Après une édition 2020 annulée et une 2021 à la voilure nettement réduite,
la Route du rock retourne pour sa 30ème à sa formule gagnante habituelle : une soirée d’ouverture à la Nouvelle Vague à Saint-Malo le mercredi, et, du jeudi au samedi, trois concerts sur la plage et trois copieuses soirées au Fort de Saint-Père. Au vu de la programmation, on peut établir quelques constats. D’abord, l’absence de grosses têtes d’affiche (peut-être plus vraiment abordables), même si des phénomènes comme Fontaines D.C., Wet Leg, ou les incroyablement prolifiques King Gizzard et Ty Segall devraient rameuter du monde. On repère en revanche, peut-être encore plus que les années précédentes, pas mal de groupes quasi inconnus, ce qui promet de belles découvertes. Ensuite, la présence d’un fort contingent britannique, comme à l’époque déjà lointaine où le festival était la tête de pont de la Britpop en France. Mais la Cool Britannia crâneuse d’hier a aujourd’hui laissé la place à une rage post-Brexit, mélange d’engagement et d’introspection, d’énergie vitale et (parfois) d’humour tordu qui devrait s’avérer détonant en live. Enfin, et on peut le regretter, la quasi-absence des Français, après certes une édition 2021 où, par la force des choses, seuls des artistes d’ici avaient pu se produire. Dans ce rayon, on ne trouvera que les incontournables Limiñanas, déjà venus au fort il y a quelques années. On entend certes un peu de français chez la Belge Charlotte Adigéry (accompagnée de Bolis Pupul), mais elle s’exprime essentiellement en anglais. Ce qu’on se gardera bien de lui reprocher, d’autant que ses textes ont une profondeur à laquelle l’électro-pop ne nous a pas forcément habitués. Par ailleurs, les DJ ou artistes purement électroniques genre DJ Shadow ou Jon Hopkins, avec lesquels les festivaliers les plus endurants et les moins frileux avaient l’habitude de terminer les soirées vers 3 heures du matin, se sont également fait porter pâles.
Le menu est en tout cas riche et appétissant. Faute d’évoquer tous les artistes programmés, nous en avons choisi seize, dans un large éventail de styles (et, pour d’autres, nous vous renvoyons via des liens à des contenus déjà parus). A chaque fois, une vidéo sélectionnée par nos soins donne une idée du groupe en live, en attendant de pouvoir juger sur pièces du côté de Saint-Malo. Enfin, une playlist de près de 2 heures vous permettra de découvrir tous les groupes à l’affiche.
Les places se prennent ici. Bonne Route !
Mercredi 17 août
La Nouvelle Vague
King Hannah
Lors de la soirée d’ouverture, ils partageront la scène de la Nouvelle Vague à Saint-Malo avec la Néo-Zélandaise Aldous Harding qu’il n’est sans doute plus utile de présenter, contrairement à eux. King Hannah est un duo britannique composé de la chanteuse Hannah Merrick et du guitariste Craig Whittle, qui s’est fait remarquer dès son premier EP en 2020, suivi au printemps dernier de l’album “I’m Not Sorry, I’m Just Being Me”. Il faut reconnaître que leur musique captive dès la première écoute. On a beaucoup cité Mazzy Star en référence pour l’indolence vénéneuse de la voix et le son de guitare au psychédélisme diffus, on peut aussi penser à Shivaree, à Elysian Fields ou aux Cowboy Junkies (qui, comme eux, avaient repris l’intense et minimaliste “State Trooper” de Bruce Springsteen), voire, pour rester en Angleterre, à un Portishead qui ne serait pas parti à la chasse aux samples. A quelques années près, on les aurait bien imaginés dans une séquence musicale de “Twin Peaks: The Return”. En espérant que le groupe soit aussi ensorcelant sur scène que sur disque, voilà a priori une entame idéale pour le festival, laidback mais sans mollesse, avant les groupes nettement plus rageurs du jeudi.
Et aussi : Aldous Harding (lire la chronique du dernier album).
