Poli et travaillé par Mélanie Isaac durant plusieurs années, “Surface” est l’album d’une lente maturation. Lauréate de la Biennale de la chanson française en Belgique en 2012, auteure d’un très beau EP en 2018, “L’Inachevée”, enregistré avec le concours de musiciens collaborateurs de Johnny Marr ou de Françoiz Breut, elle confirme avec ce court album d’une demi-heure la singularité de son univers, entre cette voix profonde qui évoque Barbara et ces textes intimes et élégants qui font parfois songer à Dominique A. “Surface” a été conçu entre Paris (Antoine Grignard), Rivesaltes (Julien Lebart) et Bruxelles (Erwin Autrique). Elle nous en raconte ici la genèse, morceau par morceau : les rencontres, les influences, les blessures personnelles aussi, qui ont sédimenté les neuf titres du disque.
Paradis Nord
J’avais le titre depuis une éternité. Matinée de novembre, en terrasse. Je ne sais plus de quoi on parlait. Mon ami me demanda : « Tu connais la chanson de Dylan, Girl from the North Country ? » Quelques heures plus tard, en souvenir de mes années new-yorkaises, je me procurai le bouquin énorme contenant l’intégrale de ses paroles. « If you’re travelin’ in the north country fair. Where the winds hit heavy on the borderline ». Un croisement avec Berger ? « Où les nuits sont si longues qu’on en oublie le temps »… Est-ce que mon Paradis Nord nous raconte une histoire d’amour à distance ou l’envers d’un au-delà ? C’est pareil ? Ça dépend des jours et des concerts ! À toi de voir.
Surface
Si j’avais fait un clip de cette chanson, je l’aurais probablement sorti un 1er mai. Dans ma salle de bains, il y a une carte postale avec une citation. Je ne sais pas de qui elle est. « Chaque limite a sa patience », à côté du miroir, en guise d’encouragement à mes matins. Je dédicace ce titre à mes amis artistes, artisans, ouvriers, fleuristes et plafonneurs (tu vas comprendre). Et à tous les douteux, à ceux nombreux qui peinent parfois tant à se prendre au sérieux dans ce qui leur tient à cœur. Cela aurait pu, mais ce n’est certes pas une chanson d’énervé. Ce n’est qu’un petit rappel, comme ça, calmement : « À force, la surface, on la brise ! » Et que les détracteurs de nos élans combatifs, pauvres victimes de leurs complexes en prennent bonne note ! Pan pan !
T’aimer plus fort
Celle-ci est un ancêtre. Écrite et composée en 2014. 2014 ? T’en parler, vraiment ? 2014 ! Quelques mois après que ma mère a décidé de nous quitter sans laisser de mot. Je l’ai écrite d’une traite, sans réfléchir, en cinq minutes, comme si la chanson avait toujours existé et que je m’en souvenais tout à coup. J’ai eu plaisir à imaginer que c’était le mot que j’avais cherché, qu’elle me dictait de loin. C’est ma petite berceuse d’amour absolu. Quelques mots, je crois, j’espère, que les mères que nous sommes pourraient s’approprier. Une mère. Qu’est ce qu’on pourrait bien recevoir de plus fort que ça ?
La Révélation
La chanson se conclut par un «peut-être y revenir ». « Y revenir », c’est aussi le titre d’un livre de Dominique A dans lequel il sonde la relation qu’il entretient avec la ville où il a passé son enfance, Provins. Au commencement, j’avais besoin moi aussi de questionner ce lien. Et puis, nous étions confinés et au fur et à mesure que le texte se dessinait sous le stylo, je ne savais plus très bien de quoi ça parlait. De ma ville ? Ou de toutes nos villes qui ne semblaient plus qu’être un trop lointain souvenir ? Les deux ?
