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Cassandra Jenkins, Lael Neale, Gabriels, Wet Leg, En Attendant Ana… Pitchfork Avant-Garde, 19 et 20 novembre 2021, Café de la danse et Supersonic

Par Vincent Arquillière et Jérémy Vrignon

Depuis maintenant une dizaine d’années, le Pitchfork Music Festival prend ses quartiers à la Villette, le temps d’un week-end d’automne. Après une édition 2020 annulée pour cause de crise sanitaire, l’événement a fait son retour dans une nouvelle configuration étendue. A la place de l’habituelle Grande Halle, le festival a investi quelques salles de la capitale pour des concerts exclusifs, ainsi que le quartier de la Bastille pour son « Avant-Garde », mettant en vedette des artistes émergents et prometteurs le temps de deux soirées. Nous y étions.

19 novembre : Cassandra Jenkins, Lael Neale, Gabriels, Molly Payton, Wet Leg

Vers 19h15, soit un quart d’heure avant le début des concerts, on fait déjà la queue devant le Café de la danse. Signe que les différentes salles du quartier Bastille où sont programmées les deux soirées du Pitchfork Avant-Garde vont faire le plein… et que tout le monde ne pourra pas forcément rentrer partout. Le Café de la danse devant être la plus grande (avec ce soir-là des gradins réduits au minimum pour accueillir le plus possible de spectateurs debout), elle semble un bon choix pour commencer la soirée. Ou pour y rester jusqu’à la fin, son line-up 100 % américain – chose à laquelle on n’était plus habitué depuis mars 2020 – s’avérant particulièrement relevé.

C’est la New-Yorkaise Cassandra Jenkins qui ouvre. Si son premier album “Play Till You Win”, sorti en vinyle autoproduit en 2017, était passé assez inaperçu (vue sa cote, il semble très recherché aujourd’hui…), son nouveau, le bref “An Overview on Phenomenal Nature”, lui a valu des critiques élogieuses, tout à fait méritées d’ailleurs. Un disque suivi ces jours-ci par un recueil de versions alternatives, contenant également l’inédit “American Spirits”.

La jeune femme se présente sur scène avec pas moins de cinq musiciens. On se dit, amusé, que les quatre garçons ressemblent curieusement à un groupe écossais des années 80, entre les Commotions de Lloyd Cole et Love and Money ; Cassandra nous apprendra à la fin du concert qu’ils sont de… Glasgow. En tout cas, en ce qui concerne le guitariste, le bassiste et le batteur. Le clavier est lui aussi écossais d’origine et n’est autre que le sympathique Gerard Black, qui a fait partie de Frànçois & the Atlas Mountains. Jill Ryan, venue de Philadelphie, complète la formation au saxophone (très présent sur certains morceaux) et à la flûte traversière. De quoi porter à la scène toute l’ambition musicale et sonore des disques.

Les premiers titres laissent toutefois penser que Cassandra Jenkins s’inscrit assez sagement dans un créneau folk déjà bien encombré, avec des arrangements certes plus développés que chez beaucoup de ses consœurs. Sa voix douce, en accord avec son physique, et son goût pour une musique feutrée nous évoquent Heidi Berry, qui signa quelques beaux albums chez Creation et 4AD dans les années 80-90. Mais bien vite, elle montre une palette plus large, mêlant des influences de country, de jazz ambient, de pop un peu expérimentale (le talk-over du magnifique “Hard Drive”) ou presque mainstream. L’Américaine est sans doute trop cultivée, trop curieuse et trop bonne musicienne pour se contenter de gratter quelques accords sur une guitare sèche en chantant des banalités (ses textes narratifs, souvent autobiographiques, révèlent un beau sens de la formule et de l’observation). Quarante petites minutes lui auront suffi pour nous dévoiler la richesse de son univers, tout en nous laissant un peu frustrés. Espérons qu’elle revienne vite et qu’elle puisse jouer un peu plus longtemps.

Comme Cassandra, Lael Neale s’est fait remarquer avec son deuxième album paru en début d’année, “Acquainted with Night”. Sa musique est nettement plus dépouillée puisqu’elle s’accompagne essentiellement d’un omnichord, sorte d’orgue-jouet au son brut. On note quand même la présence à ses côtés de l’expérimenté Guy Blakeslee (à la guitare ou aux claviers), qui l’a aidée à mettre en forme ses compositions et a lui-même sorti un très beau disque cette année.

Le duo offre un minimalisme hypnotique, où la voix pure et sans apprêt de Lael est toujours très en avant, l’instrumentation se contentant de la soutenir discrètement. Quand une boîte à rythmes seconde l’orgue, difficile de ne pas penser aux chansons à l’os des Young Marble Giants ; à un autre moment, on croirait entendre Mazzy Star. Les chansons semblent s’écrire à mesure que les deux musiciens les jouent, tels des petits miracles fragiles.

A un moment, Blakeslee s’éclipse, laissant la chanteuse seule sur le devant d’une scène qu’elle apprivoise sans difficulté. L’intimité est telle qu’on n’en oublierait presque que la salle est désormais bien pleine. « I’m never lonesome », chante-t-elle sur le très beau “Sliding Doors & Warm Summer Roses”. Une chose est sûre, ce vendredi, c’était bien le cas. Un concert là encore trop bref, mais où chaque mot et chaque note nous ont atteints au cœur.