Jeudi 18 août
Plage Arte Concert
Mary Lattimore
La Route du rock nous a habitués à de jolies surprises pour ses concerts de l’après-midi sur la superbe plage de Bon-Secours, mais il nous semble bien que c’est la première fois que le festival fait jouer… une harpiste soliste. En dehors de ses nombreuses collaborations scéniques ou discographiques avec des artistes aussi essentiels que Jarvis Cocker, Kurt Vile, Thurston Moore, Sharon Van Etten, Steve Gunn, Nick Garrie, Arcade Fire et bien d’autres, la Californienne Mary Lattimore compose avec son instrument et divers effets de délicates pièces instrumentales, comme suspendues dans l’éther, à la croisée de l’ambient et d’un folklore immémorial. A savourer allongé dans le sable…
Fort de Saint-Père
Cola
Vous aviez aimé Ought, le groupe canadien du fluet Tim Darcy qui s’était produit lors de l’édition 2014 du festival ? Vous devriez apprécier Cola (pour “Cost of Living Adjustment”, apparemment), qu’il a formé avec le bassiste Ben Stidworthy (également ex-Ought) et le batteur Evan Cartwright. Là encore, pas d’effets de manche, de facilités ou de production gonflée aux hormones, mais une musique toutefois moins déconstruite, plus directe que le “néo-post-punk” un peu raide de la formation défunte. Avec ce nouveau (power) trio, Darcy a fait un pas vers la concision de la pop, sans rien perdre de la puissance abrasive de sa voix, de son jeu de guitare ou de ses textes. Un peu comme Thom Yorke en passant de Radiohead à The Smile, comme le suggère judicieusement Pitchfork.
Working Men’s Club
Grosse sensation chez eux, un peu moins en France pour l’instant, Working Men’s Club est le groupe de Sydney Minsky-Sargeant, âgé d’une vingtaine d’années. Le genre de jeune prodige comme seule l’Angleterre semble capable d’en produire (remember Alex Turner). Guère excité par la musique de ses contemporains, il a préféré explorer le passé proche et s’est étrangement pris de passion pour la house de Chicago et les groupes dance de Manchester comme 808 State. Organisant la rencontre des guitares et des machines, les dix morceaux de l’album sorti en 2020 semblent ainsi encapsuler l’esprit de centaines de soirées à l’Haçienda, des balbutiements de New Order ou A Certain Ratio au “Second Summer of Love” de 88-89. Mais avec une pulsation très actuelle, post-confinement disons, à laquelle nos pieds pas encore trop fatigués devraient être sensibles.
Yard Act
Bonne nouvelle, les jeunes groupes britanniques ont de nouveau des choses à dire. Après Idles, Shame ou Dry Cleaning, voici les quatre de Yard Act, de Leeds, un peu plus légers en apparence mais tout aussi énervés par l’état de leur pays, voire du monde en général. Dans ses diatribes souvent plus parlées que chantées, James Smith (difficile de faire plus anglais comme nom !) use de l’ironie et du sarcasme, dans la lignée de John Cooper Clarke, Mark E. Smith (The Fall) ou, plus près de nous, les Sleaford Mods. Son sens de la chronique sociale et son humour grinçant mais pas dénué de tendresse – il faut absolument voir leurs clips – sont portés par une sacrée présence scénique qui contraste avec son allure de Monsieur Tout-le-monde, et qui devrait faire de leur concert l’un des grands moments de défoulement de cette édition 2022.
Black Country, New Road
Des groupes qui ont continué après le départ de leur chanteur, on a déjà vu ça. Dans le metal, c’est même monnaie courante. Dans le cas de Black Country, New Road, l’annonce faite par Isaac Wood le 31 janvier dernier qu’il quittait le jeune collectif anglais, quelques jours seulement avant la sortie de son très attendu deuxième album, risque quand même de sacrément rebattre les cartes. Les membres restants – tous extrêmement créatifs – avaient même annoncé à l’époque qu’ils ne joueraient pas les morceaux écrits avec lui. Va-t-on alors entendre des titres totalement inédits, ou le groupe trouvera quand même un moyen d’interpréter des extraits de ses deux albums (et notamment du deuxième, qui témoigne d’une évolution vers une musique à la fois plus riche et plus apaisée) ? BCNR est décidément l’un des groupes les plus imprévisibles du moment, et rien que pour ça on a envie de les suivre.