Floride
Toujours confinée mais à Astaffort (Lot-et-Garonne) cette fois. Cinquième jour de résidence. Cinquième chanson. Jérôme Attal, le magnifique, sous sa casquette de coach pleine d’auto-dérision me lança un « Pour ta prochaine Mélanie, il faut te dé-Barbariser ! ». Il ouvrit au hasard le recueil de nouvelles de Richard Brautigan, “Tokyo-Montana Express”, et me balança une punchline (j’ai oublié laquelle) « L’Asie, sérieux, Jérôme, tu crois pas qu’on en a assez bouffé, là, avec nos masques sur la tronche ? Hors de question ! » « Ok Mélanie ! La Floride alors ! » « Vendu ! » J’ai écrit la chanson dans la demi-heure. J’ai longtemps hésité à la garder pour le disque. Je la trouvais un peu adolescente, musicalement trop facile. Mais puisque je suis très certainement aussi cette grande ado… Au final, elle me fait presque autant marrer qu’un “Toi l’homme” ou “Les Mignons”. D’ailleurs, je n’ai jamais compris les gens qui disent de Barbara qu’elle est déprimante. Très sincèrement, je termine toujours l’écoute de ses titres dans un parfait éclat de rire.
Rouge Indigo
Je ne sais plus lequel, mais c’était un été de canicule. Alors que l’on n’avait encore jamais entendu parler de virus chinois et que tout le monde s’affalait en terrasse sirotant bières et thés glacés, je suis restée enfermée quinze jours chez moi derrière mon ordinateur. Des lettres, des kilomètres de lettres passionnées, passionnantes. Un parfait beau brun d’Oxfordshire qui me parlait de traverser ensemble l’Atlantique en voilier… Quel rafraîchissement ! Pendant ce temps, je recevais aussi des paroles de Bretagne, de mon ami Antoine Graugnard. J’écrivais, je lisais et sifflais comme le moineau : La Do# MI Sol# … Ce La Majeur7 ne me quittait plus. J’ai tiré un des nombreux textes d’Antoine au hasard et ça collait parfaitement à l’ambiance de la quinzaine et à cette mélodie qui me trottait, probablement ma meilleure mélodie de tous les temps. À voir…
La Main dans celle du vent
Cet ami, Antoine, je l’ai rencontré en 2016. C’est un sacré auteurc-compositeur, musicien et chanteur. Malheureusement pour nous tous, il ne prend que trop rarement le micro. Il est doué de cette qualité rare d’avoir une patte très personnelle mêlée d’une intelligence telle qu’il sait la mettre au service d’univers parfois fort différents. Cette chanson-là, il me la envoyée, texte et mélodie, quelque temps après notre rencontre. Même si, faut bien l’admettre, ça me chipote toujours l’égo d’auteur de ne faire que l’interprète, des mots pareils, cela ne se refuse pas. Quelle invitation ! L’évasion ! Quel cadeau !
Le Seul Oiseau
Cinq mois après ma mère, mon père. Et puis, vider la maison montée bloc par bloc de ses propres mains tout en enchaînant les horaires décalés à l’usine… Faire quelque chose de beau avec la douleur. Quelques années après, je trouvais l’apaisement et je voulais le rendre. Il fallait faire un truc extrêmement sobre, simple et doux. Je n’ai qu’un petit regret. J’aurais aimé la chanter avec plus de sourire. C’était à la fin de la session en studio, j’étais épuisée d’autant qu’avant-après session, c’est moi seule qui construisais ma propre maison. Une tonne de plâtre depuis mon poignet de pianiste avec tout l’élan de ma gratitude, droit devant ! Mais du sourire ! Du sourire parce que ce n’est pas une chanson triste. Ce n’est pas une chanson triste !
Ne la regarde que dans les yeux
Notre grand fantasme avec Antoine, c’était d’écrire une chanson pour Patricia Kaas. J’avais un couplet et un pré-refrain mais je séchais grave sur le refrain. Et puis, je repensais à ce texte qu’il m’avait envoyé bien auparavant, celui dont il était satisfait du refrain mais moins des couplets. Je composai son numéro. « Antoine ! J’ai une idée ! Viens, on fait un copier-coller ! » Instant magique. Ça fonctionnait ! On a bien rigolé ! Quelques mails plus tard, on m’a raconté que c’était pas la came de Patricia. Pas grave. Avec toute cette prétention dont je sais aussi faire preuve, l’espace de 3 min 26, je peux certifier que cette progression d’accords au piano me fait presque autant plaisir (plus !) que de reprendre un bon vieux Lennon la veille de Noël, alors bon… Fais-la sourire encore un peu, comme un joli point d’orgue. Tu as compris ?
Portrait : Maël G. Lagadec.