Field recordings, improvisations et mise en sons pour un album bipolaire intime d’amoureux de Paname.
Silvain Vanot est un artiste singulier, rescapé d’une époque heureuse où l’industrie discographique permettait encore de faire entendre en son sein des voix discordantes, atypiques. Ce n’est plus de saison. Certains, comme Mendelson, déposent les armes. Silvain, comme tant d’autres, a décidé de continuer à l’aide de maisons plus modestes, ce qui nous a valu ces dix dernières années deux très beaux disques voyageurs, le gallois “Bethesda” et le brésilien “Ithaque”. Sur le dernier, Silvain bricolait, laissait ses compositions quasi à l’état brut et touchait au sublime. C’est cet état bancal, ce relatif inconfort, cette liberté enfin surtout qui semble être la marque du Vanot 2.0.
Ainsi, en 2020, on le retrouvait bricoleur minimaliste, quasi improvisateur avec “On peut apporter son réel”, 9 pistes sur Bandcamp, où on découvrait Silvain Vanot en expérimentateur intimiste ! C’était curieux et on imaginait l’artiste découvrant un nouveau terrain de jeu, une cour de récréation dans son home studio bien connu.
“Phonotopies” laisse imaginer qu’on est loin d’une passade. On n’imaginait pas Silvain Vanot chez Brocoli même si on sait que le label possède des passerelles avec la pop. Chez Brocoli on suit depuis toujours les aventures de Sébastien Roux, expérimentateur de génie et thuriféraire des Beach Boys ou de Weezer (on se souvient de ses ajouts dans Pokett première mouture) et de Sylvain (l’autre !) Chauveau, jamais vraiment où on les attend (on relira avec profit les chroniques de “Post-Everything” ou “Kogetsudai”). Mais enfin, pouvait-on imaginer de trouver Silvain là, avec un split comprenant une commande pour le Groupe de recherches musicales (GRM) ?
Et pourtant, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, Silvain Vanot fait du field recording. Ça se passait un soir de solstice en 2015. Et comme chez Cage, il y a dû lancer une pièce pour déterminer la composition (ici électronique, mais ça aurait pu être acoustique). On passe dans différents lieux qui donneront les titres. Très étonnantes, les interventions sont extrêmement discrètes.
Dans “Cité Hermel”, sont-ce uniquement des oiseaux ? Y a-t-il jeux d’échos ou un Vanot siffleur ? Quelques aigus apportent des couleurs.
Sur “Rue Ronsard”, ce seront quelques rondeurs de guitares et de claviers qui apportent des rythmes sur un bruit aqueux, une fontaine sans doute mais dont les crépitements rappellent ceux, électroniques, de Gunther Müller. Des voix passent… Un grondement comme un bruit de métro souterrain. Des images de sources sonores putatives surgissent mais le mystère et le secret restent entiers.
Sur “Rue Cortot”, des guitares claquent sur les percussions de la rue.
“Rue Saint-Vincent”, on trouve des passages de véhicules, des volumes aigus et graves, des jeux sur claviers.
“Jardin Saint-Vincent” est une promenade de nappes de claviers au premier plan sur l’espace sonore défini par le field recording. On entend des chants d’oiseaux (vraiment un concert en début de piste !) et même une toux. Ce n’est pas du Messiaen (qui ferait du microson), mais presque.
En vrai chercheur, en vrai joueur, Silvain a privilégié le peu d’intervention, la spontanéité. On sait qu’il dispose d’un vrai arsenal et que l’animal est plutôt tâtillon, c’est d’autant plus appréciable de le voir donner du temps au temps. D’écouter le monde autour de soi, d’interagir avec lui en harmonie aussi. C’est une (electronic) renaissance, comme chantait Belle & Sebastian.
Côté face (ou pile), Pierre-Yves Macé, auquel on est plus habitué dans ce champ-là.
Note d’intention :
« l’idée de départ : prendre quatre musiciens, les faire jouer chacun dans un lieu parisien atypique (chantier, espace abandonné), enregistrer ces performances puis les monter. Il en sort une musique de chambre “hors les murs”, ouverte aux rumeurs et impuretés du dehors ».
En résulte une matière faite d’instruments nobles (cor, hautbois, percussions) et de « bruits » entre lesquels tout l’art consistera à établir des relations.
Il s’agit de jouer l’écriture (ou l’improvisation) contre l’environnement. C’est une opposition de façade, puisqu’il est envisagé de jouer avec l’environnement, ses résonances, ses bruits de fond, d’emmener la musique dans un ailleurs, loin des centres de production et de diffusion de la musique contemporaine.
Jouer la virtuosité, le contrôle dans l’incontrôlable, l’imprévu. Superposer les couches, les ambiances, les prises. Et réorganiser le chaos.
« J’peux passer par là ? d’ce côté, je n’gêne pas ? » demande une passante, devenant interprète et même critique constructive de l’intérieur.
C’est bel et bien une phonotopie, une musique de Paris, une psychogéographie comme disaient les situs, qui démontre tout le talent de Pierre-Yves Macé comme metteur en son, travaillant les matières, mais pratiquant aussi le cut abrupt à l’occasion, laissant de la liberté aux interprètes comme aux sons de la rue et faisant « avec ». C’est un bel état des lieux et un travail à la fois collectif et intime.
Enfin, on peut s’étonner des dates conjointes de ces œuvres (2014 pour la création de Pierre-Yves Macé, 2015 pour Silvain Vanot) et de cette sortie tardive. C’est une tranche d’un autre temps, proche mais déjà lointain, d’autant plus surprenant dans notre époque malade d’immédiateté. Tout un geste…
Avec l’aide de Johanna D., arpenteuse de textes.
PS : et en plus une très belle illustration de Silvain Vanot comme pochette. Quel garçon talentueux…