Et aussi : Geese (lire la chronique de l’abum), Charlotte Adigéry et Bolis Pupul, Wet Leg (lire le compte rendu de leur concert au Pitchfork Avant-Garde), Fontaines D.C. (lire une interview et la chronique de “A Hero’s Death”).
Vendredi 19 août
Plage Arte Concert
Melenas
Avant Los Bitchos au Fort de Saint-Père dans la soirée, un autre quatuor féminin au nom à consonance latine décrassera nos oreilles dans l’après-midi. Les Melenas nous viennent de Pampelune et leur indie pop garage hispanophone, simple, mélodieuse et hyper efficace, est la garantie d’une ambiance festive – mais sans lâcher de taureaux sur la plage.
Fort de Saint-Père
Snapped Ankles
Des Residents à Ghost ou The Mummies en passant bien sûr par Daft Punk, les groupes anonymes – ou tout du moins masqués – sont une grande tradition du rock et des musiques électroniques. Ainsi, on ne sait pas qui se cache derrière les déguisements shamaniques qu’arborent les Londoniens de Snapped Ankles, et au fond on s’en fiche un peu. Car cet attirail n’est heureusement pas là pour camoufler l’indigence du propos ou de la musique, tout deux très affutés. Comparé à The Fall (comme la moitié des groupes programmés cette année, sans doute) pour ses textes parlés et ses structures répétitives inspirées du krautrock, pouvant aussi évoquer les doux dingues psyché du Beta Band ou d’Orchestra of Spheres, le groupe signé sur le label Leaf se veut à la fois dansant et politique, et a la réputation de faire de ses concerts de véritables performances arty. Ça promet !
Porridge Radio
Attention, talent brut, comme on le dit d’un diamant. Dans les chansons de Porridge Radio, la musique semble parfois courir pour essayer de rattraper la voix de Dana Margolin, flot impétueux et souvent bouleversant charriant à la fois angoisses, interrogations intimes et joie d’être en vie. Même quand le rythme ralentit et que le chant se fait plus doux, l’intensité ne faiblit pas. Jusqu’ici grand espoir de la scène britannique, le quatuor de Brighton franchit encore un palier avec son nouvel album dont le titre semble inviter à faire un choix, “Waterslide, Diving Board, Ladder to the Sky”. De ces trois possibilités d’évolution, on leur prédit la dernière, ce que devrait confirmer leur passage malouin.
DIIV
Après avoir traversé pas mal d’épreuves, Zachary Cole Smith, leader de DIIV, semble avoir enfin trouvé une certaine sérénité. Le troisième et dernier album en date du groupe, “Deceiver”, sorti en 2019, témoigne avec franchise de cette époque troublée, sur des guitares lourdes entre alternative rock américain et shoegaze. Même si Smith affiche un spectre d’influences et de goûts bien plus large, difficile de ne pas penser à la musique qui nous a bercés au début des années 90, de Sonic Youth à My Bloody Valentine en passant par Slowdive ou les Smashing Pumpkins. Autant dire qu’à l’égard de l’histoire de la Route du rock (et en l’absence cette année d’un groupe survivant de ces années-là), DIIV y a toute sa place. Sans passéisme pour autant.
Kevin Morby
Le trentenaire est l’un des rares représentants cette année d’un rock américain classique dans l’esprit, qu’il honore depuis une dizaine d’années avec une belle régularité, sur des albums toujours inspirés. Le dernier, “This Is a Photograph”, est une collection de ballades superbement arrangées où se distinguent également quelques morceaux plus enlevés qui devraient faire merveille sur scène. Un hommage aux sonorités de Memphis, ville musicale par excellence, qui sait heureusement éviter le vintage stérile et le « middle of the road » trop confortable. Morby n’est sans doute pas le musicien le plus original et innovant en activité, mais c’est toujours une passion sincère et profondément incarnée qui s’exprime au cœur de ses chansons.
