Françoiz Breut, pas du tout futile, aborde son mitan de siècle avec curiosité et distance. Pleine de désirs, de rêves, à l’affut de ses sensations, ivre de lecture et de peinture, Françoiz est le contraire d’une confinée recluse et s’immerge dans la diversité avec un collectif de vibrants défricheurs bruxellois pour nous livrer un passionnant album qui nous en met plein les esgourdes, après un “Zoo” plus grand breton. Faisons fi des miasmes, frottons-nous à ce Flux flou de la foule.
Françoiz pourrait faire partie des vieilles copines dont on prend régulièrement des nouvelles, un peu par habitude, aussi parce qu’on y est fidèlement attaché. Il en est ainsi des amitiés musicales sur le long terme, tout le contraire de nos marottes passagères. Françoiz Breut, pourtant, nous déjoue sans cesse. Une part de nous la voit toujours en compagne de Dominique A alors qu’elle est depuis bien longtemps émancipée de la tutelle et, de fait, Françoiz nous surprend dans nos attentes sans cesse contrées. “La Chirurgie des sentiments” nous avait emmenés dans une trituration musicale poussée, assez inattendue, et ce “Flux flou de la foule” nous fait le même effet : celui d’une cure de jouvence dont nous fait profiter notre jeune quinqua. C’est à peine si on reconnaît Françoiz plus agile et plastique que jamais, légère et aérienne, galopante partout. C’est un véritable deuxième souffle (thème récurrent de l’album), et pas du tout melvillien.
Comme toujours, Françoiz Breut a le don de savoir s’entourer. On retrouve des noms bien connus, dont les acolytes Marc Melià (“Songs for Prophet”), claviers et production, et François Schulz, guitare, basse, percus, entendus aussi aux côtés de Mc Cloud Zicmuse aka Le Ton Mité ou encore dans le projet belgophile Hoquets. Romeo Poirier y joue également un peu de tout (on vous invite à écouter ses passionnants collages sur son soundcloud). Se dessine ainsi une internationale bruxelloise de touches-à-tout résolument multi-instrumentistes qui viennent s’amuser avec Françoiz, laquelle n’hésite pas à puiser l’inspiration dans les rues de sa ville (“Dérives urbaines dans la ville cannibale”). Une ville cosmopolite forcément monstrueuse, aussi vivifiante que mortifère (second thème récurrent).
Françoiz Breut concurrence sérieusement les agaçantes (et oubliées) Camille et Emily Loizeau, voire l’icône Björk, sur “Juste de passage”, faisant feu de toutes voix et souffles comme percussions. La fuite du temps à la mode pop électro-acoustique.
Comme toujours, Françoiz s’élève au-dessus du peloton de la pop francophone avec d’autres cougars sublimes bien dans leurs chairs comme Superbravo, avec des textes au cordeau et une sensibilité à fleur de vieille peau. Une voix de plus en plus personnelle, vraiment sur le fil des aigus (“Mes péchés s’accumulent”).
Sur “Dérive urbaine”, les collages, samples, jeux de mots ressuscitent presque Ollano et sur “Vicky qui riait”, les programmations électro et les percussions rivalisent avec la voix sur des ornementations orientales. On est bien loin de la galéjade.
Françoiz au-delà des oppositions dialectiques synthétise. Elle réunit et fait vivre sur le même plan les contraires : vie et mort, péchés moraux et extases physiques. Elle puise à des inspirations variées, de la bonne copine (“Vicky qui riait”) à un texte de Michel Tournier ou de Philip Roth (“Métamorphose”) en passant par les tableaux de Rubens (“La chute des Damnés”) ou de Millais (“Le Fantôme du Lac”), peintre qui reste associé, pour nous, à la couverture du Folio d’Hamlet. C’est bel et bien à chaque fois un geste d’unification artistique, de la vie et de la mort mêlées.
C’est dans les duos que Francoiz nous surprend le plus. Que ce soit dans “Comme des Lapons”, où le finnois vient conclure la rêverie boréale, qui nous évoque, personnellement, d’étranges scènes enneigées de Claire Denis dans L’Intrus, ou dans le titre “Une Fissure”, sommet du disque. Jahwar Basti y chante en français, avec un phrasé très particulier, fait de coulées, d’accélérations et qui nous rappelle presque Pain-Noir. On y chante une apocalypse nucléaire, intime ou industrielle, on ne sait pas.
Autre bienfait du disque, “Mon dedans vs mon dehors”, chanson anti-vieillissement régénératrice qui réunit la Françoiz passée et la Breut du jour, notre autre môme éternelle.
Françoiz ne stagne pas, Françoiz ne mûrit pas, elle traverse son temps comme un météore.
Avec l’aide de Johanna D., Breutiste vintage depuis 1997.
« Flux flou de la foule » est sorti le 9 avril 2021.
Marc Melià – Veus – POPnews
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