En clôture de cette première soirée, les fabuleux Gabriels sont venus électriser une foule désormais compacte. Une faible lumière bleutée laisse entrevoir les différents musiciens qui prennent place. Une silhouette imposante s’approche alors du centre de la scène et transperce le silence d’une voix impressionnante. On croirait entendre Anohni (Antony & The Johnsons) mais il s’agit de Jacob Lusk, leader du projet hybride Gabriels. A côté du producteur Ryan Hope, le violon du classieux Ari Balouzian répond aux envolées de Lusk, rehaussées par le chant gospel de trois choristes. Ce qu’offre le groupe est une expérience temporelle, un grand écart entre l’influence soul et gospel des années 50/60 et une production moderne entre pop et r’n’b. La voix puissante et chargée d’émotion de Jacob Lusk, qui monte et descend à une vitesse folle, est le lien évident de ce choc des cultures. Son énergie et son charisme ne tardent pas à faire grimper la température de la salle.

Le moitié de l’équipe choisit de quitter le Café de la danse juste après le concert de Lael Neale pour se diriger vers le Supersonic, à dix minutes de là, et avoir une chance d’y entrer. L’endroit est petit et on se doute que les Anglais(es) qui buzzent de Wet Leg vont attirer du monde. En attendant, c’est Molly Payton qui monte sur scène, une jeune Néo-Zélandaise accompagné d’un classique trio guitare-basse-batterie. Molly a une belle voix, de la présence, et ses chansons sont plaisantes, à défaut d’être fondamentalement originales, surtout si on a connu le rock indé des années 90 (elle ne devait même pas être née, pourtant). Prometteur, quand même.

De tous les groupes programmés ces deux soirs, Wet Leg était sans doute celui qui suscitait la plus forte attente avec le moins de chansons publiées – deux seulement, “Chaise Longue” et “Wet Dream”, irrésistibles tranches de pop-punk pince-sans-rire et DIY comme on n’en avait plus trop entendues depuis les débuts d’Art Brut. Leur concert nous aura confirmé qu’il en existe au moins neuf autres, presque aussi efficaces et pas fondamentalement différentes même si elles révéleront peut-être leurs nuances sur disque. Le quintette livre une prestation en forme de rouleau compresseur face à un public particulièrement remuant, qui enchaîne pogos et slams très près de la scène.

Rien de très virtuose, mais tout est bien en place et s’enchaîne sans temps mort. Les deux copines originaires de l’île de Wight, Rhian Teasdale et Hester Chambers, affichent chacune un style à l’opposé de l’autre sans qu’on sache si cela est concerté : chemisier blanc à manches gigot et robe longue pour la première, tatouages et nombril apparent pour la seconde. Pas franchement délurées, elles semblent néanmoins bien s’amuser, Rhian affichant un large et très joli sourire qui contraste avec l’air deadpan qu’elle montre dans leurs deux clips.

A l’évidence, le succès soudain ne leur est pas monté à la tête, et on les sent presque incrédules devant l’accueil plus que chaleureux qu’elles reçoivent ici, sachant qu’elles n’ont pas dû beaucoup tourner hors de Grande-Bretagne jusque-là. Réaliseront-elles un carton à la Franz Ferdinand, passés de la Boule Noire au Zénith en l’espace d’un an ? C’est tout le mal qu’on peut leur souhaiter.


20 novembre : Elliott Armen, Faux Real, En Attendant Ana

Si UNSCHOOLING étaient initialement prévus pour ouvrir la seconde soirée au café de la Danse, c’est Elliott Armen qui s’est présenté à nous, suite à l’annulation des premiers. Seul sur scène, ce multi-instrumentiste français, qui avait joué la veille aux Disquaires, est venu présenter un folk niché entre la mélancolie intimiste d’Elliott Smith et l’appel des grands espaces d’un Sufjan Stevens ou d’un Nick Mulvey.

Après la douceur, la folie. Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller après un rêve étrange, qui semble réel mais où rien n’a de sens ? Et bien, voir Faux Real en live, c’est un peu cela. Deux frangins, Virgile et Ellliott Arndt, d’apparence complètement barrés qui, par des chorégraphies farfelues, s’amusent avec les limites du ridicule et de la sexualité sur des productions inclassables. C’est imparable et le plaisir est immédiat. En un rien de temps, les deux garçons ont mis le feu à une foule au départ juste amusée, mais rapidement enthousiaste. Énergie, sensualité et humour sont les maitres-mots d’une prestation épatante, qui se terminera au milieu du public. Hormis un saxophone, pas d’instrument sur scène, l’accent étant mis sur le spectacle. Et quel spectacle ! En sortant, on ne sait pas trop à quoi on vient d’assister, mais on a adoré. Le temps d’un set, on a tous fait le même rêve.

Faux Real

Pas évident de passer après la vague Faux Real. A la folie, succède la fougue. Celle des Parisiens d’En Attendant Ana qui sont venus clôturer cette deuxième soirée. Emmenée par Margaux Bouchaudon, la charmante petite troupe indie pop a délivré un set électrique et brut. Sans folie, peut-être, mais également sans accroc. Parfait pour terminer ce week-end qui nous a fait renouer avec le plaisir de la musique live et de la découverte !

En Attendant Ana

Photos : V.A. (vendredi) et J.V. (samedi).
Merci à Ugo Tanguy.

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