Et aussi : Honeyglaze, Los Bitchos, The Limiñanas (lire une interview et un compte rendu de concert), Baxter Dury (tous nos articles ici).
Samedi 20 août
La Plage Arte Concert
Tess Parks
Si Tess Parks (née à Toronto, basée à Londres) a publié deux albums en duo avec Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre en 2015 et 2018, “And Those Who Were Seen Dancing”, sorti cette année, est son premier album sous son seul nom depuis “Blood Hot” en 2013. Sa voix légèrement éraillée flotte sur des ambiances engourdies et doucereuses rappelant le Velvet ou Mazzy Star, même si Tess est également une grande fan d’Oasis (elle a d’ailleurs été plus ou moins repérée par Alan McGee). Bien qu’on imagine plus l’artiste jouer nuitamment, l’atmosphère cotonneuse qui se dégage de sa musique devrait être également parfaite pour l’après-midi.
Fort de Saint-Père
PVA
Avec un seul EP à son actif, ce trio londonien impressionne déjà avec sa musique à la fois tendue et dansante. Même s’il compte un « vrai » batteur et utilise des guitares, le groupe se distingue de la plupart de ses pairs par l’usage de machines, dont les sonorités évoquent autant l’electronic body music des années 80 que l’esprit des raves. Sachant que PVA s’est fait repérer par ses prestations scéniques avant même d’avoir enregistré la moindre chanson, on peut s’attendre à quelque chose de particulièrement percutant.
Big Joanie
Signé sur Daydream Library Series, le label de Thurston Moore, ce trio féminin basé à Londres semble tout droit sorti du film indé US culte et politique “Born in Flames” (1983). Mais les placer dans une case « afropunk féministe, antiraciste et LGBT », même si c’est tout à fait pertinent eu égard à leur engagement, risquerait de renvoyer leur musique au second plan. Ce qui serait dommage car leur album “Sistahs” marie brillamment une somme d’influences, entre les mélodies fortes et les chœurs des girl groups, la tension et les dissonances du post-punk et l’amateurisme assumé des riot grrrls ou des groupes C86. Un mélange enthousiasmant et hautement inflammable !
Vanishing Twin
Formé en 2015 à Londres autour de Cathy Lucas, Vanishing Twin est sans doute l’un des groupes les plus passionnants du moment. A l’instar de son line-up de brillants musiciens cosmopolites, il mélange pop, psychédélisme, library music, jazz cosmique et expérimentations diverses dans des morceaux à la fois ludiques et mystérieux, qui ne se perdent jamais en route. Au fil de ses trois albums, dont le dernier, “Ookii Gekkou”, est sorti en 2021, la formation souvent comparée à Stereolab et surtout Broadcast a affiné et enrichi sa formule planante. On ne sait pas si Cathy pourra descendre dans le public avec un projecteur comme à Petit Bain l’an dernier, mais on peut s’attendre sur scène à quelques surprises…
Lire un portrait du groupe (2019).
Beak>
Ce qui aurait pu n’être qu’un passe-temps pour Geoff Barrow en attendant un nouvel album de Portishead est devenu une activité à plein temps, ou tout du moins son groupe principal. Un trio (encore un ce soir !) où il officie à la batterie “motorik”, accompagné d’un bassiste et d’un clavier/guitariste. Les influences du krautrock et des Silver Apples, déjà discernables sur le troisième album de Portishead, sont ici évidentes, mais sublimées par le jeu très organique des trois musiciens. Même si leur musique est répétitive (c’est le principe), elle est interprétée avec suffisamment de vigueur et d’implication collective pour rester constamment excitante.
Et aussi : Ditz, Wu-Lu, Ty Segall & Freedom Band, King Gizzard and the Lizard Wizard.
A écouter, une playlist avec tous les artistes programmés.