Les archives musicales inédites de l’actrice américaine Karen Black compilées par son collaborateur des dernières années Cass McCombs. Malgré une qualité sonore inégale, la redécouverte d’une grande voix au songwriting à la fois classique et audacieux.
Si elle n’a pas connu un parcours aussi riche et prestigieux qu’une Faye Dunaway ou une Diane Keaton, Karen Black (1939-2013) reste sans doute l’une des actrices qui a le mieux incarné l’esprit du Nouvel Hollywood dans les années 70. Elle a certes joué chez Hitchcock (“Complot de famille”, l’ultime film du maître), dans quelques superproductions et films de genre (catastrophe, horreur…), mais on se souvient surtout de ses rôles dans “Easy Rider” de Dennis Hopper, “Cinq Pièces faciles” de Bob Rafelson (de nouveau aux côtés de Jack Nicholson) et “Nashville” de Robert Altman.
Excellant dans les personnages de femmes à la fois déterminées et fragiles, Karen Black chantait souvent dans ses films. Si le cinéma ne l’avait pas autant accaparée, peut-être aurait-elle pu faire une belle carrière dans la musique (Barbra Streisand, sa contemporaine à trois années près, a réussi à mener les deux de front, mais elle a quand même moins tourné). Dans “Nashville”, elle jouait même une chanteuse, et les deux compositions qu’elle avait écrites et interprétait dans ce film choral autour de la scène country lui avaient valu une nomination aux Grammy (pour l’anecdote, l’une des deux, “Memphis”, a été reprise plus de vingt ans après par Lloyd Cole sur l’un de ses disques les plus confidentiels). Elle a aussi fait des apparitions dans des émissions de variétés tout au long des années 70, parfois trouvables sur YouTube.
Mais le seul album de Karen Black est donc posthume, et il vient de sortir sur Anthology records. Comme son titre l’indique, “Dreaming Of You 1971-1976” (dont la pochette est signée du dessinateur underground culte Raymond Pettibon) compile pour l’essentiel des morceaux enregistrés il y a une cinquantaine d’années, et il serait tentant de le rapprocher du sublime “Colour Green” de Sibylle Baier. Là aussi, une actrice (même si Sibylle Baier n’a tourné que dans un seul film, “Alice dans les villes” de Wim Wenders) et, pour l’essentiel, des home recordings voix-guitare exhumés après des décennies d’oubli.
Le contexte est toutefois un peu différent. Peu avant sa mort, Karen Black avait l’intention de réaliser un album avec Cass McCombs, qui avait déjà invité l’actrice sur ses propres disques et lui avait fait chanter une version du superbe “Brighter!”. Les deux dernières plages de “Dreaming of You”, “I Wish I Knew The Man I Thought You Were” et “Royal Jelly”, tirées d’une session de 2012 en groupe, témoignent de ce projet avorté. Certains morceaux plus anciens présents ici ont été produits par des pointures comme Bones Howe ou Elliot Mazer, décédé il y a quelques mois, même s’ils apparaissent plus comme des démos ou des rough mix que comme des enregistrements finalisés.
Le reste, retrouvé sur des cassettes sans indexation et pas toujours en très bon état, sonne inévitablement lo-fi malgré un patient travail de restauration réalisé par CassMcCombs et l’ingénieur du son Tardon Feathered. L’impression d’entrer dans l’intimité de l’artiste en est d’autant plus grande. Ces prises uniques, brutes, dépassant rarement les deux minutes, rappellent à la fois les singers-songwriters des années 70, aux chansons souvent autobiographiques, et – comme on pouvait s’y attendre – les grandes chanteuses country. Même quand la captation est imparfaite, la technique vocale de Karen Black est éblouissante. Mais le dépouillement et le traitement sonore parfois étrange de ces enregistrements renvoie aussi à des figures plus marginales, voire un peu maudites, du folk d’hier et d’aujourd’hui.
Qui était vraiment la chanteuse et musicienne Karen Black (ou plutôt, qui aurait-elle pu être ?). Difficile de répondre à l’écoute de ce disque, et après tout tant mieux : à la fois culte et populaire, le personnage garde tout son pouvoir de fascination.