”, “Chelsea Hotel” ou “The Partisan”. Il était sans doute impossible de les sublimer, mais H-Burns & the Stranger Quartet a offert un beau moment indéniable.
La suite est confiée à Kevin Morby, le songwriter américain continuant à défendre son excellent “This Is a Photograph”, après quelques formidables concerts au printemps. La configuration de festival n’a absolument pas émoussé l’énergie du chanteur-guitariste et de son groupe, avec une setlist courte mais sans faute aucune, et quelques vrais morceaux de bravoure, des passages à la guitare ou au sax bien nerveux. La fin est évidemment ce “Harlem River” qui laisse le public hypnotisé, conclusion au diapason d’un concert remarquable.
Forcément, enchaîner sur Working Men’s Club, c’est expérimenter puissance 1000 le « Deux salles, deux ambiances ». Aux guitares, à la chaleur de Kevin Morby répond la froideur, les synthés et boîtes à rythmes des Anglais, qui semblent aussi aimer le noir. Seul le leader Sydney Minsky-Sargeant « danse » sur scène, mais il faut reconnaître que le côté martial marche à plein et que le glissement vers un peu de shoegaze sur la fin ne dilue pas l’efficacité du groupe. A revoir sans doute dans un club sombre pour en décupler les effets !
C’est de loin que l’on entend Battles, mais la formule du duo est toujours clivante avec ce mélange indéfinissable entre jazz, électro et sans doute bien d’autres choses qui se « diluent » dans la formule du groupe. “Atlas”, sans surprise, referme le set et c’est sur ses rythmes syncopés qu’on rejoint The Limiñanas. Le « duo » français est dans sa formation traditionnelle, avec ses grands écrans en fond de scène et ses projections cinématographiques, mais je passe étrangement au travers du set. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir apprécié le groupe sur la précédente tournée, et même pas plus tard qu’à l’automne dernier. Il manque un quelque chose, soit dans le son, soit dans l’énergie. Même “Dimanche”, “Istanbul Is Sleepy” ou la reprise finale de “Teenage Kicks” ne suffiront pas à me faire basculer. L’attente (interminable) pour choper une crêpe (!) sous les hurlements de Feu! Chatterton est particulièrement difficile, et il faut attendre bien plus tard pour profiter de Meute. Derrière ce nom étrange, on retrouve une fanfare allemande qui reprend des titres de house/techno. Si l’exercice montre vite ses limites, force est de constater que l’énergie qu’insuffle la formation redonne un peu d’énergie alors que l’heure tourne méchamment, et qu’il faut encore tenir.
Tenir pour qui ? Le clou du spectacle : Arnaud Rebotini, qui se présente devant un public aussi vaillant que nombreux (il est 1h45). Le concert proposé par le Français valait largement l’attente : son électro brutale, crade et incroyablement efficace avec ses synthés et ces boîtes à rythmes est une implacable machine à danser. On retrouve soudainement de l’énergie, et le charisme de Rebotini entraîne la foule, qui en redemande. Si l’on est fourbus à la fin, le set a constitué une apothéose pour nous, une conclusion fantastique d’un festival qui a tous les atouts pour s’imposer au cœur de l’été, et aura proposé pour cette édition 2022 son lot de grands moments. A l’année prochaine, Check In Party !
Photos : Laurent Robert – merci à lui, au webzine Muzzart et à l’équipe organisatrice.
Magali
Dommage que la petite scène et les excellents groupes qui y sont passés n’aient pas eu droit à votre attention comme s’il n’y en avait que pour les têtes d’affiches…